Les derniers records automobiles.
Deux manifestations automobiles d'un genre différent, mais qui, toutes les deux, sont à l'honneur de l'industrie française, viennent d'avoir lieu, presque simultanément, de part et d'autre de l'Atlantique.
Ici, M. Louis Kriéger portait à plus de 300 kilomètres le parcours d'une voiture électrique sans recharge des accumulateurs, tandis qu'aux Etats-Unis, le champion français Henri Fournier battait les records de vitesse établis précédemment par les Américains.
Où en est la locomotion électrique.
C'est le 16 octobre dernier que M. Louis Kriéger, accompagné de notre confrère, M. Georges Prade, est allé d'une seule traite de Paris à Châtellerault (307 kilomètres) avec une voiture électrique. Le voyage s'est accompli sans incident en quinze heures un quart, soit à la vitesse moyenne de 20 kilomètre à l'heure.
Depuis le moment, de date récente, où la voiture électrique est sortie du domaine des essais pour entrer dans celui de la pratique, l'effort de tous les constructeurs s'est porté vers l'augmentation du rayon d'action, c'est à dire du parcours qui peut être effectué sans avoir à renouveler l'énergie emmagasinée dans les accumulateurs.
Déjà, en 1885, M. Trouvé avait fait fonctionner, sur une faible distance, un tricycle muni d'accumulateurs. En 1894, les "électriques" de MM. Jeantaud et Kriéger fournissaient un parcours de 30 kilomètres. Il fut rapidement augmenté. En 1898, lors du concours des fiacres électriques, on exigeait des concurrents 60 kilomètres sans recharge de la batterie. Enfin, l'année dernière, M. Garcin établissait le record de l'automobile électrique sur la distance de 267 kilomètres qui sépare Paris d'Alésia.
C'est ce record qui vient d'être largement battu par M. Louis Kriéger avec les 307 kilomètres de Paris à Châtellerault.
La voiture qui a accompli cette performance est une automobile électrique de 15 chevaux, du système de ce constructeur, munie d'accumulateurs Fulmen. Son aspect général extérieur ne la différencie pas beaucoup des automobiles ordinaires de route, mais la suppression de tout mécanisme compliqué, la facilité de démarrage, la douceur du roulement, surtout l'absence de toute odeur, de tout bruit et de toutes trépidations, font bien vite reconnaître qu'on a affaire à une automobile électrique.
C'est par la simplification des parties mécaniques, par l'emploi de moteurs soigneusement calculés et d'accumulateurs capables de fournir le maximum d'énergie qu'on peut pratiquement obtenir, que M. Kriéger est arrivé à augmenter dans de grandes proportions le rendement électro-mécanique de sa voiture.
Comme on peut s'en rendre compte par la vue d'ensemble et par le schéma ci-dessus, c'est une voiture de route à quatre places de la forme dite tonneau. Les accumulateurs sont disposés dans deux caisses, l'une à l'avant, l'autre sous le siège principal. Les moteurs, suspendus devant le premier essieu, actionnent l'avant-train, de sorte que la voiture est comme remorquée par les quinze chevaux électriques contenus dans ses moteurs et ne peut avoir aucun mouvement de galop ou de lacet. Le poids de la voiture, en ordre de marche, est de 2.200 kilos. Les batteries d'accumulateurs pèsent 1.200 kilos et sont chargés à la pression de 120 volts. Ajoutons pour les initiés, que leur consommation, par tonne et par kilomètre, est de 60 à 65 watts-heures aux vitesses de 25 à 30 kilomètres à l'heure. Dans la course de Paris à Châtellerault, la dépense d'électricité, en comptant le kilowatt-heure à 0,60 fr. est ressorti au chiffre de 0,16 fr. par kilomètre, y compris l'entretien des batteries. La manœuvre est des plus aisées, et le combinateur permet de donner non seulement les diverses vitesses et la marche arrière, mais encore la récupération dans les descentes, alors que les moteurs travaillent comme dynamos à recharger les batteries.
Ce n'est pas toutefois, avec une voiture de ce type, qui a été équipée spécialement pour le record qu'elle a battu, et qui a dû fournir constamment son rendement maximum, qu'on peut se faire une idée exacte de la situation actuelle des automobiles électriques au point de vue pratique.
Aussi, en admettant que le beau record de M. Kriéger démontre qu'il est désormais possible de s'aventurer "en électrique" sur la plupart des routes françaises, avec la certitude d'atteindre toujours une localité où l'on puisse recharger ses batteries, nous croyons qu'il est plus immédiatement intéressant d'établir le prix de revient annuel d'une voiture de ville, à laquelle on demande un parcours journalier moyen de 60 kilomètres.
Ces chiffres compléteront ceux qui ont déjà été donnés sur le prix de revient de la locomotion automobile dans notre numéro du 8 juin dernier.
Nous supposons qu'il s'agisse d'un coupé à deux places, du prix de 15.000 fr. amortissable en cinq ans, pour tenir compte, tant de l'usure que des perfectionnements qui peuvent survenir.
Dans ces conditions, les frais du possesseur de ce coupé peuvent se calculer ainsi:
Amortissement annuel................................................ 3.000 fr. par an
Mécanicien.................................................................... 2.400 fr. -
Garage........................................................................... 400 fr. -
Impôt et assurance..................................................... 360 fr. -
Energie électrique (300 jours par an)....................... 1.500 fr. -
Entretien et renouvellement des accumulateurs.... 1.500 fr. -
Entretien du mécanisme et de la carrosserie........... 400 fr. -
Pneumatiques............................................................... 600 fr. -
_______
10.160 fr. par an
Soit environ 850 francs par mois, c'est à dire sensiblement le même prix qu'une voiture à deux chevaux. Ce prix s'abaissera d'ailleurs dans l'avenir par la réduction de ses deux facteurs importants: le coût d'établissement et la dépense d'électricité. Alors, on verra se multiplier, avec l'emploi de plus en plus répandu des automobiles électriques, ces garages spéciaux, comme celui dont nous donnons ici un spécimen et qui, avec leurs postes de charge, évoquent l'image du "râtelier de l'avenir".
L'automobilisme français aux Etats-Unis.
En attendant, l'automobile à pétrole continue à conquérir sur route et sur piste de brillants états de service. Sa devise paraît être: "Toujours plus vite". Bien que ces prouesses ne prouvent plus grand chose aujourd'hui qu'on est fixé au sujet de la vitesse, il en est qui sont bien faites pour flatter notre amour-propre national. De ce nombre sont les records qui viennent d'être battus aux Etats-Unis, par Henri Fournier, sur sa machine Mors de 60 chevaux, rendue célèbre par les victoires de Bordeaux-Paris et de Paris-Berlin.
C'est le 18 octobre, au parc de Narragansett, à Providence, que Fournier a couvert la distance de 9 milles (16,3 km) en 10 minutes 43 secondes 1/2. Dans cette épreuve, contrariée par le mauvais temps, Fournier a franchi le premier mille (1.609 m) en 1 minute 7 secondes 1/2 battant son adversaire américain Bostwick, qui détenait le record du même parcours en 1 minute 15 secondes 1/3.
Ce dernier, qui semble le plus redoutable adversaire du champion français, pilotait une voiture américaine Winton de 40 chevaux, d'une forme un peu bizarre et spécialement équipée pour la course.
G. Cerbelaud.
L'Illustration, 9 novembre 1901.
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