La rentrée.
Parents et enfants.
Parents et enfants.
Tous ces jours-ci, les trains ont roulé vers les villes des masses de petits voyageurs, garçons et filles, dont les visages rebondis et prospères montraient encore la patine de l'embrun marin, de l'air des montagnes, du soleil campagnard... Sur ces jeunes visages apparaissait, de temps en temps, l'ombre d'un souci, à travers la gaieté foncière de leur âge. Les yeux des filles et des plus petits garçons se troublaient d'une larme. Les baisers donnés aux parents trahissaient à la fois plus d'ardeur et plus de mélancolie... C'est que la fin de septembre impose la séparation entre parents et enfants, pour nombre de familles françaises. Le 1er octobre marque la date d'une sorte de mobilisation à l'intérieur, qui enlève à leur foyer, par milliers, de petits conscrits et de petites "conscrites"...
C'est la rentrée.
Lectrice amie, j'ignore ce que ce mot évoque dans votre souvenir de jeune femme. Mais les images qu'il fait resurgir dans ma mémoire n'ont rien de sympathique. Je ne saurais dire, pourtant, que j'ai connu, interne, les déboires des héros puérils célébrés par Dickens et Alphonse Daudet. J'étais un élève ordinaire dans des internats ordinaires. Mais j'étais interne, c'est à dire prisonnier. Le régime de l'internat, tel qu'on le concevait de mon temps, reproduisait, en effet, la prison. La plupart des vrais détenus, sauf ceux, peut-être, qui ont commis des crimes énormes et retentissant, se rebifferaient contre l'affreuse pénalité de la claustration absolue, avec quatorze heures de travail quotidien. C'était notre lot. On m'assure que l'internat s'est adouci depuis. Tant mieux. Il subsiste tout de même dans son principe: séparer les enfants, non seulement de leur famille, mais de toute la famille, en faire des numéros, à l'instar des prisonniers. Et cela suffit à le rendre détestable.
Voilà pour l'internat des garçons.
Et l'internat des filles?
L'internat des fille, j'en conviens, n'est nullement comparable, en France, à celui des garçons. Preuve décisive: tandis que le potache émancipé ne rêve que de "brûler la boîte", la jeune fille garde, à l'ordinaire, un souvenir amical à son pensionnat, à son couvent. La douceur féminine a amorti pour elle les angoisses de l'exil; avec ses compagnes, avec ses maîtresses, elle a noué des amitiés qu'elle suppose volontiers éternelles, bien qu'en général, quelques mois après la sortie, il n'en subsiste à peu près rien. Un régime institué et administré par des femmes sera parfois capricieux, injuste, vexatoire: il ne sera jamais rude comme un régime d'hommes. C'est la politesse des mœurs féminines qui rend l'internat tolérable aux fillettes.
De plus les internats de fille comportent rarement les grosses agglomérations qui sont la règle des internats de garçons. La plupart des pensionnats et des couvents réunissent de vingt-cinq à cinquante élèves, sauf peut-être à Paris et dans les cinq ou six plus grandes villes de France... Vingt-cinq à cinquante élèves, n'est-ce pas sous la surveillance de quelques maîtresses une sorte de famille agrandie?... Notez que c'est toujours de ces petits pensionnats que la mémoire demeure chère aux jeunes filles. J'ai observé plus d'indifférence, parfois même une vague rancune envers leur passé de pensionnaires, chez les élèves des internats féminins très vastes et très peuplés. Elles aussi avaient souffert de n'être là, comme nous au collège, que des numéros...
Voilà pour l'internat des garçons.
Et l'internat des filles?
L'internat des fille, j'en conviens, n'est nullement comparable, en France, à celui des garçons. Preuve décisive: tandis que le potache émancipé ne rêve que de "brûler la boîte", la jeune fille garde, à l'ordinaire, un souvenir amical à son pensionnat, à son couvent. La douceur féminine a amorti pour elle les angoisses de l'exil; avec ses compagnes, avec ses maîtresses, elle a noué des amitiés qu'elle suppose volontiers éternelles, bien qu'en général, quelques mois après la sortie, il n'en subsiste à peu près rien. Un régime institué et administré par des femmes sera parfois capricieux, injuste, vexatoire: il ne sera jamais rude comme un régime d'hommes. C'est la politesse des mœurs féminines qui rend l'internat tolérable aux fillettes.
