Les femmes fellahs.
"Le temps était beau et très-doux; il n'y avait guère à midi que 22 degrés centigrades, et nous pouvions tout à notre aise contempler les rives. Dépassant un grand cimetière juif, nous nous arrêtâmes quelques moments devant une mosquée en ruine, près d'une belle avenue. Des femmes fellahs, rassemblées en grand nombre pour laver leur linge, animaient ce lieu verdoyant. Les unes, debout, foulaient de leurs pieds très-petits le linge qu'elles allaient blanchir et qui trempait dans l'eau du Nil; leurs robes, d'un bleu foncé, pareilles à de longues tuniques, dessinaient en lignes très-pures leurs silhouettes élégantes. D'autres, accroupies déjà et penchées en avant, nous montraient de plus près leurs visages. Elles ont, en général, les lèvres épaisses, le menton et les joues gâtés par des tatouages; elles voilent le bas de leur figure; leur mâchoire inférieure est lourde; mais leurs yeux sont grands, leur front plein, leur nez bien attaché. Les retardataires portaient sur leurs têtes de gros paquets de linge: vigoureuses, élégantes, elles marchaient d'un pas léger, sans fléchir sur leurs jambes grêles et nerveuses. Au milieu d'elles, venaient des enfants, chargés de linge aussi; et je ne me rappelle jamais sans rire un petit garçon de trois ans peut être, grave sous une charge plus grosse que lui, qui descendait le talus en relevant sa robe blanche, pourquoi ne pas dire sa chemise? Ce que nous admirâmes le plus, c'était la grâce antique des jeunes filles qui venaient puiser de l'eau; sur leur tête se tenaient immobiles des vases de terre nommés ballas; les moins habiles, pour maintenir leur fardeau, appuyaient une main à leur nuque et semblaient des cariatides vivantes. Quelque-unes, honteuses d'être vues par des étrangers, relevaient un pan de leur vêtement pour se voiler la face. Les anneaux de métal (hézam) qui pendaient au nez de ces canéphores ne les défiguraient pas; une faible brise agitait le fichu (açbeh) qui dérobe leur tête au soleil. J'aimais à voir les bracelets qui chargent leurs poignets finement attachés, leurs colliers et le cercle d'or qui masque la cheville de leur jambe. Leur tunique bleue (ielech) était parfois brodée de perles d'acier aux entournures."
Ce tableau poétique , si fidèlement rendu par M. Belly dans une de ses dernières expositions, peut, avec la présente figure que nous reproduisons ici d'après la toile de M. Giraud, donner une idée juste, bien qu'un peu favorable, de la stature, de la démarche et de la physionomie des femmes fellahs.
On les trouve moins aimable lorsqu'elles crient sur les toits en s'arrachant les cheveux, ou que, sales et déguenillées, elles offrent aux yeux les traces d'une vieillesse prématurée; et pour peu que l'on pénètre le mystère de leur abjection morale, la compassion succède à une banale curiosité.
" Dans leur conduite avec les femmes, les Orientaux savent combiner deux sentiments qui s'excluent, le dédain et la jalousie. Au fond, la jalousie l'emporte sur le dédain; à tel point que, dans l'oasis de Syouah, les maris relèguent les célibataires et les veufs dans un faubourg, en dehors de la ville; à tel point que jamais un homme n'interrogera son ami sur la santé de sa femme: ce serait une inconvenance.
" La femme est un être inférieur: son contact est une souillure dont il faut se purifier. Cependant l'homme en fait la compagne de sa vie. Il l'exclut des mosquées et l'admet au paradis sous le nom de houri. D'où viennent ces contradictions? Toujours de la jalousie, doublée du mépris.
" La position que l'islamisme fait aux femmes est au-dessous du rôle que l'amour conjugal et maternel leur assigne forcément dans l'ordre naturel. On ne leur enseigne rien, quoiqu'on leur laisse la direction des enfants jusqu'à sept ans. Si elles ont pour ces enfants, leurs futurs maîtres, un peu du sentiment complexe qu'inspire le fruit d'une affection partagée, cet instinct, purement animal, tarit souvent avec le lait. Les enfants, dont la naissance n'est jamais constatée, meurent sans qu'on en parle ou grandissent dans la vermine ou la crasse, les yeux rongés par les mouches.
