La distribution des drapeaux en 1880.
Rien n'était charmant ce matin de juillet, comme l'arrivée de la foule à Longchamp, et surtout par la pittoresque descente de Suresnes. C'est par là que, comme aux jours de Grand Prix, les Parisiens arrivaient à flots. Et alors, de la gare au pont de Suresnes, c'était comme un ruissellement de robes claires, de chapeaux de paille, de rubans tricolores, de toilettes gaies au-dessus desquelles l'aigrette blanche d'un colonel se dressait, comme un lis dans un champ de marguerites, de bluets et de coquelicots. Et c'étaient des robes tricolores, des casquettes tricolores, des médailles à toutes les boutonnières, des drapeaux à toutes les tapissières, des cocardes à tous les chars à banc, des lampions à tous les logis, des lanternes, des banderoles, des oriflammes.
Mais, cette fois, ce n'était pas la musique qui passait, c'était le drapeau de la patrie qui clapotait sous le soleil.
La foule était un peu plus qu'une foule parisienne: c'était une foule française. On était venu de partout...
On n'oublie pas un tel spectacle: lorsque, avant la distribution des drapeaux, le président lut son allocution, un grand frémissement parcourut la foule. On sentait que c'était la France armée qui se groupait là devant cet homme en habit noir, la poitrine traversée du grand cordon rouge, et qui, au nom de la nation, parlait aux soldats de la patrie.
Tous groupés devant lui, les fantassins à sa droite, les cavaliers à sa gauche, ils regardaient ce lambeau de papier qu'un rayon de soleil éclairait et qui était le mot de "Loi" jeté aux serviteurs de la Loi. Et quand, des deux côtés de cette tribune, sur le fond de velours rouge où se détachaient les têtes pâles, les uniformes, les habits noirs et les chamarrures, les grands cordons verts ou rouges, les aigrettes des uniformes étrangers, deux à deux, puis quatre à quatre, puis en masse, les drapeaux apparurent, des deux côtés de cette estrade où le président de la République était debout entre le président du Sénat placé à sa droite et le président de la Chambre à sa gauche, un grand cri, un cri d'enthousiasme et d'espoir, sortit de toutes les poitrines.
C'était, à la fois, comme la gloire passée de la France qui réapparaissait, avec toute la poésie de l'avenir et de l'espérance, dans ces étendards tricolores portés par les colonels et remis aux porte-drapeaux après le salut aux représentants de la nation. Ce n'étaient pas seulement les fanfares et les coups de clairon qui montaient dans l'air, saluant ces drapeaux nouveaux, vierges d'affronts, héritiers de ces noms de gloire qu'ils portent sur leurs plis et que le soleil faisait étinceler, avec leurs couronnes d'or et leurs trois couleurs françaises. C'était le salut de tout un peuple à toute une armée. C'était le cri de la mère patrie, voyant revivre, marcher, redresser sa taille, cette partie d'elle-même qu'elle avait crue morte, qui, en 1871, sur ce même coin de terre, passait, avec des régiments hybrides et des uniformes en lambeaux, et qui maintenant, faisait fière figure dans le rayonnement d'un jour de fête.
Oui, c'était la nation laborieuse, pacifique, saluant la nation armée. Car sait-on tout ce que représente d'efforts réunis ce brillant défilé qui était pour les uns un spectacle, pour les autres une émotion, pour tous un enseignement? Sait-on ce que la précision de ces mouvements a coûté de travail aux instructeurs, de dévouement à nos soldats? Et ce luxe de la décoration, ces équipements, ces canons, ces équipages, songe-t-on que tout cela est fait de l'épargne, du produit de la France qui travaille, de la France artiste, artisan, fabricant, ouvrier, ingénieur, savant, de la France qui a toujours payé et toujours réparé les folies de ses gouvernants?