De plus les internats de fille comportent rarement les grosses agglomérations qui sont la règle des internats de garçons. La plupart des pensionnats et des couvents réunissent de vingt-cinq à cinquante élèves, sauf peut-être à Paris et dans les cinq ou six plus grandes villes de France... Vingt-cinq à cinquante élèves, n'est-ce pas sous la surveillance de quelques maîtresses une sorte de famille agrandie?... Notez que c'est toujours de ces petits pensionnats que la mémoire demeure chère aux jeunes filles. J'ai observé plus d'indifférence, parfois même une vague rancune envers leur passé de pensionnaires, chez les élèves des internats féminins très vastes et très peuplés. Elles aussi avaient souffert de n'être là, comme nous au collège, que des numéros...
*****
Mais que l'internat soit plus ou moins édulcoré, ce n'en est pas moins chose anormale que de séparer les enfants de leurs parents, et les frères des sœurs, pendant la période où on les instruit. Tout le monde est d'accord là-dessus, désormais, ou peu s'en manque. Si vous aviez consulté, ces jours-ci, toutes les mères et la plupart des pères, parmi ceux et celles qui conduisaient leur progéniture au collège ou à la pension, pères et mères vous auraient répondu:
- Nous sommes navrés de les quitter; nous en souffrirons autant qu'eux. Mais il faut bien qu'ils reçoivent l'instruction habituelle à tous les enfants; et nous ne pouvons pas la leur donner chez nous!...
Ainsi, même les parents qui enferment leurs fils et leurs filles dans des internats confessent que le système ne les enchante point; tous ont, plus ou moins clairement, la notion que le mieux serait de les élever chez soi. Le régime de l'externat pour les garçons et des "cours" pour les filles conquiert de plus en plus d'adeptes... Seulement les cours, l'externat, c'est encore le privilège d'un petit nombre! La majorité des familles françaises n'a pas de cours ou d'externats à sa disposition, ou bien ceux qu'on leur offre, dans les très petites villes, sont par trop médiocres, et les parents se méfient. Ils préfèrent encore souffrir de la séparation et installer leurs rejetons dans des maisons d'éducation importantes, qualifiées. Ils vont à la "meilleure marque" du voisinage: ce voisinage est, cependant, éloigné de deux ou trois heures de chemin de fer... L'enfant ne verra plus ses parents qu'aux vacances. Durant toute la période de temps où l'influence ambiante est la plus décisive pour façonner un esprit et un cœur, votre fils ou votre fille, madame, seront dirigés par d'autres que vous.
- Nous savons tout cela, répliquent les parents. Nous déplorons un régime que nous savons faux, fâcheux, incommode et parfois dangereux. Qu'on nous en propose un meilleur et nous l'adopterons.
Il y en aurait peut-être un meilleur; sûrement même il y en a un meilleur; mais il exige de la part des parents une abnégation que beaucoup de parents ne veulent pas dépenser.
Pour nombre de parents, en effet, si la séparation d'octobre est assez pénible, l'avantage d'être une fois pour toutes affranchi du souci d'élever et d'éduquer leur progéniture compense largement la mélancolie de ce départ. Quand ils ont mis le fils dans un collège réputé et la fille dans un pensionnat élégant, ils s'estiment quittes envers eux. Or, les mères attentives et les pères avisés ne me contrediront pas si je prétends que pour certains esprits d'enfants rien ne peut se substituer utilement à la direction des parents...
L'idéal serait donc, pour ceux-ci, que la famille fût l'école. Le père et la mère se récusent, à l'ordinaire, sur le défaut de temps, ou sur leur incompétence pédagogique. Les leçons à la maison, par de bons maîtres, sous la surveillance des parents, seraient un acceptable compromis.
Mais c'est un système compliqué et coûteux, qu'on ne saurait proposer comme général. De plus, si l'internat vulgaire a d'affreux défauts que tout le monde dénonce, il a pourtant un avantage: c'est que le collège, le pensionnat, sont une minuscule société, image réduite, mais fidèle de la grande. Beaucoup d'âpres caractères d'enfants, irréductibles à la maison, s'y forment au contact d'autres caractères du même âge. L'émulation suscite le désir de bien faire chez des tempéraments qui seraient demeurés inertes dans la solitude. Surtout en France, où les familles sont si peu nombreuses, il y a vraiment pour certaines natures d'enfants, de graves inconvénients à aborder la vie sociale au sortir du foyer familial, sans transition.
Alors?