"En général un Arabe n'a pas vu sa femme avant le mariage; la femme n'a pas vu davantage son mari: elle ne peut, en effet, dévoiler sa figure que devant ses parents et ses frères. On peut donc établir que le consentement mutuel ne préside pas au mariage. Les parents donnent leur fille à qui leur plaît, moyennant un cadeau longuement débattu et l'assurance d'un douaire en cas de répudiation. La promise est le plus souvent une enfant que le mari pourra porter dans ses bras. Elle a dix ou douze ans. Femme, il est vrai, si l'on en juge au point de vue médical, elle n'est en apparence ni plus développée ni plus forte que les enfants du même âge dans nos climats. Les fatigues du mariage et de la maternité l'arrêterons dans sa croissance et la vieilliront en peu d'années.
"Installée dans la maison du mari, elle doit faire bon visage à l'autre épouse qu'il a prise ou qu'il prendra: la loi en accorde deux. Il arrive que ces rivales se détestent et ne se contentent pas d'une lutte courtoise pour s'assurer la prééminence. Elles s'empoisonnent quelquefois, quelque fois l'une tue les enfants de l'autre, car la stérilité est la plus grande honte pour les femmes.
"Il y a des fellahs qui prennent une femme à Girgeh, une autre à Assouan: c'est un usage fréquent parmi les mariniers du Nil. Le mari, tour à tour, selon ses affaires, va passer un mois chez elles; il apporte avec lui quelques piastres et quelques présents, souvent une petite pacotille que la femme détaille pendant son absence. En échange, il reçoit quelques produits du pays, et alimente pour sa part le commerce de l'autre épouse. C'est ainsi que nous avons à bord, une cargaison de sel, de pipes, de vaisselle; les matelots les déposaient au passage, et trouvaient toute préparée au retour une provision de tabac, de dattes, de poterie.
"Les maris qui veulent se séparer de leur femme vont trouver un officier public, à la fois avocat et juge de paix, qui se prononce sur les différends conjugaux. Sa sentence est sans appel; on ne dit pas qu'elle soit impartiale. La séparation est temporaire ou définitive, selon la volonté ultérieure des deux époux. Le mari séparé paye une pension aux enfants en bas âge, rarement à la femme; mais il ne reprend pas ce que les parents ont reçu. La femme n'a droit à demander la séparation que dans un seul cas, regardé chez nous aussi comme une grave injure; et, si elle gagne sa cause, le douaire lui est dû." (1)
La femme fellah se relèvera-t-elle de l'humiliante infériorité où la retiennent les lois religieuses et les mœurs du pays? Peut-être plus aisément que la femme riche qui engraisse dans l'oisiveté du harem. Ouvrez les mosquées aux femmes, et elles reconquerront leur dignité morale; interdisez les unions précoces, et une grande cause de la polygamie, la vieillesse prématurée, aura disparu pour toujours. Mais tant que la femme ne sera pas devant la religion et la loi l'égale de l'homme, tant qu'elle ne sera pas seule maîtresse du foyer domestique, elle végétera dans le servage et l'abjection. Hélas! on ne peut dire encore que l'heure de la réhabilitation soit proche pour les femmes de l'Orient.
(1) La Vallée du Nil; par Henri Cammas et AndréLe fèvre.
Le magasin pittoresque, 1865.
On les trouve moins aimable lorsqu'elles crient sur les toits en s'arrachant les cheveux, ou que, sales et déguenillées, elles offrent aux yeux les traces d'une vieillesse prématurée; et pour peu que l'on pénètre le mystère de leur abjection morale, la compassion succède à une banale curiosité.
" Dans leur conduite avec les femmes, les Orientaux savent combiner deux sentiments qui s'excluent, le dédain et la jalousie. Au fond, la jalousie l'emporte sur le dédain; à tel point que, dans l'oasis de Syouah, les maris relèguent les célibataires et les veufs dans un faubourg, en dehors de la ville; à tel point que jamais un homme n'interrogera son ami sur la santé de sa femme: ce serait une inconvenance.
