Le vrai portrait d'Henri IV.
Au mois d'octobre 1793, il y a aujourd'hui soixante-trois ans, les Vandales parisiens saccageaient les tombeaux des rois de France, à Saint-Denis.
Ils ne trouvèrent que de la cendre, des ossements et des débris de couronnes dans les cercueils de Dagobert, de Pépin, de Charles le Sage, de saint Louis, de Philippe Auguste, de François 1er, etc.
Au caveau des Bourbons, ils reconnurent Louis XIII à sa petite moustache, Louis XIV à son grand air, qui semblait commander encore, Louis XV à sa putréfaction, qui faillit les empoisonner, etc.
Arrivés au sommet de la ligne, ils ouvrirent un large tombeau, et reculèrent de surprise à la vue d'un homme parfaitement conservé.
Tête mâle et fière, visage noble et franc, nez aquilin sur d'épaisses moustaches en croc, barbe entière, blanche et frisée, cheveux crépus sur un front ouvert et radieux, le royal mort semblait prêt à se lever d'un repos de trois cents ans, en s'écriant, l'épée à la main:
- A moi, compagnons! et suivez mon panache blanc! Ventre-Saint-Gris! il y a trop longtemps que nous ne nous sommes battus!
C'était bien Henri IV, en effet; c'était le vainqueur d'Arques et d'Ivry, le conquérant de Paris et de la France, le signataire de l'édit de Nantes, l'auteur du Pont-Neuf, de l'Hôtel-de-Ville et du canal de Briare, le rêveur de la poule au pot et de la paix universelle.
Pourquoi ce monarque est-il si populaire?
On ne l'a jamais dit, et il est temps de le dire, pour l'édification des rois et des peuples.
Est-ce parce qu'il avait l'esprit français par excellence, la loyauté doublée de malice, le cœur sur la main et le bon mot sur les lèvres? Est-ce parce qu'il eut le triple talent, célébré par la chanson*:
* Nota de Célestin Mira: Cette chanson fut composée du vivant d'Henri IV.
De boire, et de battre,
Et d'être verd galant!
Est-ce parce qu'il faisait jeter des vivres aux Parisiens affamés par ses soldats?
Sans doute, il entre dans la popularité d'Henri IV quelque chose de tous ces éléments; mais sa franchise et sa malice l'entraînèrent souvent trop loin; mais son triple talent le livra à des faiblesses qui l'eussent perdu, sans les rudes conseils de Mornay et de Sully; mais pour quelques pains lancés habilement aux bourgeois du Marais, afin de les détacher de la Ligue et de Mayenne, le béarnais assiégea Paris quatre ou cinq ans de suite, et le réduisit à une telle disette, que des milliers d'habitants y périrent de faim, et qu'on y vit des mères en délire manger leurs enfants!
Henri IV est populaire et mérite de l'être, et le sera à jamais: parce que, sans cesser d'être HOMME, il est toujours resté ROI; parce que, comme prétendant, il a su monter à cheval dans la bonne occasion, s'élancer à la conquête de ses Etats avec un pourpoint percé au coude et une poignée de braves sans souliers; parce qu'il a su jouer sa vie contre sa couronne, et gagner la seconde contre la première, en ne cédant et ne s'arrêtant qu'au but de son droit et de ses efforts; parce qu'une fois sur le trône il a eu le courage et la sagesse de ne pardonner qu'à bon escient; d'épargner des flots de sang au prix de quelques gouttes versées à propos; parce qu'il n'a jamais laissé discuter ses prérogatives aux avocats du Parlement; parce qu'il a su gouverner enfin, comme il disait, tambour battant et mèche allumée; aimant ses sujets pour eux-mêmes, et sachant les rendre heureux en s'en faisant obéir; exécutant de grandes et utiles choses envers et contre tous, fondant et achevant des œuvres durables, des monuments et des institutions, tels que l'Hôtel-de-Ville (1), le Louvre, la jonction de la Seine et de la Loire, la liberté de conscience, l'équilibre européen, les débouchés des arts, du commerce et de l'industrie, etc., etc.
Voilà pourquoi les violateurs des tombeaux de Saint-Denis, au lieu d'insulter la dépouille d'Henri IV, comme celle des autres rois, tombèrent à genoux devant cette face glorieuse et vaillante du Béarnais.
- C'était un brave, je veux de ses reliques, dit un soldat, en coupant une mèche de sa moustache.
Et tous les ouvriers, s'agenouillant avec larmes, se mirent à baiser ses mains et le pan de son suaire.
Au lieu de jeter le corps sacré avec les autres dans la fosse commune royale, ils l'exposèrent à part à la vénération publique, et l'on vint en procession de tous les coins de Paris et de la banlieue, des faubourgs mêmes les plus régicides, rendre hommage au prince qui sut le mieux dompter les factions parisiennes.
Pendant cette exposition, qui dura trois jours, un Français, digne de ce nom et qui est malheureusement resté inconnu, eut l'heureuse pensée de prendre avec de la cire l'empreinte du beau visage d'Henri IV.
C'est dans cette empreinte qu'ont été coulés, avec plus ou moins d'exactitude, la plupart des masques du bon roi qu'on voit depuis sur les monuments consacrés à sa mémoire.
Or, l'empereur, visitant il y a quelques mois le château d'Arques, remarqua une épreuve en fonte de ce masque, très-supérieure à tout ce qui lui avait été montré jusqu'alors. C'était la noblesse à la place de forfanterie, la délicatesse au lieu de la grossièreté, une tête de roi enfin et non une tête de soudard.
Convaincue que toutes les autres figures étaient indignes de ce modèle, Sa Majesté chargea aussitôt M. le comte Niewerkerke, directeur général des musées impériaux, de faire exécuter par un artiste habile un grand buste d'Henri IV, d'après le masque du château d'Arques.
M. Auguste Arnaud (2), aidé des conseils du directeur général, statuaire éminent d'ailleurs, comme chacun le sait, fit d'abord un plâtre qu'on exposa aux Tuileries, dans la salle des Maréchaux, et qui réunit tous les suffrages.
Ce plâtre vient d'être coulé en bronze chez MM. Eck et Durand, et c'est d'après ce bronze magistral, qui se répandra bientôt dans toutes les villes de France, que nous pouvons, grâce à une communication précieuse, donner aujourd'hui à nos lecteurs le vrai portrait d'Henri IV.
Ils remarqueront son évidente supériorité sur toutes les figures du vainqueur de la Ligue, y compris même celle de la fameuse statue du Pont-Neuf.
Pitre-Chevalier.
Musée des familles, lecture du soir, novembre 1856.
(1) Henri IV méditait un remaniement de Paris entier, dont les centres eussent été l'Hôtel-de-Ville et le Pont-Neuf.
(2) Ce sculpteur consciencieux et distingué était désigné à l'honneur d'un tel choix par le mérite de ses précédents ouvrages, notamment de son bas-relief de la cathédrale de Sées (Orne), de ses bustes en marbre pour le palais du Louvre, de sa statue de la tour Saint-Jacques-la-Boucherie, et de sa Jeune fille jouant avec un chien, groupe en marbre admiré à l'Exposition universelle.
* Nota de Célestin Mira: Cette chanson fut composée du vivant d'Henri IV.
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