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vendredi 26 août 2016

Les reines s'en vont...

Les reines s'en vont...


Celle-ci n'avait qu'un diadème de comtesse, posé sur l'écusson royal des Stuarts; mais elle portait, et avec quelle dignité, toutes les couronnes de la femme: celles de la beauté, de la grâce, celles de l'esprit et du cœur, celles du goût et de l'élégance, celles de la noblesse et de l'affabilité, celles de l'honneur et de la considération, celles de la maternité et de la vertu, celles de la piété et de la charité; elle avait même celle du courage, aussi viril en elle qu'au temps des héroïnes d'autrefois.
Il ne lui manquait que la couronne du martyre, et Dieu a voulu ajouter ce dernier sacre au chef-d'oeuvre de ses mains.
Jusqu'à l'horrible accident qui vient de l'enlever au monde et qui nous laisse à tous un deuil si inconsolable, la vie de Mlle Cécile de Poilly, comtesse de Fitz-James, n'avait été qu'une suite de triomphes éclatants et de dévouements profonds. Sa destinée semblait être de servir de modèle à tout ce qui méritait de la comprendre et de l'apprécier.
Idole d'un père qui régnait dans une société brillante et lui en ouvrait les portes avec orgueil, elle était, à seize ans, la perle sans rivale des salons parisiens.
L'année suivante, un mariage solennel se célébrait à Saint-Pierre de Rome. L'épousée était si belle et si modeste à la fois, que tout le monde accourait pour la voir et la bénir. L'art n'ayant pas de fleurs dignes d'un pareil front, sa couronne avait été cueillie le matin sur les orangers de la villa Médicis. Les madones de Raphaël tressaillirent dans leurs cadres à la vue de cette grâce française qui éclipsait les modèles de l'artiste divin. La scène, d'ailleurs, n'était pas au-dessous du théâtre; car Mlle de Poilly recevait dans la métropole du monde catholique un des plus grands et un des plus beaux noms de la noblesse de France, le nom du comte Charles de Fitz-James, descendant des Stuarts, fils du dernier pair de la vieille monarchie, du dernier chevalier de 1830, de l'ami de Charles X et de Chateaubriand.
Partout où elle a porté ce nom depuis ce jour, à Paris, à Folembray, en Bretagne, à Marly-le-Roi, la comtesse de Fitz-James ne lui a valu que des hommages et des bénédictions. Partout elle a été la reine des salons par sa beauté incomparable, la patronne des talents par son goût exquis, la joie des intimités par sa gaieté sans fard, l'exemple des familles par ses vertus maternelles, la sœur des malheureux par son art de les consoler, la mère des pauvres par sa charité intarissable.
Lorsqu'elle quitta la Bretagne, il y a dix ans, après une courte résidence sur cette terre de la loyauté, les ouvriers, les paysans, les indigents surtout, pleurèrent la bonne comtesse, comme au temps de Jeanne de Montfort et de la duchesse Anne. Ils accoururent en foule sur son passage, pour la contempler et la remercier une dernière fois; et celui qui écrit ces lignes avec ses larmes n'a jamais traversé le pays de Lorient et de Quimperlé sans trouver dans toutes les chaumières le souvenir adoré de Mme de Fitz-James.
Ah! c'est que Dieu seul a pu compter les dons de sa main droite, ignorés de sa main gauche: les vêtements cousus de ses doigts pour ceux qui étaient nus, le pain du corps et le pain de l'âme, les secours efficaces et les bonnes paroles, prodigués par une telle châtelaine à tout ce qui souffrait autour d'elle!
Elle achevait de remplir la même mission à Marly-le-Roi, qu'elle allait quitter pour rentrer à Paris, lorsque le 20 septembre dernier, jour néfaste et marqué de noir, en jouant avec sa fille et son fils dans son salon, elle vit tout à coup sa robe de mousseline prendre feu. De quelle manière, on n'en est pas bien sûr; sans doute au contact d'une allumette tombée dans un volant de l'étoffe. En un instant la victime est entourée de flammes. Ses enfants se précipitent sur elle et l'entourent d'une portière. Ils vont la sauver en se rendant maîtres du feu, lorsque la mère voit sa fille, en robe de mousseline comme elle, exposée à partager son sort. Elle lui crie, elle lui ordonne de s'éloigner. vain commandement! La fille qui vaut la mère par le cœur comme par la beauté, s'obstine à la délivrer au risque de périr avec elle. Mme de Fitz-James alors n'écoute plus que son amour maternel. Avec un effort de lionne, elle s'arrache aux bras de ses enfants, s'élance éperdue par une fenêtre, et ranimant ainsi, hélas! l'incendie qui la dévore, court à la pièce d'eau de son parc, afin de s'y éteindre d'un seul coup. Là, fatalité nouvelle! elle trouve le bassin clos et ne peut en ouvrir le treillage. Elle se roule en désespérée dans le gazon, où son domestique, un Breton dévoué, se brûle les deux mains pour la secourir. Enfin, son fils arrive, brise la clôture et jette sa mère à l'eau.
Le feu était éteint, mais la victime était blessée à mort. La mère s'était perdue pour sauver sa fille...
Sa belle et forte nature a résisté cinq semaines, avec un héroïsme incroyable, à un supplice qu'elle définissait elle-même: celui de l'eau bouillante. Enfin, elle a rendu son âme à Dieu avec avec la douce fermeté  d'une martyre.
Nous avons prié à son lit de mort. Elle y était aussi admirable que jamais: l'antiquité ne nous a point légué de camée plus pur ni plus fin que ce profil d'ivoire, où l'auréole céleste s'ajoutait à l'auréole terrestre.
Celle-ci revit heureusement dans ses portraits, chefs d’œuvres de Paul Delaroche, d'Amaury Duval et d'Antonin Barre*.
Ce qui ne périra pas non plus, ce sont les souvenirs, les exemples et les regrets qu'elle laisse au monde à tant de titre: comme grande dame accomplie, comme providence des pauvres et des malheureux, comme mère de cinq enfants, dont deux servent déjà la France de leur épée, en attendant leurs jeunes frères sous les drapeaux. (Le second, l'officier de marine, à reçu le baptême de sang devant Sébastopol).
Tout ce que Paris a d'éminent accompagnait aux obsèques de la bonne comtesse la population désolée de Marly-le-Roi.
- Nous avons perdu notre diamant, disaient en pleurant les gens du monde.
- Nous avons perdu notre sœur de charité, disaient en pleurant les indigents et les malades.
- Notre beau pays a perdu son soleil, disaient en pleurant les villageois  des alentours.
Jamais on n'avait vu pareil concours et pareille douleur. L'église était trop petite pour la foule et retentissait de sanglots déchirants. Le noble mari est resté jusqu'au bout, avec ses quatre fils, brisés par un désespoir indicible. C'était parmi les gens de Marly à qui porterait le cercueil bien-aimé. On se disputait comme une consolation suprême tout ce qui restait de l'idole du pays.
Mme de Fitz-James repose, au cimetière Montmartre entre les ducs son beau-père et son beau-frère, dans le caveau des descendants des Stuarts.
On peut écrire sur sa tombe les mots que nous tracions en tête de ces lignes:


LES REINES S'EN VONT.

D'autres lui succéderont peut être; aucune certes ne la remplacera.

                                                                                                                       Pitre-Chevalier.

Musée des familles, lecture du soir, novembre 1856.

* Nota de célestin Mira: Cécile de Poilly, comtesse de Fitz-James par Paul Delaroche.




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