Alors, le mieux serait, je crois, que les parents qui connaissent d'autres ménages de fortune équivalente, de sentiments concordants, et pourvus d'enfants d'un âge analogue, s'unissent pour confier ces enfants, dans la ville même, à des éducateurs soigneusement choisis et qualifiés. En province, les fonctionnaires garçons savent fort bien s'unir, se truster pour organiser une table convenable, un cercle habitable. Ne peut-on dépenser pour sa descendance l'effort qu'on dépense pour soi-même? Il n'est guère de localité si modeste où le "syndicat de parents" que je préconise ne se puisse organiser. Un ménage respectable de professeurs s'offrira toujours pour tenir une "famille d'éducation", composée d'une vingtaine de sujets au plus, lesquels bénéficieront ainsi de la discipline, de l'ordre, de la vie en commun si utiles à la formation de la jeunesse, et pourront tout de même voir leurs parents tous les jours, aller y prendre leur repos de temps en temps, sans tout de même participer à la dissipation des oisifs, grave danger pour les enfants élevés chez eux!
Mais dame! pour organiser ces "familles d'éducation", pour les surveiller à distance, pour en connaître exactement le "rendement" pédagogique, il faut que les parents se donnent un peu de peine. Il est plus commode de boucler leur fils au lycée et la fille au pensionnat, sans d'ailleurs se douter le moins du monde de la qualité d'enseignement et d'éducation qui s'y donnent! Tant de parents semblent avoir des enfants pour leur agrément personnel, et non pour le bonheur de ceux qu'ils ont mis au monde!
Marcel Prévost
de l'Académie française.
Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 12 octobre 1913.
Il y en aurait peut-être un meilleur; sûrement même il y en a un meilleur; mais il exige de la part des parents une abnégation que beaucoup de parents ne veulent pas dépenser.
Pour nombre de parents, en effet, si la séparation d'octobre est assez pénible, l'avantage d'être une fois pour toutes affranchi du souci d'élever et d'éduquer leur progéniture compense largement la mélancolie de ce départ. Quand ils ont mis le fils dans un collège réputé et la fille dans un pensionnat élégant, ils s'estiment quittes envers eux. Or, les mères attentives et les pères avisés ne me contrediront pas si je prétends que pour certains esprits d'enfants rien ne peut se substituer utilement à la direction des parents...
L'idéal serait donc, pour ceux-ci, que la famille fût l'école. Le père et la mère se récusent, à l'ordinaire, sur le défaut de temps, ou sur leur incompétence pédagogique. Les leçons à la maison, par de bons maîtres, sous la surveillance des parents, seraient un acceptable compromis.
Mais c'est un système compliqué et coûteux, qu'on ne saurait proposer comme général. De plus, si l'internat vulgaire a d'affreux défauts que tout le monde dénonce, il a pourtant un avantage: c'est que le collège, le pensionnat, sont une minuscule société, image réduite, mais fidèle de la grande. Beaucoup d'âpres caractères d'enfants, irréductibles à la maison, s'y forment au contact d'autres caractères du même âge. L'émulation suscite le désir de bien faire chez des tempéraments qui seraient demeurés inertes dans la solitude. Surtout en France, où les familles sont si peu nombreuses, il y a vraiment pour certaines natures d'enfants, de graves inconvénients à aborder la vie sociale au sortir du foyer familial, sans transition.
Alors?
Alors, le mieux serait, je crois, que les parents qui connaissent d'autres ménages de fortune équivalente, de sentiments concordants, et pourvus d'enfants d'un âge analogue, s'unissent pour confier ces enfants, dans la ville même, à des éducateurs soigneusement choisis et qualifiés. En province, les fonctionnaires garçons savent fort bien s'unir, se truster pour organiser une table convenable, un cercle habitable. Ne peut-on dépenser pour sa descendance l'effort qu'on dépense pour soi-même? Il n'est guère de localité si modeste où le "syndicat de parents" que je préconise ne se puisse organiser. Un ménage respectable de professeurs s'offrira toujours pour tenir une "famille d'éducation", composée d'une vingtaine de sujets au plus, lesquels bénéficieront ainsi de la discipline, de l'ordre, de la vie en commun si utiles à la formation de la jeunesse, et pourront tout de même voir leurs parents tous les jours, aller y prendre leur repos de temps en temps, sans tout de même participer à la dissipation des oisifs, grave danger pour les enfants élevés chez eux!
Mais dame! pour organiser ces "familles d'éducation", pour les surveiller à distance, pour en connaître exactement le "rendement" pédagogique, il faut que les parents se donnent un peu de peine. Il est plus commode de boucler leur fils au lycée et la fille au pensionnat, sans d'ailleurs se douter le moins du monde de la qualité d'enseignement et d'éducation qui s'y donnent! Tant de parents semblent avoir des enfants pour leur agrément personnel, et non pour le bonheur de ceux qu'ils ont mis au monde!
Marcel Prévost
de l'Académie française.
Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 12 octobre 1913.
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