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mercredi 17 août 2016

Courrier du Palais.

Courrier du Palais.


En vérité, les drôlesses commencent à nous fatiguer avec leur tapage et leurs insolences.
Qu'elles étalent effrontément leurs chevaux, leurs voitures, leurs livrées, leurs cochers poudrés et fourrés, le luxe de leurs diamants et de leurs dentelles, qu'elle s'amusent à boire des perles fondues, à allumer leurs cigarettes avec des billets de banque; qu'elles dissipent, avec une stupide insouciance, les flots d'or que de stupides adorateurs font couler à leurs pieds, elles ne méritent encore que le mépris et la pitié; mais que la prodigalité se change en avarice, que Phryné le crible devienne Phryné le coffre, qu'après avoir rincé, comme elles disent en leur joli langage, des fils de famille, elles les poursuivent encore jusque dans la misère où elles les ont réduits et s'efforcent de leur arracher jusqu'à leur dernier écu, ah! pour de telles créatures le mépris ne suffit plus; c'est au dégoût, à l'indignation publique, qu'il appartient d'en faire justice.
Toute charmante, toute mignonne, blonde avec des yeux bleus, un ange en crinoline, telle Mlle Clara Blum apparut un jour à M. de L...
L'ange avait doublé de cinq années le cap de la trentaine; mais il était si adorablement maquillé!
M. de L... avait vingt-trois ans d'âge et deux millions de fortune: Mlle Clara Blum ne se montra pas cruelle.
L'amour de Mlle Clara est coté très-haut: en deux années, il coûta à M. de L... plus de deux cent mille francs.
M. de L... songea alors à se marier; mais voulant se comporter en galant homme avec celle qu'il quittait, il se reconnu son débiteur d'une rente de deux mille francs.
Le mariage, par malheur, n'avait pas éteint en M. de L... ses goûts de dissipation. Un jour vint où, complètement ruiné, séparé de biens d'avec sa femme, il se vit dans l'impossibilité de payer la rente qu'il avait jusqu'alors exactement servie.
C'est ici que l'ange disparaît pour faire place au créancier.
Le Shylock en jupon fait saisir, non pas les meubles de M. de L..., il n'en avait plus, mais ses habits, ses pantalons, ses chaussettes, les effets personnels que la pitié de ses autres créanciers lui avaient laissés
Et comme malgré la saisie, le pauvre diable avait cru pouvoir continuer à s'en servir, Mlle Clara l'a fait citer en police correctionnelle.
Elle a comparu à l'audience, non pas en personne, mais par le ministère d'un avoué, et je crois qu'elle a bien fait: elle n'y aurait pas eu d'agrément.
Le tribunal, n'a pas trouvé l'intention frauduleuse suffisamment établie, et il a renvoyé le prévenu des fins de la plainte.
La cupidité est une mauvaise conseillère. Avec un peu de patience, Mlle Clara Blum serait peut être arrivée à se faire payer. M. de L... qui a, comme on dit, des espérances, peut un jour revenir à flot; en s'acharnant après lui, en le persécutant jusque dans ses chaussettes, elle l'a jeté hors des gonds, si bien qu'il vient de former devant la juridiction civile une demande en nullité de l'obligation qu'il a souscrite envers Mlle Blum.
Espérons qu'elle sera accueillie comme vient de l'être celle de M. le duc de T... P... contre M. Roulx des Florins.
C'est une drôle d'industrie que celle de M. Roulx (il s'appelle Roulx tout court, et des Florins est purement euphémique). Elle pourrait se définir, comme on l'a dit spirituellement, l'exploitation des passions des fils de famille par la mise en valeur des femmes galantes.
Une de ces dames a-t-elle besoin de lingerie, de dentelles, de robes, de bijoux, de meubles, voire même de voitures? M. Roulx n'hésitera pas à les lui fournir à crédit pourvu que la dame soit lancée ou susceptible de l'être, que sa beauté soit de défaite et qu'elle ait l'attache d'un de ces jeunes gens à la mode dont la fortune égale la prodigalité.
