Afrique: le Bornou et la contrée de Munga.
Le centre de l'Afrique renferme de nombreuses peuplades guerrières, indomptables, et qui sont perpétuellement en guerre les unes contre les autres; quelquefois, un chef habile et courageux parvient à dompter toutes ces tribus sauvages, mais la soumission n'est jamais de longue durée, et les dévastations recommencent de plus belle.
Une longue inimitié a toujours existé entre les habitants de la contrée de Munga et ceux du royaume de Bornou: plusieurs fois, les principales cités de ce dernier pays ont été ravagées par les Mungowiens, et l'on montre les débris du vieux Birnie qu'ils ont détruit de fond en comble.
Les ruines de cette ville témoignent mieux de la puissance des anciens sultans de cette province que les récits que l'on fait de leurs magnificences. Birnie couvrait un espace de deux lieues carrés, et n'avait pas, dit-on, moins de deux cent mille habitants; plusieurs parties de murs subsistent encore; ils étaient d'une épaisseur de 8 pieds, hauts de 28, et bâtis en briques rouges fort dures. La rivière de Muggabi coule dans les environs; ses bords sont couverts d'une belle verdure et ses eaux très-profondes; elle renferme un grand nombre d'hippopotames, et de temps à autre leurs têtes noires apparaissent à la surface.
Près de ses rives, dans un petit vallon, florissait il y a quatorze ans la ville de Gambarou, qui a donné son nom au district, et qui était la résidence favorite des souverains de Bornou. Les ruines que le temps n'a pas encore détruite prouvent au voyageur que cette ville était digne de la préférence dont elle jouissait.
Parmi les restes d'édifices qu'on aperçoit de toutes parts, on remarque les murs d'une mosquée et ceux du palais des sultans. Toute la ville était bâtie en briques, et devait avoir une plus belle apparence qu'aucune des cités actuelles. La position était superbe; et quoique les campagnes environnantes soient aujourd'hui pleines de ronces et de plantes inutiles, on assure qu'elles étaient autrefois cultivées avec beaucoup de soin.
Des voyageurs anglais, qui ont parcouru l'Afrique en 1836, à une époque où le sultan de Bornou était en guerre contre les Mungowiens, nous ont laissé quelques détails sur la manière de combattre de ces peuplades.
Il y a peu d'ordre dans les marches jusqu'à ce qu'on aperçoive l'ennemi; chacun paraît savoir qu'il doit à tel jour se trouver en tel endroit, et pourvu qu'il atteigne au jour dit l'endroit indiqué, tout est bien. Le sheik marche en tête, et immédiatement après lui vient le sultan de Bornou qui l'accompagne toujours en pareille circonstance, quoiqu'il ne se batte jamais. Le sheik est précédé de cinq drapeaux, deux verts, deux rayés et un rouge, sur lesquels sont écrites en lettres d'or des phrases du Koran; un nègre, jouissant de toute sa confiance, le suit à cheval et porte son bouclier, sa cotte de maille, son casque en acier, toute son armure enfin; un autre, bizarrement habillé avec un chapeau de paille et des plumes d'autruche, tient son tambour: la perte de ce tambour dans l'action est toujours regardée comme malheureuse et déshonorante.
A la suite des officiers, marchent les eunuques et le harem; le sheik n'emmène avec lui que trois femmes, montées sur des petits chevaux dressés avec soin, et que conduit par la bride un jeune esclave; leur tête et leur figure sont complètement cachés par un voile de soie brune. Le sultan de Bornou a cinq fois autant de suite, et son harem est trois fois plus nombreux; il est aussi accompagné par des hommes portant des trompettes de bois creux, et ne cessant jamais d'en tirer quelques sons. Le sheik n'a point de trompettes, attendu que ces instruments sont réservés par privilège à la royauté seule. Devant le sultan s'avance le porte-enseigne; et cette enseigne consiste en un très-long bâton, au bout duquel sont attachés des lanières de cuir et de soie de différentes couleurs, en imitation sans doute des queues du pacha; à sa droite et à sa gauche se tiennent deux guerriers armés de lances énormes, avec lesquelles ils sont censés défendre leur maître dans l'action, car celui-ci manquerait à sa dignité s'il se défendait lui-même; mais ces lances sont tellement surchargées d'amulettes, et ceux qui les portent si abominablement appesantis par leur embonpoint, qu'on ne saurait concevoir que ces armes puissent être dans leurs mains de la moindre utilité; du reste, toutes les autres personnes qui composent la suite des princes, avec leurs têtes grosses comme des outres, leurs ventres protubérants et leurs habits bien rembourrés, présentent le plus ridicule spectacle.
