Le patriote.

Le patriote.

Le patriote a beaucoup changé depuis dix ans, il a progressé.

Autrefois c'était un citoyen comme les autres, aimant son pays, et le défendant quand le gouvernement lui ordonnait de le défendre. L'ancien patriote était silencieux, négligeait les affaires publiques et s'occupait des siennes.

Le patriote moderne est infiniment supérieur. Il plane au-dessus des autres citoyens. Il a monopolisé l'amour de la patrie.

Il porte un costume spécial.

Appartient à des Sociétés particulières.

Donne des conseils au gouvernement.

Manifeste.

Fait du trapèze.

Tire à la carabine.

Un épicier qui vend des denrées coloniales, un notaire qui grossoie*, un auteur qui publie un livre, un comédien qui joue un rôle, un médecin qui libelle une ordonnance ne sont pas des patriotes.

S'ils aiment leur patrie, c'est à titre gracieux; c'est innocemment, inconsciemment. Ils n'en ont pas le droit. Pour aimer sa patrie, il faut être incorporé dans une légion sainte et consacrée.

Le patriote ne doit pas négliger une occasion de manifester son patriotisme.

Le patriotisme ne consiste pas à aimer sa patrie, mais à détester un ou plusieurs autres peuples.

Le patriote est certainement un honnête homme. Il a du cœur, du courage, de beaux sentiments, de l'abnégation: mais il se sert de ces qualités comme bagues au doigt. Il les fait trop voir.

A la prochaine guerre, les anciens patriotes seront tous simples soldats. les patriotes nouveaux seront tous officiers.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.

*Nota de Célestin Mira: du verbe grossoyer, qui veut dire "faire la grosse" pour un notaire.