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mardi 7 octobre 2014

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.

Décidément la révolte est au camp des animaux; on verra bientôt les moutons conduire leur berger à la boucherie pour le découper, et s'en faire apprêter les côtelettes à la jardinière.
Dernièrement, dans la commune d'Orly, un bœuf exaspéré par la pensée qu'on allait le mener à l'abattoir, se mit à parcourir en furieux tout le pays. Les habitants s'armèrent de pied en cap de fourches et de bâtons et coururent sur ses traces; ils jetaient au bœuf mille invectives et mille menaces, tant que celui-ci fuyait devant eux; mais venait-il à faire volte-face, il s'opérait dans les rangs des assaillants un mouvement en arrière, et c'était un sauve qui peut général. Enfin il vint à passer un grenadier du 79e de ligne, qui tira sa baïonnette et la plongea dans le ventre de l'animal. Pour cette fois encore, les hommes ont été les plus forts; mais gare le ressentiment des bœufs quand il n'y aura plus là de grenadiers pour leur tenir tête!
Un âne, qui se promenait dans un plaine voisine d'Ossum, fut dérangé dans sa méditation solitaire par un habitant du pays qui ne voulait pas lui permettre de fouler ainsi cette prairie. Cet homme était le charcutier de l'endroit, qui, doué d'une grande force, essaya de jeter une corde au cou de l'animal et de l'attacher à un tronc d'arbre; mais celui-ci se retourna, renversa le charcutier, l'accabla de coups de pieds, puis, le prenant entre ses dents, le souleva et le rejeta violemment contre terre, le tout à plusieurs reprises. Au bout de quelque temps de cet exercice, le malheureux charcutier était expirant. Cependant il eut encore la force de tirer son couteau et d'en percer le cœur de l'âne, qui tomba mort.
Mais tout ceci indique que les animaux en ont assez d'être dominés par les hommes depuis le commencement du monde, et qu'ils songent sérieusement à prendre leur revanche.
Un crime d'infanticide a été commis dans les circonstances les plus déplorables. C'est un vieillard, un homme très-haut placé dans le monde, décoré de la Légion d'honneur, qui a étranglé l'enfant que sa fille venait de mettre au monde, et, en le cachant dans son paletot, est allé, vers minuit, l'enterrer dans un endroit solitaire.
Ceci se passait à Batignolle. Le concierge de la maison avait soupçonné quelque chose de suspect, et, voyant sortir nuitamment son principal locataire, s'était mis à le suivre. C'est ainsi qu'il l'a vu ouvrir la terre dans la plaine de Monceaux et y déposer le corps du nouveau-né. Puis cet homme est allé dénoncer à la justice le personnage si haut placé et coupable d'un crime si extraordinaire. Celui-ci est maintenant arrêté, ainsi que sa femme, qui paraît complice du meurtre de l'enfant.
Voici un fait étrange d'incendie au milieu de la rue. deux jeunes femmes de mise et de tournure distinguées suivaient le boulevard Montmartre. A la hauteur de la rue Drouot, elles se disposaient à traverser la chaussée, lorsque l'une d'elle se trouva subitement enveloppée de flammes. Sa compagne, qui se trouvait alors quelques pas en arrière, se précipita à son secours: mais, loin de pouvoir la protéger, elle ne fit qu'allumer sa robe à l'incendie et brûler à son tour.
Les passants accoururent et bientôt se rendirent maître du feu. Mais les vêtements de ces jeunes femmes, leurs robes, leurs mantelets et même leurs chevelures, étaient consumés. Ayant aussi reçu de graves brûlures, elles restaient dans un état déplorable. Un médecin qui se trouvait là les fit conduire dans une maison où elles reçurent les secours nécessaires. En même temps le docteur constata que la première avait marché sur une allumette ou un morceau de papier enflammé et jeté par un fumeur, et que le mouvement du jupon d'acier, qui, par sa forme, produit l'effet de pompe aspirante, avait activé le feu jusqu'à ce degré extrême.
On sait qu'aux dernières courses de Chantilly, un cheval renversa son jockey, qui resta sur place, privé de sentiment; la chute avait été si terrible, qu'on crut parfois qu'elle avait entraîné la mort.
Cependant, après une abondante saignée, le jockey rouvrit les yeux. ses premières paroles furent celles-ci: "Qui a gagné le Derby?- Potocki, lui fut-il répondu.- Ah! tant mieux, s'écria le moribond avec un heureux sourire; Potocki appartient à la même écurie."
Cet enthousiasme de jockey pour les tours de force des chevaux n'est guère que risible, tandis qu'il y a eu dernièrement un autre trait d'abnégation profondément touchant.
A la suite de l'accident arrivé sur le chemin de fer du midi, un mécanicien en chef avait eu les deux jambes emportées. Des amis entouraient son lit de douleur et lui exprimaient tous les regrets qu'inspirait son état. "Oh! pour moi, répondit-il, ce n'est rien, mais ma pauvre machine, comme elle doit être abîmée!"

                                                                                                       Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 28 juin 1857.



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