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samedi 30 janvier 2016

Un mort au téléphone.

Un mort au téléphone.

La veuve du fameux financier newyorkais Russel Sage, a voulu pour défunt son époux un cercueil digne du milliardaire. Chacun honore ses morts à sa façon. M. Russel Sage, qui portait toujours sur lui quelques bagues représentant la bagatelle de plusieurs centaines de mille francs, avait décidé d'être enterré avec. Il s'agissait donc de défendre le cadavre de ce Crésus contre les profanations possibles des cambrioleurs de tombes.
Mme Russel Sage consacra vingt mille dollars (cent mille francs) à cette entreprise. La bière classique des pauvres gens fut remplacée par une gaine de cuivre emprisonnée dans un caisson en acier blindé de la résistances des meilleurs coffres-forts, le tout placé dans un tombeau de ciment armé revêtu de marbre. Cette installation était, en outre, munie de sonneries électriques qui avertissaient le gardien du cimetière si l'on tentait d'ouvrir le cercueil.
Ainsi "l'oncle Russel", comme on l'appelait en bourse de New-York, dont il était une des grandes puissances, peut dormir tranquille. Sa vie avait été d'ailleurs assez agitée. Employé à 12 ans dans une épicerie, puis épicier en gros, il se fit ensuite banquier et, en s'associant au fameux Jay Gould, était devenu un des rois du chemin de fer américains. Il avait failli être tué par une bombe jetée dans son bureau par un certain Norcross, homme irrascible, qui exigeait de Russel Sage le paiement immédiat d'une somme de six millions. "Oncle Russel" eut raison d'obtempérer; en effet, Norcross fut tué par sa propre bombe, et Russel s'en tira avec quelques blessures.
Nul doute que Mme Russel, qui demeura toute sa vie impressionnée par cet attentat contre son mari, ait voulu le défendre ainsi jusqu'après sa mort. Quand aux sonneries électriques, elles rappellent l'histoire macabre de Lady Witkins.
Lady Witkins avait épousé en secondes noces un écuyer de cirque, quand, six mois après son mariage, son mari se tua en tombant du cheval. Lady Witkins, très nerveuse et portée à la croyance au surnaturel, ne fut jamais convaincue de la mort de son époux. Cependant, elle ne put s'opposer à son enterrement; mais elle fit installer un téléphone qui, du cimetière, reliait le cercueil à sa chambre. Alors, cette malheureuse femme passa des heures à l'appareil dans l'espoir d'un appel qu'elle ne devait jamais entendre. Ses amis essayèrent en vain de l'arracher à son obsession.
Un jour, elle se dressa, saisie d'horreur, en poussant un cri terrible: on avait parlé! Et elle tomba inanimée sur le plancher.
Quelques personnes firent une enquête approfondie qui révéla que le fil particulier desservant le cimetière avait été relié par erreur avec un abonné.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 13 janvier 1907.

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