Quand les Mungowiens attaquent une place, c'est la coutume du pays d'y mettre aussitôt le feu; ce sont en effet de simples huttes en paille qui deviennent en un instant la proie des flammes. Les malheureux habitants sont donc obligés de fuir en toute hâte, mais ils tombent alors entre les mains de leurs impitoyables ennemis qui les entourent; et en un clin d’œil les hommes sont massacrés, les femmes et les enfants accouplés et faits esclaves.
Les huttes dans ces contrées sont commodes, bien bâties, vu l'abondance de la longue paille que fournissent les bords des rivières; elles sont divisées intérieurement par des nattes que les femmes fabriquent avec une grande habileté. Toutes ont une porte de paille entrelacée dans un châssis de bois; et quelques habitations des principaux sont entourées d'un mur de nattes qui forme un enclos où se trouve souvent une seconde hutte pour les femmes esclaves. Dans cet enclos sont aussi la vache et les chèvres qui les approvisionnent de lait. Ces malheureuses gens ne défendent que rarement leurs demeures; elles les abandonnent plutôt, et par ce moyen parviennent à s'échapper, si l'attaque n'est pas faite de nuit, ou si l'incendie ne devient pas général avant qu'elles aient eu le temps de fuir.
" Le 1er juin, au lever du soleil, écrit le capitaine Denham, je fus témoin d'un spectacle militaire; le sheik à cheval passa la revue de ses troupes. il s'était fait accompagner par les quatre sultans qui suivaient l'expédition; et en différents endroits du cercle que formaient l'infanterie arabe et la cavalerie bornowienne, on voyait ses principaux esclaves et ses officiers, revêtus de leurs tuniques écarlates brodées d'or, et entourés de gens de leur suite. Quant à lui, son costume était propre et simple: deux chemises de mousseline blanche et très-larges, avec une écharpe de même couleur, et un turban de cachemire, composaient son habillement. A son côté était suspendu le sabre que, disait-il sans cesse, le sultan des Anglais lui avait envoyé; enfin il était monté sur un magnifique cheval bai. Il se plaça au milieu du cercle, tandis que ses soldats favoris, les Kanembous, étaient rangés en colonnes serrées, et au nombre de neuf mille. A un signal qui leur fut fait d'avancer, ils poussèrent un cri, le plus perçant qui ait jamais retenti à mes oreilles; puis ils défilèrent par tribus de huit cents à mille."
Ces guerriers sont entièrement nus, à l'exception d'une ceinture en peau de chèvre ou de mouton qu'ils attachent au-dessus des hanches, avec le côté velu en dehors, et de quelques bandes d'étoffe très-étroites dont ils s'entourent la tête et qui leur traversent la figure sous le nez. Leurs armes sont une lance et un bouclier, avec un poignard placé, pointe en haut et manche en bas, sur la partie intérieure de leur bras gauche, où il est retenu par un anneau qui leur serre le poignet. Leurs boucliers sont faits du bois d'un arbre appelé fogo, et malgré leur immensité, ils ne pèsent que peu de livres; les diverses pièces de bois dont ils sont formés tiennent entre elles au moyen de lanières de cuir de bœuf, et des lanières pareilles sont disposées en zig zag sur le côté extérieur pour l'embellissement; ils ressemblent assez par la forme, à une fenêtre gothique.
