Alphonse XIII.
Le roi d'Espagne est le plus jeune des chefs d'Etat contemporains; s'il était simple citoyen français il ne serait pas encore majeur. On pourrait cependant remplir un gros volume avec les anecdotes dont il a été le héros et les paroles qu'on lui attribue.
Alphonse XIII est né roi, car son père Alphonse XII mourut avant sa naissance. Son premier trône fut un coussin recouvert de dentelles sur lequel on étendit le nouveau-né et qu'on déposa ensuite sur un plat d'or.
De ses mois de nourrice, il y a peu de chose à dire, si ce n'est que sa santé était débile et le resta pendant quelques années. Fort heureusement, la pratique des exercices du corps a rendu le jeune roi très robuste. Il apprit de bonne heure le maniement des armes. On rassemblait au Palais trente jeunes gens des plus nobles familles de Madrid, on leur donnait un tambour et des fusils et Alphonse XIII les faisait manœuvrer. On n'a pas manqué de remarquer que le futur souverain se plaisait beaucoup à ces exerces militaires. Quel est, je vous le demande, le petit garçon qu'on ne comblera pas de joie en lui offrant une panoplie de cuirassier?
L'instruction littéraire et scientifique d'Alphonse XIII n'a pas été négligée. Outres les matières habituellement enseignées, il est informé des choses de l'agriculture qui l'intéressent particulièrement. Il possède parfaitement le français et l'allemand. Sa vie est exactement réglée. Veut-on connaître l'emploi de sa journée? Il se lève à sept heures et fait sa prière, ayant été élevé dans des habitudes pieuses. Il déjeune ensuite très copieusement: on assure qu'un beefteck d'une livre ne l'effraie pas. La matinée est consacrée aux affaires de l'Etat. A une heure, le roi prend son repas, puis se promène, soit à cheval, soit dans une voiture qu'il conduit lui-même, soit en automobile; il aime l'équitation à tel point qu'il s'est fait construire un manège où il se livre à toutes sortes d'exercices périlleux.
Si le temps ne permet pas ces distractions, Alphonse XIII se met au piano, lit, ou fait "un billard" avec un de ses adjudants. Il se remet ensuite au travail et, avant le dîner qui a lieu vers huit heures, parcourt les journaux et les revues. Dans la soirée, il fait une partie d'échecs ou de billard et se couche vers onze heures.
Il déteste l'étiquette et les cérémonies. Un de ses plus grands plaisirs est de montrer son agilité. Un jour de régates, à Barcelone, il gagna la tribune royale en sautant par dessus toutes les chaînes qu'on avait tendues pour séparer les places.
L'an dernier, à l'issue d'un bal à la cour d'Angleterre, auquel il avait assisté, il regagnait son appartement en même temps que la reine Alexandra, dont la chambre donnait sur la même galerie. En prenant congé de la reine, il lui dit:
- Vous savez que je suis un peu acrobate. Vous plairez-t-il de me voir travailler?
Et comme la reine répondait par un sourire, il gagna la porte de son appartement en exécutant une série de sauts périlleux.
Depuis qu'il est marié, Alphonse XIII a sans doute acquis plus de gravité. Ce mariage, qui a fait, dit-on, le bonheur des deux époux, a causé une cruelle désillusion à bien des jeunes filles. Toutes les familles princières avaient une fiancée pour le roi d'Espagne. L'archiduchesse Elisabeth, fille du prince défunt Rodolphe d'Autriche et de la princesse Stéphanie de Belgique, la princesse Louise d'Orléans, fille du comte de Paris, ont caressé plus que toute autre le rêve de devenir sa femme. Le duc de Connaught, plus hardi, fit le voyage d'Espagne pour apporter, à titre d'échantillon, le portrait de S. A. R. Patricia de Connaught. Souhaitons qu'Alphonse XIII n'ait jamais de regrets d'avoir préféré à une Connaught une Battenberg et que le duc commis voyageur obtienne bientôt, dans quelque autre cour, une commande avantageuse.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 17 février 1907.
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