Le Tsar en France.
Le 20 août dernier, tous les journaux annonçaient, en termes identiques et précis, la visite de l'empereur de Russie pour le mois de septembre. Chose extraordinaire, aucune indiscrétion n'avait devancé la communication officielle de cette grosse nouvelle: c'était une surprise habilement ménagée à la France par M. Loubet, avec la complicité de notre ministre des affaires étrangères et de la chancellerie russe. Et la France montra tout de suite la vive joie qu'elle en éprouvait.
L. L. Majestés faisant leurs adieux sur l'embarcadère de Péterhof. |
Voilà venue enfin la date fixée. Une attente d'un mois nous a donné le loisir de préparer à notre hôte impérial une réception rehaussée de tout l'éclat qui convient; elle ne pouvait ni affaiblir l'impression, ni modérer l'élan du premier moment. L'un et l'autre, en effet, étaient la manifestation spontanée des sentiments que doit inspirer un événement dont la signification et l'importance n'échappent à personne. Il apparaît d'abord comme une forme concrète de l'Alliance, comme une confirmation publique et solennelle du pacte conclu entre un puissant empire et notre République aujourd'hui trentenaire; il suggère des idées de force, de sécurité, de paix. En outre, pourquoi nous en défendre? notre amour-propre national en est flatté; n'est-il pas naturel et légitime qu'on ressente quelque fierté d'avoir su la mériter et la conquérir?
Aussi bien, cet événement est d'autant plus significatif qu'il se produit pour la seconde fois et atteste ainsi la solidité durable des liens contractés. Il coïncide d'ailleurs, à une quinzaine de jours près, avec l'anniversaire d'une date mémorable. Demeuré notre grand ami, Nicolas II, en acceptant l'invitation de notre gouvernement, a voulu, par sa présence, s'associer étroitement à la nation alliée, pour la célébration de cet anniversaire. Et si cette présence opportune n'a plus tout l'attrait de l'inédit; si elle laisse une moindre part à la curiosité, en revanche, elle fournit aux mutuelles sympathies nouées sous d'heureux auspices, il y a cinq ans, l'occasion de constater qu'elles ont subi victorieusement l'épreuve décisive du temps.
Depuis 1896, Nicolas II est, dans notre pays, plus et mieux qu'une figure connue, il y est une figure populaire; la propagande par l'image a répandu son portrait jusqu'au fond des campagnes, il y décore les murs des plus humbles chaumières, à côté de l'effigie de nos présidents et de nos contemporains illustres. Sa biographie, les journaux, les almanachs, les brochures de colporteurs l'ont également semée à profusion, et beaucoup de nos écoliers la savent mieux que l'histoire nébuleuse de certains rois mérovingiens. Il n'est donc plus besoin de dépeindre sa physionomie, ni de rééditer sur son éducation, son tempérament, son caractère, sa façon de gouverner et ses mœurs privés, les détails publiés par ses historiographes. Ce qu'il faut ici présentement, c'est apporter à l'iconographie spéciale la contribution des documents plus récents.
Arrivée de l'empereur Nicolas II à Dunkerque. Le sémaphore signalant l'arrivée des yachts impériaux. |
Aussi bien, cet événement est d'autant plus significatif qu'il se produit pour la seconde fois et atteste ainsi la solidité durable des liens contractés. Il coïncide d'ailleurs, à une quinzaine de jours près, avec l'anniversaire d'une date mémorable. Demeuré notre grand ami, Nicolas II, en acceptant l'invitation de notre gouvernement, a voulu, par sa présence, s'associer étroitement à la nation alliée, pour la célébration de cet anniversaire. Et si cette présence opportune n'a plus tout l'attrait de l'inédit; si elle laisse une moindre part à la curiosité, en revanche, elle fournit aux mutuelles sympathies nouées sous d'heureux auspices, il y a cinq ans, l'occasion de constater qu'elles ont subi victorieusement l'épreuve décisive du temps.