A l'abri de cette arme défensive, les Kanembous attaquent les archers en bon ordre et à pas lents; leurs chefs sont à cheval, portant pour seules marques distinctives une tunique bleue et un turban de la même couleur. Lorsqu'ils approchent de la tente où se tient le sheik, ils ralentissent leur marche, et après avoir frappé leurs lances contre leurs boucliers, ce qui produit un grand et bel effet, ils sortent du cercle, s'arrêtent de nouveau et attendent leurs compagnons qui défilent après eux de la même manière. Une noble confiance existe entre ces guerriers et le sheik; il est toujours au milieu d'eux, les harangue avec chaleur et abandon, et tandis que tous l'entourent, c'est à qui baisera ses pieds et les étriers de sa selle.
Au coucher du soleil, lorsque les Kanembous prennent position pour la nuit, et toujours ils la prennent sur les points les plus rapprochés de l'ennemi, un spectacle pittoresque s'offre aux yeux. Ils établissent chaque soir une ligne régulière de poste, ou plutôt de piquets, forts de cinq ou six hommes, qui s'étend de leur corps principal à quelqu'une de leurs tribus stationnée une lieue en avant; ils se couchent d'ordinaire à l'abri de leur boucliers, qui les protègent de la pluie et du vent, aussi bien que des flèches ennemies. Un ou deux hommes de chaque piquet reste toujours éveillé, et à chaque demi-heure ou plus souvent, pendant toute la nuit, on entend les sentinelles se renvoyer de l'une à l'autre un cri convenu. Lorsque le moindre bruit vient à retentir dans le camp, tous frappent de leurs boucliers et poussent un hurlement pour montrer qu'ils se tiennent sur leurs gardes.
L'armée du Bornou était sur le point d'atteindre ses ennemis les Mungowiens, lorsque des centaines de ces derniers se présentèrent devant les tentes du sheik, se prosternant jusqu'à terre, et jetant du sable sur leurs têtes en guise de soumission. Il n'y eut que l'auteur de la rébellion, Malem Fanamy, qui refusa de venir, parce qu'il craignait de perdre la tête: il offrait cependant deux mille esclaves, mille bœufs et trois cents chevaux pour prix de la paix. Comme le but du sheik était de ramener au devoir ce chef rebelle, et non de le mettre à mort, ni même de le dépouiller de ses biens, il refusa toute transaction. Enfin, au bout de quelques jours, Malem Fanamy, contraint par ses sujets qui ne voulaient pas être victimes de son entêtement, suivit l'exemple des autres; il vint au camp monté sur un cheval d'une blancheur éblouissante, avec une suite de mille personnes, et descendant à la porte de la tente du sheik, il se coucha dans la poussière; il eût même jeté du sable sur sa tête, s'il n'en eût été empêché par ordre de ce dernier, qui le fit comparaître devant lui. Comme c'est l'usage en pareille occasion, le coupable était pauvrement habillé et avait la tête découverte. Il s'attendait réellement à être décapité; mais quelles ne furent pas sa surprise, sa joie, lorsque le sheik, après avoir reçut sa soumission, le fit vêtir de huit belles chemises, et le renvoya avec une tête grosse comme six, à cause des pièces d'étoffes dont il la lui entoura.
La politique habile du sheik obtint ainsi un résultat qui le dispensa de continuer son expédition; et d'ailleurs, il n'ignorait pas lui-même que la voie des armes devait lui être fort chanceuse. La nation contre laquelle il avait été sur le point de se mesurer est puissante; les Mungowiens peuvent mener au combat douze mille archers; leurs flèches sont beaucoup plus longues que celles des Felatahs, et ils ont une manière de les empoisonner qui les rend infailliblement mortelles. On conçoit dès lors que le sheik ne dut pas manquer l'occasion de se concilier, par des moyens de douceur, un peuple qui possède des forces si imposantes, et qui, habitant les frontières du Bornou, forme de meilleures troupes que celles des autres tribus. De plus, les Mungowiens combattent généralement à pied, tandis que la plupart des Bornowiens paraissent à cheval sur le champ de bataille. Or, dans ces contrées, c'est l'infanterie qui décide ordinairement la fortune de la guerre, et nous avons dit plus haut le grand cas que le sheik faisait des fantassins kanembous, lesquels marchent toujours à l'ennemi à l'avant de sa cavalerie. Il lui importait donc beaucoup d'incorporer dans son armée les peuples du Munga; l'expédition n'avait pas d'autre but, et elle réussit presque sans coup férir.