Tous, on les revoyait, ces uniformes de l'armée de France! On saluait au passage les drapeaux portés par les chasseurs à pied, tirailleurs éternels de toutes les batailles, par les fantassins en tunique ou en capote bleue, soldats de quatre sous qui, disait un maréchal, font la fortune des généraux, petits fermiers, laboureurs, artisans, enfants du peuple, qui sont comme le ferment de la victoire. On saluait les artilleurs debout et comme soudés sur leurs affûts, les chasseurs filant au trot de leurs petits chevaux à longues crinières, les cuirassiers, les dragons et cette poignée d'hommes dont on n'avait pas vu depuis si longtemps les glorieux uniformes, les turbans, les fez rouges et les guêtres blanches, zouaves et turcos d'Afrique, spahis aux burnous blancs qui représentent pour nous une autre terre, une autre armée, tant de fiers souvenirs, Constantine, Isly, la Smala, toute une génération d'hommes, Bugeaud, Lamoricière, le duc d'Aumale, et toute une suite de victoires: l'Algérie, la terre lointaine, la colonie, mais toujours la France!
Qui sait ce que tant d'hommes rassemblés, soldats ou spectateurs, pouvaient penser au fond de l'âme? Je l'ignore! Mais à coup sûr, ce matin-là, devant le foisonnement et le clapotement de ces drapeaux, devant cette scène imposante, baptême d'une armée par une République, il n'y avait qu'un élan, qu'une pensée, un cri, un amour: la patrie!
Jules Clarétie.
de l'Académie française.
Les annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 13 juillet 1913.
C'était, à la fois, comme la gloire passée de la France qui réapparaissait, avec toute la poésie de l'avenir et de l'espérance, dans ces étendards tricolores portés par les colonels et remis aux porte-drapeaux après le salut aux représentants de la nation. Ce n'étaient pas seulement les fanfares et les coups de clairon qui montaient dans l'air, saluant ces drapeaux nouveaux, vierges d'affronts, héritiers de ces noms de gloire qu'ils portent sur leurs plis et que le soleil faisait étinceler, avec leurs couronnes d'or et leurs trois couleurs françaises. C'était le salut de tout un peuple à toute une armée. C'était le cri de la mère patrie, voyant revivre, marcher, redresser sa taille, cette partie d'elle-même qu'elle avait crue morte, qui, en 1871, sur ce même coin de terre, passait, avec des régiments hybrides et des uniformes en lambeaux, et qui maintenant, faisait fière figure dans le rayonnement d'un jour de fête.
Oui, c'était la nation laborieuse, pacifique, saluant la nation armée. Car sait-on tout ce que représente d'efforts réunis ce brillant défilé qui était pour les uns un spectacle, pour les autres une émotion, pour tous un enseignement? Sait-on ce que la précision de ces mouvements a coûté de travail aux instructeurs, de dévouement à nos soldats? Et ce luxe de la décoration, ces équipements, ces canons, ces équipages, songe-t-on que tout cela est fait de l'épargne, du produit de la France qui travaille, de la France artiste, artisan, fabricant, ouvrier, ingénieur, savant, de la France qui a toujours payé et toujours réparé les folies de ses gouvernants?
Tous, on les revoyait, ces uniformes de l'armée de France! On saluait au passage les drapeaux portés par les chasseurs à pied, tirailleurs éternels de toutes les batailles, par les fantassins en tunique ou en capote bleue, soldats de quatre sous qui, disait un maréchal, font la fortune des généraux, petits fermiers, laboureurs, artisans, enfants du peuple, qui sont comme le ferment de la victoire. On saluait les artilleurs debout et comme soudés sur leurs affûts, les chasseurs filant au trot de leurs petits chevaux à longues crinières, les cuirassiers, les dragons et cette poignée d'hommes dont on n'avait pas vu depuis si longtemps les glorieux uniformes, les turbans, les fez rouges et les guêtres blanches, zouaves et turcos d'Afrique, spahis aux burnous blancs qui représentent pour nous une autre terre, une autre armée, tant de fiers souvenirs, Constantine, Isly, la Smala, toute une génération d'hommes, Bugeaud, Lamoricière, le duc d'Aumale, et toute une suite de victoires: l'Algérie, la terre lointaine, la colonie, mais toujours la France!
Qui sait ce que tant d'hommes rassemblés, soldats ou spectateurs, pouvaient penser au fond de l'âme? Je l'ignore! Mais à coup sûr, ce matin-là, devant le foisonnement et le clapotement de ces drapeaux, devant cette scène imposante, baptême d'une armée par une République, il n'y avait qu'un élan, qu'une pensée, un cri, un amour: la patrie!
Jules Clarétie.
de l'Académie française.
Les annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 13 juillet 1913.
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