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dimanche 31 janvier 2016

Jeux d'autrefois; le volant et les grâces.

Jeux d'autrefois: le volant et les grâces.

Oh! le pur et lointain délice, dans le bleu d'été qui décroît, que d'évoquer les petits à voix d'enfant de chœur et les jeunes filles aux nattes allemandes, paisiblement essoufflés par une candide partie de volant ou de grâces!...
Je me souviens. Par les rues si sympathique de nos villes de province aux pavés séculaires, sous les arbre du mail ou le long des remparts désarmés, à l'heure apaisante du soir, quand les gens sont assis près du seuil, sur des chaises basses, les mains aux genoux, que les chats rêvent, leur museau barbare pointé vers la chatière de la lune, et qu'en sifflant passe et repasse devant la fenêtre du grenier l'hirondelle de l'angélus..., le volant, modeste et sage aïeul du diabolo, n'escaladant jamais les nues, s'élevait tout au plus lourdement, dans les coups heureux, jusqu'au balcon de l'entresol, adorable à voir accomplir sa lente chute quand il tourbillonnait, mal soutenu par le petit diadème de plumes d'oie qui le coiffait comme un chef indien, pour venir se nicher dans les cheveux blancs de la grand'mère ("Ah! Mon Dieu, qu'est-ce qu'il m'arrive?") où il fallait l'aller quérir.



J'ai longtemps conservé un de ces volants. Tel qu'une phalène, je l'avais piqué près de ma glace, transperçant son corps d'étoffe, et il me rappelait toujours, quand je le regardais, le geste honnête et poétique des jolies fillettes de ma jeunesse, ayant bien l'air, en effet, quand elles rabattaient sur lui leur raquette, de folâtrer à la chasses aux papillons. Et ces raquettes-là, mignonnes coquettes, ne pesant pas plus qu'un tire-bouchon, semblables à des passoires de poupée, est-il raisonnable de les comparer aux raquettes d'aujourd'hui, vastes comme des cribles à cailloux, agencées avec des bois de construction de navires, tendues de boyaux de fer et qui, même dans une main virginale, pouvait devenir aussi redoutables qu'un casse-tête de détective?
Nous avions aussi, jadis, les grâces, si bien nommées, les grâces qui symbolisaient toute une époque, toute une éducation, toute une France d'amabilité, de quiétude et de politesse, de bienveillance malicieuse et tendre, de mœurs charmantes et bonnes.
Que j'envie donc celui-là dont les sœurs bien élevées et leurs amies des "Oiseaux", et la cousine, et l'espiègle fiancée ont, en robes blanches et en souliers de prunelle, joué aux grâces dans la cour à bornes de pierre d'un antique hôtel familial, ou sur la terrasse d'un parc, à la campagne, aux alentours de 1840.



Il a connu intimement une des plus chères douceurs de vivre, et, plus tard, bien plus tard, quand les sœurs, les amies des sœurs, la cousine ou la fiancée devenue sa femme, sa vieille compagne, étaient courbées à force d'avoir salué les années et portaient leur blanc visage plus rapproché des feuilles mortes de la terre, il n'a eu cependant qu'à mettre à plat sa main sur ses yeux fidèles pour les revoir avec extase droites, longues, en mousseline volantes et chaussées plat, ondines étrusques de Louis-Philippe, se revoyant, du bout de leurs bâtons croisés sur leur têtes comme deux inoffensives épées, l'étroit cerceau de velours grenat galonné d'or qui nimbait leur front pur!...

                                                                                                                 Henri Lavedan.
                                                                                                            de l'Académie française.

Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 21 septembre 1913.

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