Rien de plus triste que les caravanes d'esclaves qui traversent la contrée du Munga pour se rendre à Tripoli; hommes, femmes et jeunes filles, sont tous accouplés au moyen d'anneaux en fer attachés à leurs jambes. Les marchands ont coutume d'engager un esclave à persuader à ses compagnons qu'en arrivant à Tripoli, ils redeviendront libres, et seront habillés de rouge, couleur que tous les nègres aiment avec passion. Par de telles promesses on obtient d'eux qu'ils se soumettent tranquillement à leur sort, jusqu'à ce qu'ils soient trop éloignés de leur patrie, pour que leur évasion soit autrement possible qu'au risque de mourir de faim. Si les centaines et même les milliers de squelettes qui blanchissent au vent du désert, ne révélait assez haut l'affreuse vérité, la bonne mine qu'ont encore les esclaves dans le Bornou où ils sont passablement nourris, comparé avec l'état pitoyable dans lequel ils arrivent au Fezzan, prouverait d'une façon trop claire la vivacité des souffrances qui commencent pour eux à leur sortie de la contrée nègre.
Les cérémonies du mariage dans cette partie de l'Afrique ont quelque chose de si bizarrement chevaleresque, de si supérieur à la ridicule monotonie d'une noce africaine, où cinq cents individus se réunissent, couverts de broderies d'or, et restent à se regarder les uns les autres du matin jusqu'au soir, que nous ne pouvons nous empêcher de les décrire.
Le jour où doit s'accomplir la cérémonie, c'est à dire la dernière des cérémonies qui constituent le mariage, car les époux sont en général fiancés un an d'avance, la musique de la ville ou de la tribu, consistant d'ordinaire en une cornemuse et deux petits tambours, va donner une sérénade à la jeune fille d'abord, ensuite au jeune homme, qui, selon l'usage, se promène par les rues splendidement habillé, avec une partie de la population sur ses talons. Pendant ce temps, toutes les femmes, parées de leurs plus beaux atours, se rendent à la maison de la future, et se plaçant aux différents trous de la muraille qui servent de fenêtres, regardent dans la cour. Quand elles sont ainsi placées, et que la future est en face d'une fenêtre, avec la figure entièrement cachée par son voile, l'usage veut que les habits de noce, chemises de soie, châles, pantalons, voiles, pour montrer l'opulence des futurs époux, soient suspendus du haut en bas de la maison.
Alors on permet aux jeunes chefs arabes de venir présenter leurs hommages; ils sont précédés par leur musique, et deux ou trois femmes, dansant avec beaucoup de dignité un pas lent, s'avancent au centre de la cour, sous la fenêtre de la fiancée; là, les dames saluent leurs visiteurs par des cris de joie, et ceux-ci rendent le salut en posant leur main droite sur leur poitrine, tandis qu'on les promène autour du cercle que forment les invités. Il est rare de voir dans aucun autre pays un pareil assemblage d'yeux noirs et brillants, de larges boucles d'oreilles et de dents blanches.
Après avoir fait le tour du cercle, chaque homme remet son cadeau entre les mains de la principale danseuse qui le montre à la compagnie; et les assistants applaudissent plus ou moins suivant la valeur de l'objet. Avant leur départ, tous les visiteurs déchargent leurs pistolets; puis les dames les saluent par de nouveaux cris.
Lorsque cette cérémonie est terminée, l'épouse, un peu avant le coucher du soleil, se prépare à quitter la maison de son père; on lui envoie à cet effet un chameau, sur le dos duquel est une espèce de fauteuil d'osier, recouvert de fourrures et de châles. Elle y monte et se place de manière à voir devant elle, et néanmoins à cacher tout à fait sa figure aux yeux des autres; on la conduit de cette façon hors de la ville où sont réunis des gens à pied et à cheval, porteurs d'armes à feu. Tous ces tirailleurs, par petits détachements de trois ou quatre, passent et repassent avec vitesse près du chameau de la jeune fille, faisant de fréquentes détonations de leurs armes à ses oreilles; on tremble en songeant au péril qu'elle court, mais ce péril est, à ce qu'il paraît, un honneur qui console en pareil cas de la frayeur qu'on éprouve. Elle fait de cette manière trois fois le tour de la ville; et ce qui n'égaie pas le moins cette scène, c'est que de temps en temps le jeune homme cherche à s'approcher du chameau de sa fiancée qui est entouré de négresses, lesquelles se mettent à crier et à le repousser dès qu'elles l'aperçoivent, au grand amusement des spectateurs.
