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jeudi 4 août 2016

Les pruneaux d'Agen.

Les pruneaux d'Agen.


Voilà la pleine saison de la cueillette des prunes d'Agen et de la préparation des savoureux pruneaux universellement renommés. Le moment est donc tout à fait opportun pour donner ici quelques renseignements intéressants sur ce produit français, que l'on connait incomplètement, et c'est, je présume, le cas de bien des gens, quand on se contente d'en apprécier la valeur gastronomique
La prune d'Agen ou prune d'ente, spécialement propre à la cuisson, existe depuis bien longtemps. La tradition la plus répandue attribue l'importation en France de cette espèce, peut être originaire d'Orient, aux moines de l'abbaye de Clairac, qui la cultivèrent les premiers, il y a plusieurs siècles, dans la région de la Garonne. Aujourd'hui, la culture du pruneau d'ente, considérée à juste titre comme l'une des plus rémunératrices dans cette partie du sol français, s'est étendue en Lot-et-Garonne, sur une superficie de plus de 100.000 hectares (le cinquième environ de la superficie totale du département), notamment sur la rive droite du fleuve et dans la vallée du Lot, dont les terrains argilo-calcaires, fertiles et accidentés, forment d'admirable vergers. Il n'est si petit propriétaire qui ne possède pas son champ de pruniers d'où il tire d'ailleurs le plus clair de ses revenus. La prune d'ente est également cultivée sur certains points des départements voisins de la Gironde.
La prune d'ente se reproduit par rejetons (drageons) ou par semis. La première méthode, plus expéditive, est la plus généralement employée. On plante en janvier ou février et l'on peut greffer au mois d'août, si la végétation est vigoureuse. Au bout d'un an, le jeune sujet a atteint une hauteur de 2 mètres environ; on le rabat à la fin de février ou au commencement de mars à 1,50 m ou 1,80 m, en ayant soin de lui laisser trois ou quatre bourgeons destinés à former la charpente de l'arbre. Après la seconde pousse, l'éducation en pépinière est terminée et l'on peut commencer la plantation. A l'âge de dix-huit à vingt ans, les pruniers ont acquis leur plus grande force de production. Le rendement moyen de chaque arbre adulte est d'environ 5 à 6 kilogrammes de pruneaux (c'est à dire de 5 à 6 francs).
Ces pruniers, généralement de taille moyenne (6 à 8 mètres de hauteur), affectent une forme gracieusement évasée. Ils sont plantés par lignes parallèles, espacés de 10 à 20 mètres et distants de 8 à 10 mètres les uns des autres. Souvent de longues rangées de vignes courent dans les intervalles des pruniers et entretiennent au pied des arbres une salutaire fraîcheur. On les taille régulièrement chaque année de décembre à mars. Au printemps, les pruniers se couvrent de fleurs. Puis la feuille apparaît, tendre et frêle, et le fruit se forme et mûrit peu à peu. Ce sont cinq mois d'attente, de soins et de soucis, avant l'époque de la cueillette.




Après les moissons, la prune est ramassée par terre après sa chute: c'est une garantie de maturité; en outre, elle se confit plus, acquiert plus de saveur, conserve plus de poids et de volume et devient infiniment plus noire. Le personnel employé à la cueillette, bordiers, bergers et filles de ferme, le chignon noué dans un foulard de soie et les pieds nus dans leurs sabots, s'empresse à la besogne. Groupés sous les pruniers, ils recueillent les fruits dans des paniers en bois et les transportent à la ferme où doit s'effectuer la préparation.




Aussitôt cueillies, les prunes sont placées sur de longues claies mesurant environ 1,40 m de long sur 0, 40 m de large, entourées d'un rebord en bois, et dont le fond est constitué par un treillis de fil de fer. On les laisse ainsi quelques jours dans les claies, exposées au soleil, puis on les passe à l'étuve.
Le modèle d'étuve que nous avons vu employé consiste en une construction de maçonnerie, briques et terre, mesurant environ 2 mètres de haut sur 2,50 m de large et 1,80 à 2 mètres de profondeur. L'intérieur se compose d'une cage de fer supportant huit compartiments superposés à 0, 25 m environ les uns des autres et glissant sur des rails latéraux. 




