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mardi 5 janvier 2016

Ceux dont on parle.

L'acteur Prince.

Dégingandé, ses longs bras ballants, la tête légèrement de travers et le nez retroussé, Prince fait son entrée, et la salle de rire avant qu'il n'ait rien dit. Il est de cette race d'acteurs qui rendent aux écrivains dramatiques les plus grands services, puisqu'ils leur garantissent par leur mimique amusante les applaudissements que peut-être le dialogue à lui seul n'aurait pas suffit à provoquer.



Prince a été qualifié de "fantoche désarticulé", de "pantin anglo-américain", et ces expressions dépeignent assez bien la sécheresse dépourvue de grâce de ses gestes. C'est dans les rôles de potache qu'il obtient ses effets les plus comiques. La tunique à boutons de métal dont les extrémités courent après les siennes sans jamais parvenir à les atteindre, fait un amusant contraste avec ce corps allongé.
Prince n'est pas arrivé du premier coup au genre qui lui a si bien réussi. Sa première ambition fut de jouer la comédie, la vraie. Il entra au Conservatoire, suivit les leçons de M. Worms, se laissa couronner en 1896 par un jury qui le prit pour un comédien de race et acheva son initiation par un séjour à l'Odéon. Il n'y avait guère place aux cabrioles dans une existence aussi sagement menée.
Mais Prince ne tardait pas à dépouiller "le jeune homme", il entrait aux Variétés, inaugurait les gambades et les contorsions qui l'ont rendu célèbre et devenait bientôt titulaire à ce théâtre de l'emploi de premier clown, qu'un traité lui assurait pour plusieurs années.
Tout en restant attaché aux Variétés, Prince obtint de son directeur l'autorisation de se produire sur d'autres scènes pour utiliser ses loisirs. C'est ainsi qu'on le vit au Moulin-Rouge où l'ancien pensionnaire de l'Odéon jouait de façon irrésistible, que de chemin parcouru!, une opérette anglaise très amusante intitulée: The Toreador.
Parmi les interprètes de cette pièce se trouvait une actrice très complimentée par la grâce et l'entrain de son jeu: Miss Campton n'était autre que la femme légitime de Prince.
Cette union fut d'ailleurs assez rapidement rompue. Dès l'année 1905, on pouvait lire dans les annonces légales affichées au Palais de Justice, que le divorce était prononcé entre M. Charles-Ernest Petitdemange et Mme Emily-Straham Cager, c'est à dire entre les époux Prince dont pas un n'a cru devoir porter son vrai nom au théâtre.
M. Prince, pour sa part, change de nom avec la plus grande facilité. Pendant quelque temps, un acteur nommé Seigneur a joué avec un certain succès sur la scène du Tréteau de Tabarin et sur celle de la Bodinière. M. Seigneur n'était autre que M. Prince, qui ne voulait pas que l'élève de M. Worms parût sous son nom dans les théâtres de troisième ordre. Quand les princes s'encanaillent, ils le font incognito.

                                                                                                                                 Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 mars 1908.

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