Enfin, les cavaliers, sans que les décharges de mousqueterie cessent, la conduisent au milieu d'eux et à la demeure de son futur; étant arrivée, il faut toujours qu'elle paraisse fort surprise et refuse de descendre de sa monture: les femmes hurlent, les hommes battent des mains, et elle finit par se décider à entrer dans la maison; alors, quand elle a reçut un morceau de sucre dans la bouche de la main de son fiancé, et qu'elle en a mis un autre dans la sienne, la cérémonie est achevée, et ils sont déclarés mari et femme par les assistants.
Magasin universel, mai 1837.
Des voyageurs anglais, qui ont parcouru l'Afrique en 1836, à une époque où le sultan de Bornou était en guerre contre les Mungowiens, nous ont laissé quelques détails sur la manière de combattre de ces peuplades.
Il y a peu d'ordre dans les marches jusqu'à ce qu'on aperçoive l'ennemi; chacun paraît savoir qu'il doit à tel jour se trouver en tel endroit, et pourvu qu'il atteigne au jour dit l'endroit indiqué, tout est bien. Le sheik marche en tête, et immédiatement après lui vient le sultan de Bornou qui l'accompagne toujours en pareille circonstance, quoiqu'il ne se batte jamais. Le sheik est précédé de cinq drapeaux, deux verts, deux rayés et un rouge, sur lesquels sont écrites en lettres d'or des phrases du Koran; un nègre, jouissant de toute sa confiance, le suit à cheval et porte son bouclier, sa cotte de maille, son casque en acier, toute son armure enfin; un autre, bizarrement habillé avec un chapeau de paille et des plumes d'autruche, tient son tambour: la perte de ce tambour dans l'action est toujours regardée comme malheureuse et déshonorante.
A la suite des officiers, marchent les eunuques et le harem; le sheik n'emmène avec lui que trois femmes, montées sur des petits chevaux dressés avec soin, et que conduit par la bride un jeune esclave; leur tête et leur figure sont complètement cachés par un voile de soie brune. Le sultan de Bornou a cinq fois autant de suite, et son harem est trois fois plus nombreux; il est aussi accompagné par des hommes portant des trompettes de bois creux, et ne cessant jamais d'en tirer quelques sons. Le sheik n'a point de trompettes, attendu que ces instruments sont réservés par privilège à la royauté seule. Devant le sultan s'avance le porte-enseigne; et cette enseigne consiste en un très-long bâton, au bout duquel sont attachés des lanières de cuir et de soie de différentes couleurs, en imitation sans doute des queues du pacha; à sa droite et à sa gauche se tiennent deux guerriers armés de lances énormes, avec lesquelles ils sont censés défendre leur maître dans l'action, car celui-ci manquerait à sa dignité s'il se défendait lui-même; mais ces lances sont tellement surchargées d'amulettes, et ceux qui les portent si abominablement appesantis par leur embonpoint, qu'on ne saurait concevoir que ces armes puissent être dans leurs mains de la moindre utilité; du reste, toutes les autres personnes qui composent la suite des princes, avec leurs têtes grosses comme des outres, leurs ventres protubérants et leurs habits bien rembourrés, présentent le plus ridicule spectacle.
Quand les Mungowiens attaquent une place, c'est la coutume du pays d'y mettre aussitôt le feu; ce sont en effet de simples huttes en paille qui deviennent en un instant la proie des flammes. Les malheureux habitants sont donc obligés de fuir en toute hâte, mais ils tombent alors entre les mains de leurs impitoyables ennemis qui les entourent; et en un clin d’œil les hommes sont massacrés, les femmes et les enfants accouplés et faits esclaves.
