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lundi 4 janvier 2016

Un traîneau du seizième siècle.

Un traîneau du seizième siècle.






Le traîneau-dragon que nous représentons ici passe pour un ouvrage russe; M. Théophile Gautier, qui a visité la Russie et décrit les traîneaux russes, assure qu'il faut réserver à la Hollande ces formes fantasques de cygne, de dragon, de conque marine, à dorure et attelages empanachés. Tout élément d'appréciation nous manque; le savant directeur du Musée de Cluny n'a pas encore donné son avis, et le catalogue ne mentionne pas notre traîneau. Tout le corps du monstre (sauf la langue écarlate et les yeux de cristal rouge), écailles, ailes, griffes et toison velue des flancs, tout est doré. Entre les deux mamelles est fixée une boule de verre bleue suspendue à un cordon bleu. Peut-être est-ce le cordon d'un ordre. Les patins et les supports sont rouge et or. L'intérieur du coffre est garni de satin bleu brodé, quadrillé, ainsi que le siège postérieur.
Comment était conduit l'attelage? De derrière sans doute, à moins que le strapontin et les babouches en astrakan fussent seulement destinés à un valet de pied. Deux attaches et deux anneaux pendants qu'on distingue à l'avant servaient sans doute à atteler les chevaux par des courroies car on ne voit ni brancards ni traits, ni place où les adapter.
Nous demeurons donc incertains sur l'emploi et la provenance de notre traîneau; est-il russe, hollandais ou simplement français et destiné à quelque gala? En tout cas, on ne peut croire qu'il ait été disposé pour un service fatigant et habituel: les patins ne sont point doublés en fer.
Nous rapporterons ici quelques lignes de l'écrivain que nous avons cité, et qui a l'art de nous faire voir et toucher ce qu'il a vu lui-même. En comparant aux traîneaux russes ordinaires celui que représente notre gravure, nous en comprendrons mieux l'usage et le maniement;
" L'installation, dit M. Théophile Gauthier, est très-simple. Figurez-vous deux barres ou patins de fer poli, dont le bout antérieur se recourbe en pointe de soulier chinois. Sur ces deux barres, une légère armature de fer fixe le siège du cocher et la boîte où se place le voyageur. Cette boîte est ordinairement peinte en couleur d'acajou. Une sorte de tablier, qui s'arrondit en se renversant comme un poitrail de cygne, donne de la grâce au vaisseau et protège l'isvochtchik (conducteur) contre les parcelles de neige que fait voler devant lui comme  une écume d'argent le frêle et rapide équipage; les brancards s'adaptent au collier ainsi que dans l'attelage du droschky, et opèrent leur traction sur les patins. Tout cela ne pèse rien et va comme le vent, surtout quand le vent a durci la neige et que la piste est faite. On ne se figure pas l'immense économie de force que produit le traînage. Un cheval déplace sans peine, et avec une célérité double, un poids triple de celui qu'il pourrait enlever dans les conditions ordinaires. En Russie, le neige est, pendant six mois de l'année, comme un chemin de fer d'argent dont les blancs railways s'étendent dans toutes les directions et permettent d'aller où l'on veut."
L'isvochtchik est d'ordinaire coiffé d'un bonnet de velours à quatre pans avec un bord de fourrure; son cafetan est doublé en peau de mouton, et ses genoux couverts d'une vieille peau d'ours. Il a aux mains de gros gants dont seul le pouce est séparé. La caisse est remplie de foin, et une couverture de peau est mise au service du voyageur. Nous parlons ici des traîneaux de louage; mais ceux de maître n'en diffèrent ni par la forme, ni par l"aménagement. 
"Seulement, le fer des patins est plus joli et d'une courbe plus gracieuse; la caisse est en acajou; la garniture du siège en maroquin capitonné, le tablier en cuir verni; une chancelière remplace le foin; une fourrure de prix, la vieille peau rongée de mites. Le luxe consiste dans la tenue du cocher, la beauté du cheval et la vitesse de l'allure. Les femmes les plus délicates affectionnent ce véhicule. On ne distingue que leur figure rosée au froid. Tout le reste n'est qu'un entassement de pelisses, de manchons, où l'on aurait peine à démêler une forme, sur les genoux s'étend une grande peau d'ours blanc ou noir, dentelée d'écarlate. La calèche ressemble à un bateau comblé de pelleteries, d'où émergent quelques têtes souriantes."
On voit sur la Néva quelques traîneaux de Samoïèdes attelés de trois ou quatre rennes dociles qui trottent de toute la vitesse de leurs jambes nerveuses. Le voyageur est assis sur un strapontin garni d'une lambeau de fourrure. Le conducteur, debout sur l'un des patins de bois, tient en main une gaule dont il touche les rennes. Mais malgré leur extrême légèreté et les charmants animaux qui les tirent, ils n'égalent point en grâce la troïka, avec ses trois chevaux soutenus par quatre guides que dirige le cocher. Celui du milieu est engagé dans les brancards; les deux autres ne tiennent au limonier que par une courroie lâche, et au traîneau que par un trait extérieur. Chacun a son rôle: le limonier trotte et les deux autres galopent; "l'un doit avoir l'air farouche, emporté indomptable, porter au vent, simuler des écarts et des ruades: c'est le furieux; l'autre doit secouer sa crinière, s'encapuchonner, faire des courbettes, danser sur place, se jeter à droite et à gauche, au gré de ses gaietés et de ses caprices; c'est le coquet." On dirait, à voir cet attelage en éventail, qu'on a sous les yeux l'original des chars antiques qui décorent les arcs de triomphe. Rien n'est plus difficile, comme on pense, de conduire sans accident la troïka et de maintenir dans une harmonie parfaite les trois allures si différentes du limonier, du furieux et du coquet.
"Les troïkas passent avec un frisson de grelots, frétillants et rapides, éclaboussant leurs voisins de parcelles blanches. Le tableau n'est bruyant que pour l’œil, si l'on peut s'exprimer ainsi. La neige, qui interpose son tapis de ouate entre le pavé et le véhicule, éteint la sonorité. Sur ces chemins matelassés par l'hive, l'acier du patin fait à peine le bruit d'un diamant qui rayerait un carreau. Les petits fouets des mougiks ne claquent pas: les maîtres enveloppés dans leurs fourrures ne parlent point; et tout cela se meut avec une activité silencieuse au milieu d'un tourbillon muet."

Le Magasin pittoresque, avril 1866.

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