Son regard et ses yeux.
Je reçois d'une de mes correspondantes une lettre émue et pleine de détresse: elle se désole, elle s'accuse parce que son affection conjugale n'a plus la même gaieté qu'autrefois.
"Figurez-vous, me dit-elle, que j'arrive à regarder Albert avec des yeux indifférents: le haut de sa tête se dégarnit, ses tempes blanchissent, ses mains jaunissent; parfois je me surprends à l'examiner comme un étranger; ce n'est pas lui que j'ai épousé, c'était un homme jeune, séduisant alerte...
"Puis je m'en veux affreusement de ces pensées, je me dis que de tels sentiments ne devraient jamais entrer dans le cœur d'une bonne épouse.
"Vous comprenez bien Madame que je l'aime tout de même, mais je ne puis m'empêcher de voir tous ces ravages et d'en être navrée.
"Maintenant, un autre chagrin, qui est la conséquence logique de celui-là, me hante. Je vieillis moi aussi et certainement, il m'est arrivé ou il arrivera prochainement que mon mari ressentira cet éloignement attristé, cet étonnement douloureux que j'éprouve parfois. Alors? Que faire? chère madame, quel remède m'indiquerez-vous? Y en a-t-il seulement un?"
Ma chère lectrice, calmez-vous, nous allons trouver ensemble ce que vous désirez, n'en doutez pas.
Tout d'abord, laissez-moi vous dire que nous sommes tous attristés les uns et les autres quand nous découvrons les traces affligeantes de la vieillesse sur un visage cher; quand les rides marquent autour des yeux, qu'elle déforment les ailes d'un nez délicat ou qu'elles labourent des joues jadis rondes. Notre mélancolie artistique est celle que ressent un propriétaire en voyant les chères statues de son parc rongées par la mousse tenace, rien ne peut nous l'éviter.
Mais, écoutez-moi bien chère lectrice, sachez que votre tristesse ne doit pas dépasser ce domaine de la mélancolie artistique et qu'elle ne doit en aucune façon, atteindre la chaude affection que vous portez à votre mari. Vous l'avez aimé parce qu'il était beau, mais pour d'autres raisons plus sérieuses aussi, je l'espère. Il faut que vous disiez avec l'un des héros d'un roman contemporain.
"Je préfère son regard à ses yeux, sa voix à ses lèvres."
Comprenez-vous bien tout ce qu'il y a de délicat, d'intellectuel dans cette nuance! Les lèvres se crisperont de rides peut-être, mais sa voix restera toujours vibrante d'enthousiasme et de bonté, les yeux se plisseront, perdront de leur éclat sans doute, mais le regard restera toujours droit et caressant. Attachez-vous aux qualités qui durent, aux avantages immatériels, aux reflets de l'âme.
Alors vous n'aurez plus de ces effrois, de ces tristesses en regardant, sans le reconnaître, celui que vous aimez, que vous devez aimer toujours.
Obtenez aussi que son affection soit de même nature; si au début vous découvrez qu'il préfère vos yeux à votre regard, ingéniez-vous à produire chez lui ce mouvement tournant, amenez-le à apprécier votre entrain, votre bonté, votre noblesse d'âme, votre générosité.
Vous pourrez alors tous deux vieillir la main dans la main, un peu lassés par l'âge, mais toujours tendres et confiants.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 février 1908.
"Figurez-vous, me dit-elle, que j'arrive à regarder Albert avec des yeux indifférents: le haut de sa tête se dégarnit, ses tempes blanchissent, ses mains jaunissent; parfois je me surprends à l'examiner comme un étranger; ce n'est pas lui que j'ai épousé, c'était un homme jeune, séduisant alerte...
"Puis je m'en veux affreusement de ces pensées, je me dis que de tels sentiments ne devraient jamais entrer dans le cœur d'une bonne épouse.
"Vous comprenez bien Madame que je l'aime tout de même, mais je ne puis m'empêcher de voir tous ces ravages et d'en être navrée.
"Maintenant, un autre chagrin, qui est la conséquence logique de celui-là, me hante. Je vieillis moi aussi et certainement, il m'est arrivé ou il arrivera prochainement que mon mari ressentira cet éloignement attristé, cet étonnement douloureux que j'éprouve parfois. Alors? Que faire? chère madame, quel remède m'indiquerez-vous? Y en a-t-il seulement un?"
Ma chère lectrice, calmez-vous, nous allons trouver ensemble ce que vous désirez, n'en doutez pas.
Tout d'abord, laissez-moi vous dire que nous sommes tous attristés les uns et les autres quand nous découvrons les traces affligeantes de la vieillesse sur un visage cher; quand les rides marquent autour des yeux, qu'elle déforment les ailes d'un nez délicat ou qu'elles labourent des joues jadis rondes. Notre mélancolie artistique est celle que ressent un propriétaire en voyant les chères statues de son parc rongées par la mousse tenace, rien ne peut nous l'éviter.
Mais, écoutez-moi bien chère lectrice, sachez que votre tristesse ne doit pas dépasser ce domaine de la mélancolie artistique et qu'elle ne doit en aucune façon, atteindre la chaude affection que vous portez à votre mari. Vous l'avez aimé parce qu'il était beau, mais pour d'autres raisons plus sérieuses aussi, je l'espère. Il faut que vous disiez avec l'un des héros d'un roman contemporain.
"Je préfère son regard à ses yeux, sa voix à ses lèvres."
Comprenez-vous bien tout ce qu'il y a de délicat, d'intellectuel dans cette nuance! Les lèvres se crisperont de rides peut-être, mais sa voix restera toujours vibrante d'enthousiasme et de bonté, les yeux se plisseront, perdront de leur éclat sans doute, mais le regard restera toujours droit et caressant. Attachez-vous aux qualités qui durent, aux avantages immatériels, aux reflets de l'âme.
Alors vous n'aurez plus de ces effrois, de ces tristesses en regardant, sans le reconnaître, celui que vous aimez, que vous devez aimer toujours.
Obtenez aussi que son affection soit de même nature; si au début vous découvrez qu'il préfère vos yeux à votre regard, ingéniez-vous à produire chez lui ce mouvement tournant, amenez-le à apprécier votre entrain, votre bonté, votre noblesse d'âme, votre générosité.
Vous pourrez alors tous deux vieillir la main dans la main, un peu lassés par l'âge, mais toujours tendres et confiants.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 février 1908.
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