Les huttes dans ces contrées sont commodes, bien bâties, vu l'abondance de la longue paille que fournissent les bords des rivières; elles sont divisées intérieurement par des nattes que les femmes fabriquent avec une grande habileté. Toutes ont une porte de paille entrelacée dans un châssis de bois; et quelques habitations des principaux sont entourées d'un mur de nattes qui forme un enclos où se trouve souvent une seconde hutte pour les femmes esclaves. Dans cet enclos sont aussi la vache et les chèvres qui les approvisionnent de lait. Ces malheureuses gens ne défendent que rarement leurs demeures; elles les abandonnent plutôt, et par ce moyen parviennent à s'échapper, si l'attaque n'est pas faite de nuit, ou si l'incendie ne devient pas général avant qu'elles aient eu le temps de fuir.
" Le 1er juin, au lever du soleil, écrit le capitaine Denham, je fus témoin d'un spectacle militaire; le sheik à cheval passa la revue de ses troupes. il s'était fait accompagner par les quatre sultans qui suivaient l'expédition; et en différents endroits du cercle que formaient l'infanterie arabe et la cavalerie bornowienne, on voyait ses principaux esclaves et ses officiers, revêtus de leurs tuniques écarlates brodées d'or, et entourés de gens de leur suite. Quant à lui, son costume était propre et simple: deux chemises de mousseline blanche et très-larges, avec une écharpe de même couleur, et un turban de cachemire, composaient son habillement. A son côté était suspendu le sabre que, disait-il sans cesse, le sultan des Anglais lui avait envoyé; enfin il était monté sur un magnifique cheval bai. Il se plaça au milieu du cercle, tandis que ses soldats favoris, les Kanembous, étaient rangés en colonnes serrées, et au nombre de neuf mille. A un signal qui leur fut fait d'avancer, ils poussèrent un cri, le plus perçant qui ait jamais retenti à mes oreilles; puis ils défilèrent par tribus de huit cents à mille."
Ces guerriers sont entièrement nus, à l'exception d'une ceinture en peau de chèvre ou de mouton qu'ils attachent au-dessus des hanches, avec le côté velu en dehors, et de quelques bandes d'étoffe très-étroites dont ils s'entourent la tête et qui leur traversent la figure sous le nez. Leurs armes sont une lance et un bouclier, avec un poignard placé, pointe en haut et manche en bas, sur la partie intérieure de leur bras gauche, où il est retenu par un anneau qui leur serre le poignet. Leurs boucliers sont faits du bois d'un arbre appelé fogo, et malgré leur immensité, ils ne pèsent que peu de livres; les diverses pièces de bois dont ils sont formés tiennent entre elles au moyen de lanières de cuir de bœuf, et des lanières pareilles sont disposées en zig zag sur le côté extérieur pour l'embellissement; ils ressemblent assez par la forme, à une fenêtre gothique.
A l'abri de cette arme défensive, les Kanembous attaquent les archers en bon ordre et à pas lents; leurs chefs sont à cheval, portant pour seules marques distinctives une tunique bleue et un turban de la même couleur. Lorsqu'ils approchent de la tente où se tient le sheik, ils ralentissent leur marche, et après avoir frappé leurs lances contre leurs boucliers, ce qui produit un grand et bel effet, ils sortent du cercle, s'arrêtent de nouveau et attendent leurs compagnons qui défilent après eux de la même manière. Une noble confiance existe entre ces guerriers et le sheik; il est toujours au milieu d'eux, les harangue avec chaleur et abandon, et tandis que tous l'entourent, c'est à qui baisera ses pieds et les étriers de sa selle.
Au coucher du soleil, lorsque les Kanembous prennent position pour la nuit, et toujours ils la prennent sur les points les plus rapprochés de l'ennemi, un spectacle pittoresque s'offre aux yeux. Ils établissent chaque soir une ligne régulière de poste, ou plutôt de piquets, forts de cinq ou six hommes, qui s'étend de leur corps principal à quelqu'une de leurs tribus stationnée une lieue en avant; ils se couchent d'ordinaire à l'abri de leur boucliers, qui les protègent de la pluie et du vent, aussi bien que des flèches ennemies. Un ou deux hommes de chaque piquet reste toujours éveillé, et à chaque demi-heure ou plus souvent, pendant toute la nuit, on entend les sentinelles se renvoyer de l'une à l'autre un cri convenu. Lorsque le moindre bruit vient à retentir dans le camp, tous frappent de leurs boucliers et poussent un hurlement pour montrer qu'ils se tiennent sur leurs gardes.
