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mardi 24 février 2015

Combat de Jean de Carrouges.

Combat de Jean de Carrouges
                  et de Jacques Le Gris.


Le bourg de Carrouges est un chef-lieu de canton de l'arrondissement d'Alençon. Son château, propriété de Tanneguy Leveneur, descendant des Carrouges, est un ensemble de constructions d'un aspect sévère. Le style féodal de l'architecture militaire s'y mêle avec le style plus récent de l'architecture civile. Une salle de spectacle et un salon d'été du dix-huitième siècle y contrastent avec une belle salle des gardes à porte ogivale, des salles d'armes, un sombre donjon carré et crénelé, et une chambre  à vaste cheminée où coucha Louis XI en 1473.


Une galerie contient un grand nombre de portraits des anciens seigneurs de Carrouges, entre autres ceux du cardinal Jean Leveneur, de Jean Leveneur, mort glorieusement à la bataille d'Azincourt, du grand pannetier de la reine Éléonore, femme de François 1er, etc.
Une histoire tragique du quatorzième siècle efface les autres souvenirs que cette galerie évoque: c'est celle de ce Jean de Carrouges, chambellan de Pierre III, comte d'Alençon, qui, pour venger une injure supposée à l'honneur de sa femme Marie de Thibouville, appela en champ clos Jacques Le Gris, écuyer. Voici le récit de ce combat, tel que nous le trouvons dans le consciencieux ouvrage intitulé: Le département de l'Orne archéologique et pittoresque.
"... Le parlement fit dresser les lices derrière l'église Saint-Martin des Champs de Paris, près du Temple. Le 22 ou le 29 décembre 1386, la foule accourut au champ clos "si nombreuse que merveille seroit à penser." Le roi, ses deux oncles et tous les seigneurs de la cour prirent place sur des échafauds richement décorés. Le Gris, qui venait d'être nommé chevalier tout exprès pour le combat, et Carrouges, conduits, le premier, par les comtes de Valéry et de Saint-Pol; le second, par les gens du comte d'Alençon, s'assirent en face l'un de l'autre. Leur âge était le même, cinquante ans environ. La dame de Carrouges assistait au combat, vêtue de noir et dans un char de deuil. 
Son mari s'approcha d'elle:
"Dame, lui dit-il, sur votre information, je vais aventurer ma vie et combattre Jacques Le Gris. Vous savez si ma cause est juste et loyale?
"- Monseigneur, répondit la dame, il est ainsi, et vous combattrez sûrement, car la querelle est bonne...
"- Au nom de Dieu, dit le chevalier."
A ces mots, il embrassa sa femme, lui serra la main, et puis se signa et entra en champ. La dame demeura dans le char en priant Dieu que la victoire fût à son mari.
"Et je vous dis qu'elle étoit en grandes transes, écrit Froissart, et n'étoit pas assurée de sa vie; car, si la chose tournoit à déconfiture sur son mari, il étoit sentencié que sans remède on l'eût pendu et la dame arse (brûlée)."
De son côté, Le Gris avait fait demander des prières au peuple de Paris.
Après que les deux champions eurent attesté de nouveau par serment la bonté de leur cause, on les mit en présence en leur disant "de faire ce pourquoi ils étaient là venus." C'était le signal. Carrouges, malade depuis longtemps, avait un violent accès de fièvre; mais son courage ne faillit pas. Tous deux montent à cheval et se précipitent l'un sur l'autre, mais sans pouvoir se renverser. Après avoir ainsi combattu avec un égal avantage, ils mettent pied à terre. Le combat recommence. Jean de Carrouges est grièvement blessé à la cuisse; ses amis tremblent, mais bientôt il reprend l'avantage, presse et renverse Le Gris. D'autres prétendent que Le Gris eut le malheur de glisser sur la terre humide du sang de son ennemi. Carrouges, l'épée sur la poitrine, le force à confesser la vérité:
"- Sur Dieu et la damnation de mon âme, répond Le Gris, je n'ai oncques commis le cas dont on me charge."
Carrouges lui plonge son épée dans le corps. Se relevant alors, il demande aux assistants s'il avait bien fait son devoir. Oui, répondirent-ils d'un cri unanime. Il s'agenouille devant le roi qui lui ordonne de se lever, lui octroie mille francs d'or, et le crée chambellan à 200 livres de gages; puis il s'approche de sa femme, l'embrasse de nouveau et la conduit à Notre-Dame pour rendre grâces à Dieu.
Pendant ce temps, le corps du malheureux Le Gris est livré au bourreau de Paris, traîné à Montfaucon et pendu au gibet préparé pour le vaincu. Le parlement, par un arrêt du 9 février suivant, adjugea à Carrouges six mille livres en or à prendre sur les biens de Le Gris. Les héritiers, pour acquitter cette somme, furent forcés de vendre les plus riches terres du supplicié au comte d'Alençon. 
Carrouges partit pour la Terre-Sainte d'où il ne revint jamais. Peu de temps après son départ, un écuyer, accusé de plusieurs crimes, avoua que c'était lui qui s'était rendu coupable du fait reproché par erreur  à Le Gris. La dame de Carrouges se retira dans un couvent et mourut dans une cellule qu'elle avait fait murer de tous côtés."

Magasin pittoresque, mars 1849.

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