L. L. MM. le Tsar et la Tsarine sur la passerelle du "Standart" |
Depuis 1896, Nicolas II est, dans notre pays, plus et mieux qu'une figure connue, il y est une figure populaire; la propagande par l'image a répandu son portrait jusqu'au fond des campagnes, il y décore les murs des plus humbles chaumières, à côté de l'effigie de nos présidents et de nos contemporains illustres. Sa biographie, les journaux, les almanachs, les brochures de colporteurs l'ont également semée à profusion, et beaucoup de nos écoliers la savent mieux que l'histoire nébuleuse de certains rois mérovingiens. Il n'est donc plus besoin de dépeindre sa physionomie, ni de rééditer sur son éducation, son tempérament, son caractère, sa façon de gouverner et ses mœurs privés, les détails publiés par ses historiographes. Ce qu'il faut ici présentement, c'est apporter à l'iconographie spéciale la contribution des documents plus récents.
Marche du régiment Préobrajenski de la garde impériale russe. |
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Lors de son premier voyage en France, le tsar avait vingt-huit ans; il en a maintenant trente-trois. Au physique, il a peu changé: ses traits ont pris seulement un peu plus de fermeté, sans perdre leur expression juvénile. De même, l'évolution normale de son esprit vers la maturité n'exclut pas chez lui les hardiesses généreuses, qui sont le plus souvent le privilège de la jeunesse. Témoin cette conférence de la Paix tenue à la Haye en 1899, sur son initiative, et dont l'oeuvre, il est permis de l'espérer, ne restera pas toujours stérile.
Malheureusement, malgré les progrès de la civilisation et des idées, l'humanité est vouée, jusqu'à nouvel ordre, au règne paradoxal de la Paix armée. C'est pourquoi la visite de Nicolas II se trouve liée à une de ces imposantes démonstrations militaires, où, parmi le déploiement d'un appareil guerrier dont notre race n'est pas près de perdre le goût, nos troupes défileront devant le tsar, portant un des pittoresques et brillants uniformes que l'Illustration a eu la bonne fortune de pouvoir reproduire dans une série de gravures en couleurs.
Mais notre sympathie ne va pas uniquement au politique avisé, au puissant allié. Quand nous évoquons son image, ce n'est point isolée qu'elle se présente à nos yeux, c'est dans un tableau quasi-légendaire, où, sans crainte de déchoir, sa souveraineté se pare en quelque sorte des charmes du foyer: il semble qu'on ne saurait séparer l'empereur de l'impératrice et de ses enfants. Ne montre-t-il pas lui-même une prédilection marquée pour les photographies qui reproduise le groupe familial? Ce groupe s'accroît d'année en année: il compte aujourd'hui quatre petites princesses: les grandes duchesses Olga, cinq ans et dix mois; Tatania, trois ans et trois mois; Marie, deux ans et deux mois; Anastasie, qui, née le 18 juin dernier, accomplit son troisième mois précisément le jour du débarquement de ses augustes parents à Dunkerque, sur la terre française.
La grande duchesse Olga, alors âgée de onze mois, fut, on s'en souvient du voyage de 1896. Ceux qui lui firent fête, durant son séjour à Paris, aurait désiré la revoir entourée de ses sœurs, et renouveler en l'honneur de ce joli "bouquet" de princesses, des démonstrations que l'aînée, tout au moins, raisonnable personne de près de six ans, était, cette fois, capable de comprendre et de goûter. Une sollicitude prudente, soucieuse des difficultés d'un déplacement plus compliqué que le premier, a seule empêché la réalisation de ce vœu.
Résignons-nous à cette absence qui eût pu en motiver une autre bien plus regrettable encore, et, sentant tout le prix d'un tel sacrifice, sachons gré à la mère d'avoir bien voulu, exceptionnellement, se séparer pendants quelques jours de ses enfants pour accompagner le tsar en France.