L'armée du Bornou était sur le point d'atteindre ses ennemis les Mungowiens, lorsque des centaines de ces derniers se présentèrent devant les tentes du sheik, se prosternant jusqu'à terre, et jetant du sable sur leurs têtes en guise de soumission. Il n'y eut que l'auteur de la rébellion, Malem Fanamy, qui refusa de venir, parce qu'il craignait de perdre la tête: il offrait cependant deux mille esclaves, mille bœufs et trois cents chevaux pour prix de la paix. Comme le but du sheik était de ramener au devoir ce chef rebelle, et non de le mettre à mort, ni même de le dépouiller de ses biens, il refusa toute transaction. Enfin, au bout de quelques jours, Malem Fanamy, contraint par ses sujets qui ne voulaient pas être victimes de son entêtement, suivit l'exemple des autres; il vint au camp monté sur un cheval d'une blancheur éblouissante, avec une suite de mille personnes, et descendant à la porte de la tente du sheik, il se coucha dans la poussière; il eût même jeté du sable sur sa tête, s'il n'en eût été empêché par ordre de ce dernier, qui le fit comparaître devant lui. Comme c'est l'usage en pareille occasion, le coupable était pauvrement habillé et avait la tête découverte. Il s'attendait réellement à être décapité; mais quelles ne furent pas sa surprise, sa joie, lorsque le sheik, après avoir reçut sa soumission, le fit vêtir de huit belles chemises, et le renvoya avec une tête grosse comme six, à cause des pièces d'étoffes dont il la lui entoura.
La politique habile du sheik obtint ainsi un résultat qui le dispensa de continuer son expédition; et d'ailleurs, il n'ignorait pas lui-même que la voie des armes devait lui être fort chanceuse. La nation contre laquelle il avait été sur le point de se mesurer est puissante; les Mungowiens peuvent mener au combat douze mille archers; leurs flèches sont beaucoup plus longues que celles des Felatahs, et ils ont une manière de les empoisonner qui les rend infailliblement mortelles. On conçoit dès lors que le sheik ne dut pas manquer l'occasion de se concilier, par des moyens de douceur, un peuple qui possède des forces si imposantes, et qui, habitant les frontières du Bornou, forme de meilleures troupes que celles des autres tribus. De plus, les Mungowiens combattent généralement à pied, tandis que la plupart des Bornowiens paraissent à cheval sur le champ de bataille. Or, dans ces contrées, c'est l'infanterie qui décide ordinairement la fortune de la guerre, et nous avons dit plus haut le grand cas que le sheik faisait des fantassins kanembous, lesquels marchent toujours à l'ennemi à l'avant de sa cavalerie. Il lui importait donc beaucoup d'incorporer dans son armée les peuples du Munga; l'expédition n'avait pas d'autre but, et elle réussit presque sans coup férir.
Rien de plus triste que les caravanes d'esclaves qui traversent la contrée du Munga pour se rendre à Tripoli; hommes, femmes et jeunes filles, sont tous accouplés au moyen d'anneaux en fer attachés à leurs jambes. Les marchands ont coutume d'engager un esclave à persuader à ses compagnons qu'en arrivant à Tripoli, ils redeviendront libres, et seront habillés de rouge, couleur que tous les nègres aiment avec passion. Par de telles promesses on obtient d'eux qu'ils se soumettent tranquillement à leur sort, jusqu'à ce qu'ils soient trop éloignés de leur patrie, pour que leur évasion soit autrement possible qu'au risque de mourir de faim. Si les centaines et même les milliers de squelettes qui blanchissent au vent du désert, ne révélait assez haut l'affreuse vérité, la bonne mine qu'ont encore les esclaves dans le Bornou où ils sont passablement nourris, comparé avec l'état pitoyable dans lequel ils arrivent au Fezzan, prouverait d'une façon trop claire la vivacité des souffrances qui commencent pour eux à leur sortie de la contrée nègre.
