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samedi 16 janvier 2016

L'abbaye de Saint-Matthieu.

L'abbaye de Saint-Matthieu
                 en Bretagne.



Plougonvelen renferme les débris de la célèbre abbaye de Saint-Matthieu de Fin de terre (Loc-Mahé-Pen-ar-Bed) (1). Ravagée à plusieurs reprises par les Saxons, les Normands, les Anglais, l'abbaye avait fini par perdre tous ses titres, en sorte que son histoire demeure incertaine.
Bâtie au sixième ou septième siècle, on lui donne pour fondateur saint Tanguy, fils d'un seigneur du Chastel. Les parents du jeune religieux se plurent à doter son monastère et voulurent joindre son prénom à leur nom patronymique, d'où: Tanguy ou Tanneguy Du Châtel. L'opinion la plus commune veut que l'abbaye reçut les reliques de l'évangéliste saint Matthieu. On ajoute, chose invraisemblable, que la sépulture de saint Tanguy n'a point été troublée et se trouve dans la chapelle faisant suite à un portail gothique assez bien conservé.
Des ruines entières, les plus imposantes sont celles de l'église, bâtie au treizième siècle, la façade, les pignons triangulaires percées de fenêtres ogivales, se présentent bien encore. De grosses colonnes rondes soutiennent les arceaux; les chapiteaux sont ornés de plantes aquatiques et de feuilles de trèfle. Les transepts sont plus élevés que la nef. Deux arcades, reposant sur un groupe de huit colonnes, forment les côtés du chœur, dont la voûte n'existe plus. Le chevet droit est soutenu par deux arcs-boutants extérieurs.
L'ensemble devait constituer un noble édifice, et il est à regretter que la fureur humaine de destruction, beaucoup plus que celle des éléments, ait causé un désastre irréparable.
L'abbaye de Saint-Matthieu entretenait avec soin un fanal ou phare, dont les restes sont encore visibles. Mais au commencement du dernier siècle, la pauvreté des moines étant devenue grande, l'administration de la marine établit ce feu, si utile aux marins, dans le clocher de l'église, maintenant tombé. Un superbe phare à feu tournant et éclipses l'a remplacé. Il projette sa lumière à vingt-quatre kilomètres.
C'est vis à vis de Saint-Matthieu qu'eut lieu le combat où périt le vaisseau la Cordelière, commandé par l'héroïque Primoguet (ou Portzmoguer). Selon une ancienne habitude prise, les Anglais ravageaient constamment les côtes bretonnes. Primoguet, à qui avait été confié le commandement du beau vaisseau, construit par les ordres de la reine Anne, au Dourdu (1500), résolut de se mettre à la poursuite des pillards. Il n'avait que dix-neuf autres navires avec lui quand, le 10 août 1513, il rencontra à la hauteur de Saint-Matthieu la flotte anglaise composée de quatre-vingt voiles. Primoguet ne recule pas devant le nombre. Par ses paroles, par ses actions, il enthousiasme ses équipages et, déjà, la victoire se déclarait pour lui, lorsque soudain, un incendie éclate à son bord. Loin de se décourager, il fait déployer toutes ses voiles et court sur le vaisseau amiral anglais, la Régente, de manière à ce que le vent y communique les flammes dévorant la Cordelière.
Le but est atteint, l'ennemi ne saurait plus lutter, son navire éclatera tout à l'heure... Primoguet n'a pas laissé la Cordelière sans vengeance, il peut songer à sa propre sûreté, et se jette à la mer, nageant pour regagner sa flotte...
Un cri de douleur jaillit de la poitrine de ses hommes. La pesanteur des armes en usage à cette époque, et dont l'héroïque capitaine ne s'était pas défait, entraîne sa perte... La victoire coûte cher parfois! Les Bretons en faisaient l'épreuve.
Quatre vaisseaux, armés par les habitants du Croisic, avaient largement contribué au succès de la journée. Les Croisicais gardent ce glorieux souvenir dans leurs annales, comme la marine française honore la mémoire de Primoguet.
En tout temps, le tableau découvert de la pointe de Saint-Matthieu est admirable.
Néanmoins, pour l'embrasser dans sa sublimité, c'est au crépuscule d'une soirée d'équinoxe qu'il faut venir le contempler.
Les flots écumants de l'Atlantique se tordent autour des récifs; les îles dominent la mer, ou paraissent s'engloutir sous les montagnes d'eau hurlantes qui les assiègent; la côte, déchiquetée, s'avance ou recule, minée en grottes, dressée de promontoires, creusée en baies, toute résonnante de la voix des écueils.
A droite, la route du Nord, aux passages hérissés de rochers; en face, le large, comme protégé par une ceinture de granit impénétrable; à gauche, les premiers contours de la baie de Douarnenez, l'entrée de la rade de Brest; derrière soi, le spectre de l'abbaye morte et, planant sereine au-dessus de l'Océan, la lumière du phare se reflète blanche, étincelante dans le tourbillon des vagues!...

                                                                                                  Vattier d'Ambroyse.

(1) Cellule de Saint-Matthieu de la Tête, ou fin de terre.

L'Illustré pour tous, choix de bonnes lectures, 18 juin 1885.

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