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mercredi 13 janvier 2016

Colonies pénales.

Colonies pénales.


Parmi un grand nombre de faits curieux dont abonde l'histoire des colonies pénales de l'Angleterre, et qu'a recueillis M. Michaux dans sa remarquable étude sur la question des peines, on en distingue deux qui éclairent d'un jour assez vif les causes du succès de la colonisation australienne.
Le première population, débarquée en 1788, ne se composaient que de criminels entièrement à la charge de l'Etat; les éléments les plus impurs y dominaient sans autre frein qu'une petite force armée. Bientôt, sous l'influence moralisante du travail agricole, en présence d'une nature féconde qui promettait de beaux fruits, avec l'espoir d'une libération plus prompte ou de la possession d'un coin de terre, il se fit naturellement un partage entre les incorrigibles gangrenés jusqu'à la moelle, et les repentants jaloux de racheter leur passé. Une multitude de nuances s'interposait entre ces extrêmes; mais, dans la balance, le plateau des bons finit par l'emporter de beaucoup.
Cela n'eût point suffit, cependant, si le gouverneur Phillip ne se fût attaché, dès les premiers temps, à former un noyau de colons libres, d'abord en s'adressant au personnel des navires de transport, puis en attirant d'Angleterre des recrues, qu'il favorisa par des concessions de terrain et par la location de la main-d'oeuvre des déportés. Ce fut là le nœud de la colonisation et la maîtresse clef du succès.
L'état moral s'améliora singulièrement. Le noyau honnête déborda sur la population criminelle d'origine, et celle-ci s'épura par l'exemple. Moins de quinze ans après l'arrivée du premier convoi, le quart du revenu de la colonie était consacré à l'instruction publique, et une maison de refuge était créée pour soixante orphelines!  C'était des signes frappants d'une régénération générale.
En 1806, arriva un nouveau gouverneur, précédé par la réputation d'une sévérité inflexible. Ce fut une erreur du ministère anglais. Des conflits s'élevèrent; les résistances et les répressions s'accentuèrent; une issue fatale semblait inévitable, lorsqu'un matin, sans bruit, sans lutte, le gouverneur se trouva prisonnier dans son hôtel, où il fut tenu enfermé jusqu'à ce qu'une occasion s'offrit de s'embarquer pour l'Angleterre!
Cette révolte mesurée, quoique très-décisive, n'est-elle pas surprenante de la part de tels hommes, dont on aurait plutôt attendu des excès de vengeance? Bannis de leur patrie pour avoir méconnu les lois d'une société normale, ils se bornent à y renvoyer le chef qui se montre inhabile à gouverner une société exceptionnelle engagée dans les épreuves de l'expiation. C'est en quelque sorte de la déportation renversée, et comme une réponse, non sans malice, aux partisans d'une répression à outrance.
Ce premier fait appartient à la colonie australienne; le second est de l'autorité métropolitaine, et mit en relief la sagacité du colonel Macquerie, le nouveau gouverneur dont le nom vivra longtemps dans la mémoire des Australiens.
"Son début fut hardi. Un libéré, signalé pour sa bonne conduite, fut pourvu d'un office de magistrature. Cette audace était profondément habile, dit M. Michaux; on y reconnait à la fois un grand sentiment de philosophie et un grand sens pratique. La rédemption du péché originel était toute entière dans cette sorte d'antithèse: l'homme jugé devenant juge."
On peut tirer, rien que dans ces deux faits, un enseignement sérieux: c'est, en premier lieu, que le ministère anglais, après avoir fait son choix avec maturité, laisse une grande latitude au gouverneur; que ce chef laisse à son tour une grande latitude à l'initiative et à l'activité personnelle des colons; qu'enfin les colons, étant déjà, par la nature de leur race, disposés à agir de leur propre mouvement, ils puisent dans la conduite du gouverneur à leur égard de nouveaux motifs pour se gouverner eux-mêmes en hommes sensés.

Le Magasin pittoresque, février 1875.

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