L'actionnaire du théâtre.
C'est un homme généralement aimable, qui ne ressemble en rien aux actionnaires d'ordre inférieur, qui font des placements. L'actionnaire dramatique est un gentleman souriant, distingué et bien mis qui a pris des actions dans un théâtre, beaucoup plus pour s'amuser que pour faire une affaire. Il est riche d'autre part, il a des titres de chemins de fer et de bonne rente au porteur.
C'est de son superflu qu'il se sert pour s'intéresser à quelque entreprise théâtrale. Il affectionne tout particulièrement les scènes où il y a des femmes. Le théâtre où l'on joue des ballets et des féeries lui plait par dessus tout. La comédie lui va moins. Néanmoins il la cultive pour se faire un renom de lettré et pour être reçu dans les salons des grandes actrices à la mode. Ignorant des choses dramatiques, il aime néanmoins à s'en mêler avec discrétion. Il donne des conseils aux acteurs, lit les manuscrits, encourage les auteurs, assiste aux dernières répétitions. Rien ne le flatte plus que d'être interrogé par un auteur timide ou un directeur malin sur la couleur d'un costume ou sur la suppression d'une scène dangereuse.
Le soir il est en habit dans son théâtre, à l'orchestre, au foyer. il voit cinquante fois de suite la même pièce, toujours avec un nouveau plaisir; le plus souvent, on le rencontre au foyer des artistes, ou derrière un portant, en train de causer avec une figurante qui sollicite sa protection pour le renouvellement d'un engagement douteux.
Il est d'une générosité exemplaire. Les fleurs et les bonbons ne lui coûtent rien. Si le hasard dramatique lui octroie des dividendes, ils sont tellement imprévus qu'il se hâte de les restituer à son cher théâtre sous forme de présents aux artistes. Jamais une plainte ne s'échappe de ses lèvres. Son plus grand désespoir serait de rentrer dans son argent. En somme, il fait la meilleure affaire. Pour une action de quelque mille francs, il est quelqu'un dans le temple de l'Art. Un concierge de théâtre le salue, les machinistes lui sourient, le régisseur ne le bouscule jamais, les acteurs lui serrent la main et les actrices lui font les yeux doux. N'est-ce pas de l'argent placé à gros intérêt?
L'un de ces Mondors modernes me disait, en caressant le menton d'une jeune ballerine: "Voilà comment je touche mes dividendes." Heureux coquin!
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Jobs.
Le soir il est en habit dans son théâtre, à l'orchestre, au foyer. il voit cinquante fois de suite la même pièce, toujours avec un nouveau plaisir; le plus souvent, on le rencontre au foyer des artistes, ou derrière un portant, en train de causer avec une figurante qui sollicite sa protection pour le renouvellement d'un engagement douteux.
Il est d'une générosité exemplaire. Les fleurs et les bonbons ne lui coûtent rien. Si le hasard dramatique lui octroie des dividendes, ils sont tellement imprévus qu'il se hâte de les restituer à son cher théâtre sous forme de présents aux artistes. Jamais une plainte ne s'échappe de ses lèvres. Son plus grand désespoir serait de rentrer dans son argent. En somme, il fait la meilleure affaire. Pour une action de quelque mille francs, il est quelqu'un dans le temple de l'Art. Un concierge de théâtre le salue, les machinistes lui sourient, le régisseur ne le bouscule jamais, les acteurs lui serrent la main et les actrices lui font les yeux doux. N'est-ce pas de l'argent placé à gros intérêt?
L'un de ces Mondors modernes me disait, en caressant le menton d'une jeune ballerine: "Voilà comment je touche mes dividendes." Heureux coquin!
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Jobs.
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