La noble femme qui, naguère, conquit d'emblée les Parisiens par sa grâce pleine tout ensemble de noblesse et de simplicité, l'impératrice Alexandra Féodorovna, qui aime notre pays et partage intimement les vues de son mari, avait sa place indiquée à côté de l'empereur. Comme en 1896, elle va partager avec lui, non seulement les honneurs officiels, mais encore notre hommage de bienvenue, notre cordiale hospitalité, et, ce qui sans doute touchera plus que tout le couple impérial, le salut confiant, les acclamations chaleureuses des foules empressées dans cette unanimité de sentiments et d'élan où, trop rare aubaine, dégagé de la malencontreuse et discordante politique des partis, le peuple français retrouve, pour fêter un heureux événement, d'intérêt vraiment national, le meilleur de son génie et de ses traditions.
Edmond Frank.
L'Illustration, 21 septembre 1901.
Malheureusement, malgré les progrès de la civilisation et des idées, l'humanité est vouée, jusqu'à nouvel ordre, au règne paradoxal de la Paix armée. C'est pourquoi la visite de Nicolas II se trouve liée à une de ces imposantes démonstrations militaires, où, parmi le déploiement d'un appareil guerrier dont notre race n'est pas près de perdre le goût, nos troupes défileront devant le tsar, portant un des pittoresques et brillants uniformes que l'Illustration a eu la bonne fortune de pouvoir reproduire dans une série de gravures en couleurs.
Mais notre sympathie ne va pas uniquement au politique avisé, au puissant allié. Quand nous évoquons son image, ce n'est point isolée qu'elle se présente à nos yeux, c'est dans un tableau quasi-légendaire, où, sans crainte de déchoir, sa souveraineté se pare en quelque sorte des charmes du foyer: il semble qu'on ne saurait séparer l'empereur de l'impératrice et de ses enfants. Ne montre-t-il pas lui-même une prédilection marquée pour les photographies qui reproduise le groupe familial? Ce groupe s'accroît d'année en année: il compte aujourd'hui quatre petites princesses: les grandes duchesses Olga, cinq ans et dix mois; Tatania, trois ans et trois mois; Marie, deux ans et deux mois; Anastasie, qui, née le 18 juin dernier, accomplit son troisième mois précisément le jour du débarquement de ses augustes parents à Dunkerque, sur la terre française.
La famille impériale de Russie. |
La grande duchesse Olga, alors âgée de onze mois, fut, on s'en souvient du voyage de 1896. Ceux qui lui firent fête, durant son séjour à Paris, aurait désiré la revoir entourée de ses sœurs, et renouveler en l'honneur de ce joli "bouquet" de princesses, des démonstrations que l'aînée, tout au moins, raisonnable personne de près de six ans, était, cette fois, capable de comprendre et de goûter. Une sollicitude prudente, soucieuse des difficultés d'un déplacement plus compliqué que le premier, a seule empêché la réalisation de ce vœu.
Résignons-nous à cette absence qui eût pu en motiver une autre bien plus regrettable encore, et, sentant tout le prix d'un tel sacrifice, sachons gré à la mère d'avoir bien voulu, exceptionnellement, se séparer pendants quelques jours de ses enfants pour accompagner le tsar en France.
S. M. l'Impératrice Alexandra-Féodorovna et sa plus jeune fille la grande-duchesse Anastasie. |
La noble femme qui, naguère, conquit d'emblée les Parisiens par sa grâce pleine tout ensemble de noblesse et de simplicité, l'impératrice Alexandra Féodorovna, qui aime notre pays et partage intimement les vues de son mari, avait sa place indiquée à côté de l'empereur. Comme en 1896, elle va partager avec lui, non seulement les honneurs officiels, mais encore notre hommage de bienvenue, notre cordiale hospitalité, et, ce qui sans doute touchera plus que tout le couple impérial, le salut confiant, les acclamations chaleureuses des foules empressées dans cette unanimité de sentiments et d'élan où, trop rare aubaine, dégagé de la malencontreuse et discordante politique des partis, le peuple français retrouve, pour fêter un heureux événement, d'intérêt vraiment national, le meilleur de son génie et de ses traditions.
Edmond Frank.
L'Illustration, 21 septembre 1901.
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