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jeudi 9 octobre 2014

Sur le château de Luynes.

Sur le château de Luynes.


- "Je suis Tourangeau, j'habite Luynes, sur la rive droite de la Loire, lieu autrefois considérable, que la révocation de l'Edit de Nantes, a réduit à mille habitans, et que l'on va réduire à rien par de nouvelles persécutions." Ainsi s'exprime Paul-Louis Courier, dans un de ses pamphlets spirituels qui l'ont placé au nombre des écrivains les plus originaux de notre époque.
Luynes, en effet, est une petite ville d'un aspect tout pittoresque, entourée de ces magnifiques campagnes qui font de la Touraine une des plus riches et des plus belles provinces de France. un vaste château, bâti sur le sommet d'une roche, domine au loin la contrée. On fait généralement remonter la construction de cet édifice au commencement du 14e siècle; ses tourelles, avec leurs fenêtres percées en meurtrières, leurs escaliers en colimaçon, appartiennent à cette époque, ainsi que ses remparts en ruines et sa grande tour réduite à plus de moitié, et qui chaque jour voit crouler une de ses pierres. 



Le château de Luynes est une ancienne dépendance de la terre de Maillé, érigée par Louis XIII en duché-pairie, au mois d'août 1619, en faveur de Charles d'Albert, connétable de Luynes, son favori.
Ce fut une fortune bien merveilleuse, que celle de cet Albert de Luynes! Pour distraire ses jeunes années, on avait entouré Louis XIII de pages élégans, selon la vieille coutume de France; il fallait bien lui donner des compagnons de jeux, de petits menins qui passaient ses caprices d'enfant et lui formaient une cour peu dangereuse. Parmi ces courtisans, Albert de Luynes était celui que le roi avait pris en affection particulière. Né au Pont-Saint-Esprit, il sortait d'une maison pauvre qui se disait pourtant issue des Alberti de Florence; elle possédait alors les deux seigneuries de Brantes et de Cadenet: "si étroites, dit le maréchal de Bassompierre, le faiseur de bons mots de cette époque, qu'un lièvre les traversait d'un saut chaque jour." Et que fit Albert de Luynes, pour conquérir les bonnes grâces de Louis XIII? Dans sa jeunesse passée aux châteaux des bords du Rhône, Albert avait appris la fauconnerie, éducation des valets de bonne souche; personne ne savait mieux élever les oiseaux de proie, enseigner les gentillesses aux éperviers et aux grues, aux pies-grièches surtout, "espèces d'oiseaux qui étaient aussi peu connues que leur maître," comme disait l'abbé Legendre. Albert, venant en cour, se mit de suite dans les faveurs de Louis XIII en lui faisant présent de ces oiseaux ainsi dressés. Le prince ne pouvait plus s'en passer; quand il ne le voyait pas autour de lui, il courait par toute la maison, criant: "Albert! Albert! où est Albert?" et aussitôt, prenant son petit canon, il le tirait, car c'était le signal de colère qui indiquait l'impatience du jeune Louis XIII. 
Ce fut au moyen de ces passe-temps frivoles, qu'Albert de Luynes conquit le plus grand ascendant sur l'esprit du monarque. 
Après l'assassinat du maréchal d'Ancre, triste victime des haines de la populace, ce fut Albert de Luynes qui lui succéda dans l'emploi de premier ministre. Il parvint à dominer l'esprit du roi, jusqu'à ce point de se faire nommer connétable, dignité suprême de l'Etat; et l'on vit un homme sans capacité guerrière, dénué de toutes les qualités qui font les grands capitaines, ceindre sans rougir l'épée des Clisson, des Duguesclin et des Montmorency. Une fois au faîte du pouvoir, comblé d'honneur et de puissance, le connétable de Luynes, dont l'insolence et les prétentions croissaient avec la fortune, devint insupportable à Louis XIII qui méditait sa disgrâce. Il n'y échappa que parce que sa mort, arrivée inopinément en 1621, durant la guerre contre les Huguenots. Avant qu'il expirât, ses équipages furent pillés par ses gens, et l'on ne trouva même pas un linceul pour l'ensevelir.
Ce nom de Luynes rappelle aussi un lugubre souvenir; c'est là que fut assassiné, le 10 avril 1825 Paul-Louis Courier, attent d'un coup de fusil à quelques pas de sa maison; l'auteur de cet attentat est demeuré inconnu: il est peu probable que la justice des homme l'atteigne. Certes, Courier était loin de penser qu'il périrait un jour à Luynes, victime d'un assassinat, lorsqu'en 1816, dans sa pétition aux deux chambres, il faisait ainsi le tableau de la Touraine: "De toutes les provinces du royaume, disait-il, c'est non seulement la plus paisible, mais la seule paisible depuis vingt-cinq ans. Où trouverai-je, je ne dis pas en France, mais dans l'Europe entière, un coin de terre habitée, où il n'y ait eu, durant cette période, ni guerres, ni proscriptions, ni troubles d'aucune espèce. C'est ce qu'on peut dire de la Touraine, qui, exempte à la fois des discordes civiles et de l'invasion étrangère, sembla réservée par le Ciel, pour être, dans les temps d'orage, l'unique asile de la paix; calme au milieu de tourmentes, c'était comme une de ces oasis entourée des sables mouvans du désert. Or, dans cette province de tout temps si heureuse, si pacifique, si calme, il n'y a point de canton plus paisible que Luynes, là on ne connait ni vols, ni violences, ni le meurtre, ni l'assassinat!"
Ce fut neuf ans après avoir tracé ces lignes, et dans ce même canton qui lui paraissait être le refuge de la pureté des premiers âges, que le malheureux Courier laissa sa vie comme la réfutation sanglante d'un écrit où l'esprit de parti avait fait taire la vérité.

Le Magasin Universel, 1836-1837.

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