C'est dans ces compartiments qu'on place les claies. Les prunes, selon leur grosseur et leur maturité, restent un jour ou deux dans l'appareil, chauffé progressivement de 40 à 70 degrés. De 15 à 20 quintaux peuvent ainsi être traités dans la même journée.
Quand la prune est sortie de l'étuve, elle a perdu les 2/3 de son poids en eau et son aspect s'est sensiblement modifié. Sa pulpe lisse et tendue, sa robe violette, feutrée d'un velouté bleuté, a passé au noir et s'est gaufrée, sous l'influence de la chaleur. Le séchage au four achèvera sa cuisson et sa toilette: il lui donnera le vernis brillant qui la rendra plus appétissante et le délicieux arôme qui la fera plus savoureuse. Des claies en bois, façonnées avec des tiges de roseaux, sont préparées pour recevoir la prune au sortir de l'étuve et, une fois garnies, sont placées dans le four où doit se terminer la cuisson. 




Les prunes y séjournent de une heure et demie à six heures. Elles y repassent deux ou trois fois en moyenne, jusqu'à ce qu'elles soient jugées suffisamment confites et prêtes à être livrées à la consommation. Elles sont alors triées à la ferme, suivant leur grosseur, et mises dans des paniers et des corbeilles pour être transportées au marché.
Là les prunes sont vendues à la livre ou au quintal. Le prix varie suivant le nombre de fruits au poids, qui va de 90 à 30 à la livre: moins les fruits sont nombreux à la livre, plus ils sont beaux et plus ils sont chers. Les prix moyens sont de 0,50 fr la livre et de 35 francs le quintal.
Les propriétaires envoient leur récolte au marché, au fur et à mesure de la production; pendant près de deux mois, en septembre et octobre, d'actives transactions s'opèrent: c'est alors que les maisons de gros réalisent leurs achats.
Transportées dans les magasins, les prunes y sont l'objet de nouvelles manipulations. Elles subissent un triage mécanique qui permet de classer rapidement de grandes quantités de fruits; ceux dont la cuisson semble imparfaite sont repassées à l'étuve, puis l'on met les pruneaux en boîtes pour être livrés au commerce. Cette dernière opération se fait aujourd'hui par des moyens mécaniques: au moment de l'expédition, les pruneaux sont aplatis entre deux cylindres revêtus de caoutchouc, puis sont tassés dans les caisses à l'aide d'une machine appelée paqueuse. Le dessus de la boîte seulement est garni à la main par des femmes, désignées sous le joli nom de fleureuses. Les pruneaux qui restent en magasin sont placés dans des manchons de zinc soumis à une température de 120 degrés, puis fermés hermétiquement. Ils peuvent ainsi se conserver pendant plusieurs années.
L'ensemble de la production pour le département du Lot-et-Garonne est évalué en moyenne, à 600.000 quintaux, ce qui représente un chiffre approximatif de 20 millions (La production en 1900 s'est élevée à 800.000 quintaux, 28 millions. c'est un résultat exceptionnel.) Bordeaux est devenu le principal centre commercial de cette importante production; outre les expéditions faites en chemin de fer, particulièrement vers les villes du nord de la France, une centaine de navires quittent annuellement le chef-lieu de la Gironde, transportant dans le monde entier, notamment en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Russie, en Amérique, ces fameux pruneaux qui ont conservé jusqu'à présent une supériorité incontestée sur les produits similaires de la Hongrie, de la Bosnie, de la Serbie et du Mexique, mais qui vont avoir à lutter sérieusement contre la concurrence, de jour en jour plus puissante, des Etats de Californie, de l'Orégon et du Texas, où la culture des pruniers, jadis inconnue, a pris en quelques années une extension considérable. Cette concurrence nouvelle ne pourra que stimuler l'ardeur de nos pruniculteurs gascons. 

                                                                                                                     E. B.

L'Illustration, 14 septembre 1901.

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