" La femme est un être inférieur: son contact est une souillure dont il faut se purifier. Cependant l'homme en fait la compagne de sa vie. Il l'exclut des mosquées et l'admet au paradis sous le nom de houri. D'où viennent ces contradictions? Toujours de la jalousie, doublée du mépris.
" La position que l'islamisme fait aux femmes est au-dessous du rôle que l'amour conjugal et maternel leur assigne forcément dans l'ordre naturel. On ne leur enseigne rien, quoiqu'on leur laisse la direction des enfants jusqu'à sept ans. Si elles ont pour ces enfants, leurs futurs maîtres, un peu du sentiment complexe qu'inspire le fruit d'une affection partagée, cet instinct, purement animal, tarit souvent avec le lait. Les enfants, dont la naissance n'est jamais constatée, meurent sans qu'on en parle ou grandissent dans la vermine ou la crasse, les yeux rongés par les mouches.
"En général un Arabe n'a pas vu sa femme avant le mariage; la femme n'a pas vu davantage son mari: elle ne peut, en effet, dévoiler sa figure que devant ses parents et ses frères. On peut donc établir que le consentement mutuel ne préside pas au mariage. Les parents donnent leur fille à qui leur plaît, moyennant un cadeau longuement débattu et l'assurance d'un douaire en cas de répudiation. La promise est le plus souvent une enfant que le mari pourra porter dans ses bras. Elle a dix ou douze ans. Femme, il est vrai, si l'on en juge au point de vue médical, elle n'est en apparence ni plus développée ni plus forte que les enfants du même âge dans nos climats. Les fatigues du mariage et de la maternité l'arrêterons dans sa croissance et la vieilliront en peu d'années.
"Installée dans la maison du mari, elle doit faire bon visage à l'autre épouse qu'il a prise ou qu'il prendra: la loi en accorde deux. Il arrive que ces rivales se détestent et ne se contentent pas d'une lutte courtoise pour s'assurer la prééminence. Elles s'empoisonnent quelquefois, quelque fois l'une tue les enfants de l'autre, car la stérilité est la plus grande honte pour les femmes.
"Il y a des fellahs qui prennent une femme à Girgeh, une autre à Assouan: c'est un usage fréquent parmi les mariniers du Nil. Le mari, tour à tour, selon ses affaires, va passer un mois chez elles; il apporte avec lui quelques piastres et quelques présents, souvent une petite pacotille que la femme détaille pendant son absence. En échange, il reçoit quelques produits du pays, et alimente pour sa part le commerce de l'autre épouse. C'est ainsi que nous avons à bord, une cargaison de sel, de pipes, de vaisselle; les matelots les déposaient au passage, et trouvaient toute préparée au retour une provision de tabac, de dattes, de poterie.
"Les maris qui veulent se séparer de leur femme vont trouver un officier public, à la fois avocat et juge de paix, qui se prononce sur les différends conjugaux. Sa sentence est sans appel; on ne dit pas qu'elle soit impartiale. La séparation est temporaire ou définitive, selon la volonté ultérieure des deux époux. Le mari séparé paye une pension aux enfants en bas âge, rarement à la femme; mais il ne reprend pas ce que les parents ont reçu. La femme n'a droit à demander la séparation que dans un seul cas, regardé chez nous aussi comme une grave injure; et, si elle gagne sa cause, le douaire lui est dû." (1)
La femme fellah se relèvera-t-elle de l'humiliante infériorité où la retiennent les lois religieuses et les mœurs du pays? Peut-être plus aisément que la femme riche qui engraisse dans l'oisiveté du harem. Ouvrez les mosquées aux femmes, et elles reconquerront leur dignité morale; interdisez les unions précoces, et une grande cause de la polygamie, la vieillesse prématurée, aura disparu pour toujours. Mais tant que la femme ne sera pas devant la religion et la loi l'égale de l'homme, tant qu'elle ne sera pas seule maîtresse du foyer domestique, elle végétera dans le servage et l'abjection. Hélas! on ne peut dire encore que l'heure de la réhabilitation soit proche pour les femmes de l'Orient.
(1) La Vallée du Nil; par Henri Cammas et AndréLe fèvre.
Le magasin pittoresque, 1865.
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