Les cérémonies du mariage dans cette partie de l'Afrique ont quelque chose de si bizarrement chevaleresque, de si supérieur à la ridicule monotonie d'une noce africaine, où cinq cents individus se réunissent, couverts de broderies d'or, et restent à se regarder les uns les autres du matin jusqu'au soir, que nous ne pouvons nous empêcher de les décrire.
Le jour où doit s'accomplir la cérémonie, c'est à dire la dernière des cérémonies qui constituent le mariage, car les époux sont en général fiancés un an d'avance, la musique de la ville ou de la tribu, consistant d'ordinaire en une cornemuse et deux petits tambours, va donner une sérénade à la jeune fille d'abord, ensuite au jeune homme, qui, selon l'usage, se promène par les rues splendidement habillé, avec une partie de la population sur ses talons. Pendant ce temps, toutes les femmes, parées de leurs plus beaux atours, se rendent à la maison de la future, et se plaçant aux différents trous de la muraille qui servent de fenêtres, regardent dans la cour. Quand elles sont ainsi placées, et que la future est en face d'une fenêtre, avec la figure entièrement cachée par son voile, l'usage veut que les habits de noce, chemises de soie, châles, pantalons, voiles, pour montrer l'opulence des futurs époux, soient suspendus du haut en bas de la maison.
Alors on permet aux jeunes chefs arabes de venir présenter leurs hommages; ils sont précédés par leur musique, et deux ou trois femmes, dansant avec beaucoup de dignité un pas lent, s'avancent au centre de la cour, sous la fenêtre de la fiancée; là, les dames saluent leurs visiteurs par des cris de joie, et ceux-ci rendent le salut en posant leur main droite sur leur poitrine, tandis qu'on les promène autour du cercle que forment les invités. Il est rare de voir dans aucun autre pays un pareil assemblage d'yeux noirs et brillants, de larges boucles d'oreilles et de dents blanches.
Après avoir fait le tour du cercle, chaque homme remet son cadeau entre les mains de la principale danseuse qui le montre à la compagnie; et les assistants applaudissent plus ou moins suivant la valeur de l'objet. Avant leur départ, tous les visiteurs déchargent leurs pistolets; puis les dames les saluent par de nouveaux cris.
Lorsque cette cérémonie est terminée, l'épouse, un peu avant le coucher du soleil, se prépare à quitter la maison de son père; on lui envoie à cet effet un chameau, sur le dos duquel est une espèce de fauteuil d'osier, recouvert de fourrures et de châles. Elle y monte et se place de manière à voir devant elle, et néanmoins à cacher tout à fait sa figure aux yeux des autres; on la conduit de cette façon hors de la ville où sont réunis des gens à pied et à cheval, porteurs d'armes à feu. Tous ces tirailleurs, par petits détachements de trois ou quatre, passent et repassent avec vitesse près du chameau de la jeune fille, faisant de fréquentes détonations de leurs armes à ses oreilles; on tremble en songeant au péril qu'elle court, mais ce péril est, à ce qu'il paraît, un honneur qui console en pareil cas de la frayeur qu'on éprouve. Elle fait de cette manière trois fois le tour de la ville; et ce qui n'égaie pas le moins cette scène, c'est que de temps en temps le jeune homme cherche à s'approcher du chameau de sa fiancée qui est entouré de négresses, lesquelles se mettent à crier et à le repousser dès qu'elles l'aperçoivent, au grand amusement des spectateurs.
Enfin, les cavaliers, sans que les décharges de mousqueterie cessent, la conduisent au milieu d'eux et à la demeure de son futur; étant arrivée, il faut toujours qu'elle paraisse fort surprise et refuse de descendre de sa monture: les femmes hurlent, les hommes battent des mains, et elle finit par se décider à entrer dans la maison; alors, quand elle a reçut un morceau de sucre dans la bouche de la main de son fiancé, et qu'elle en a mis un autre dans la sienne, la cérémonie est achevée, et ils sont déclarés mari et femme par les assistants.
Magasin universel, mai 1837.
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