Ce digne marchand à la toilette a commencé par être clerc de notaire. On s'en aperçoit à l'habileté de ses opérations et à l'ordre qui règne dans sa comptabilité. Un registre tenu par doit et avoir contient d'un côté les noms de ses clientes: Mlle Cora Pearl, Mme Formosa, etc., qui ne sont pas précisément, comme le disait M. l'avocat général, des femmes du monde; de l'autre, ceux des messieurs sur lesquels ces dames croient avoir droit de compter pour le payement de leurs notes. Ce sera là, un jour, s'il prend à M. Roulx la fantaisie de le faire imprimer, un petit livre qui se vendra bien.
Au nombre des beautés que M. Roulx honorait de sa confiance se trouvait une de ces actrices intermittentes, moins connues par leurs succès au théâtre que par ceux qu'elles obtiennent sur les champs de course. Mlle Léonie Leblanc, c'est d'elle qu'il s'agit,  s'était fait livrer par M. Roulx, outre 13.000 francs de lingerie, un petit mobilier de 41.000 francs.
Ce mobilier coûtait à M. Roulx 26.000 francs. Le bénéfice, comme vous le voyez, était assez honnête.
Il va sans dire que le tout avait été livré à crédit: pour s'acquitter, Mlle Léonie Leblanc comptait beaucoup sur ses beaux yeux, et un peu sur le hasard, ce dieu des jolies femmes dans l'embarras.
Le hasard ne tarda pas à se présenter sous la forme d'un jeune homme de vingt et un an à peine, M. le vicomte de T... P..., prodigue entre les prodigues, et à qui sa famille s'occupait de donner un conseil judiciaire.
Est-il besoin d'ajouter que M. de T... P... s'empressa de faire honneur à la dette de sa bien-aimée, en acceptant quatre lettres de change de 13.000 francs, tirés sur lui par M. Roulx et causés: valeur reçue en ce que doit Mlle Leblanc?
Une fois les billets souscrits, il s'agissait d'en assurer le payement. Voici comment s'y prend l'ex-clerc de notaire.
D'abord il se fait écrire, par M. de T... P..., une lettre destinée à leur donner date certaine; puis, avant la nomination du conseil judiciaire, il passe les lettres de change à un tiers par lequel, à l'échéance, il en fait poursuivre le remboursement contre lui-même: redevenu ainsi porteur des effets, il assigne à son tour en payement le souscripteur, et M. le duc de T... P... son conseil judiciaire.
Vaines précautions, dont la Cour a fait justice, en annulant, par un arrêt que M. Roulx ne laissera pas, je vous le jure, traîner sur sa cheminée, l'obligation du jeune vicomte.
C'est à Baden que M. le vicomte de T... avait fait la connaissance de Mlle Léonie Leblanc; c'est à Wiesbaden que M. le baron Maurice de B... fit celle de Mlle Delphine Coste, une étoile chorégraphique, qui n'appartient pas au ciel de l'Opéra.
S'il était allé aux eaux pour sa santé, ce pauvre baron avait été bien mal inspiré; car, à la fin de la saison, il expirait à Wiesbaden, entre les bras de sa nouvelle amie et dans un état qui n'était pas à beaucoup près voisin de l'opulence.
Le fait n'est que trop certain; peu de temps avant sa mort, il s'était vu, ainsi que Mlle Delphine elle-même, réduit à mettre ses bijoux au mont-de-piété, pour une somme de quatre mille francs.
Mlle Delphine qui tenait, paraît-il, à les conserver en souvenir du défunt, s'empresse à son retour à Paris, d'envoyer l'argent nécessaire pour les dégager; mais la famille de M. Maurice de B... lui en a contesté la possession, et elle a obtenu gain de cause, à la charge toutefois de restituer à Mlle Delphine les quatre mille francs qu'elle avait déboursés.
Il y a d'autres danger à Paris que les petites dames.
Boileau, dans sa satire célèbre, a peint, d'une façon assez pittoresque, les accidents de toutes sortes auxquels on est exposé dans les rues de la grande ville.


Des paveurs en ce lieu me bouchent le passage
Là, je trouve une croix de funeste présage;
Et des couvreurs grimpés au toit d'une maison
En font pleuvoir l'ardoise et la tuile à foison.
Là, sur une charrette une poutre branlante
Vient menaçant de loin la foule qu'elle augmente.

Le tableau serait bien plus complet si Boileau écrivait aujourd'hui sa satire, et il n'y manquerait pas d'y ajouter ces clôtures en planches mal affermies qui menacent incessamment la vie des passants, et dont l'une a failli tuer le coiffeur Lasseray.
Derrière une de ces clôtures établies à l'entrée d'une boutique, rue de Grenelle saint-Honoré, où s'exécutent des travaux de réparation, un ouvrier parqueteur avait eu la malencontreuse idée d'appuyer un assez grand nombre de pièces de bois. Entraînés par le poids de ces matériaux, la clôture se renversa sur le trottoir où passait en ce moment le coiffeur Lasseray qui fut atteint par les planches et blessé grièvement.
A l'appui de la demande de dommages- intérêts formée par ce brave homme, Me Chaix-d'Est-Ange, son avocat, a produit la lettre suivante que lui a adressé M. Feuillet de Conches, et qui est trop spirituelle, en vérité, pour que je ne tienne pas à vous en donner l'étrenne:

"Mon cher monsieur,

"Je vous envoie un client que je prends la liberté de recommander à votre bienveillance. C'est le coiffeur Lasseray, qui me fait l'honneur de m'accommoder tous les matins et qui est un très-brave homme. Il a été écrasé et éventré par la chute d'une devanture de boutique surchargée d'une voiturée de parquets. Il était leste et pimpant; il donnait des coups de peigne en homme de génie, sa main avait la légèreté de l'oiseau. On me l'a gâté, et peu s'en faut qu'on ne me l'ait tué. Il tient aujourd'hui le milieu entre M. Z... et un bossu, et ses entrailles, arrachées de leurs attaches, ne se soutiennent qu'au moyen d'un appareil. Il s'agit de le défendre contre les parquets coupables et de lui faire octroyer une indemnité équivalent à la perte qu'il subit. Cette perte n'est autre que son état.
"Recevez...  
                 
                                                                                        "Feuillet de Conches."

Le tribunal, faisant droit à l'apostille a alloué au sieur Lasseray une somme de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts qui devront être payés par l'entrepreneur.
L'audience, elle aussi, a ses dangers et ses accidents, les accidents de l'improvisation.
Un avocat, Me N..., demandant au tribunal de faire cesser des poursuites exercées par la partie adverse, termina sa plaidoirie en disant: "Non, messieurs, vous ne laisserez pas cette épée de Sardanapale suspendue plus longtemps sur la tête de mon client!"
- Accident.
Un autre, Me Chapon d'Abit, plaidant pour un homme qu'une chute avait privé de l'exercice de ses jambes, s'évertuait à répéter: " Oui, messieurs, mon client est ingambe, il est ingambe!"
- Accident.
Dans l'affaire Pontalba, Me H..., reprochant à Me Senard d'insister trop longuement sur un argument qui n'en valait pas la peine, s'écriait: " Mon adversaire vous a parlé compendieusement etc..."
- Accident.
Un autre accident qui vient d'arriver au même Me H..., pas plus tard que cette semaine, est celui-ci:
Il avait à expliquer la remise à sa cliente, une dame quelque peu musicienne, d'une somme assez considérable que Me Léon Duval, son adversaire, prétendait être le prix de complaisances coupables. Me H... soutenait qu'il ne fallait voir là qu'un respectueux hommage rendu au talent artistique de sa cliente, et il s'écriait:
" En voulez-vous la preuve, messieurs? Vous la trouverez dans la suscription même de la lettre d'envoi: Alla signora X... strada N..., grande scala, secundo piano: c'est à dire Mme X... second piano au théâtre de la Scala: vous voyez donc bien que c'est à l'artiste et non à la femme que le cadeau s'adresse."
Et l'auditoire d'éclater.
Un voisin de l'avocat eut la charité de l'avertir que scala voulait dire escalier et piano  étage.
Me H... fut le premier à rire de sa bévue. " Que voulez-vous, dit-il, je sais beaucoup de droit, un peu de français; mais je ne sais pas du tout l'italien."
Péché confessé, péché pardonné.
Ce qui n'empêche pas Me H... d'être un dialecticien vigoureux et le jouteur le plus redoutable peut être qu'il y ait au palais.

Le Monde illustré, 7 mai 1864.

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