Jean Dunois, bâtard d'Orléans.
Jean Dunois, comte d'Orléans et de Longueville, grand chambellan de France, était fils naturel de Louis, duc d'Orléans, assassiné à Paris par les Bourguignons, et de Mariette d'Enghien.
Il naquit le 23 novembre 1402. Dès sa jeunesse, il montra ce qu'il devait être un jour. Valentine de Milan, quelques moments avant d'expirer, ayant fait approcher ses enfants, voulut que Jean Dunois, qui s'honorait du titre de bâtard d'Orléans, reçût aussi ses derniers soupirs. En s'adressant à son fils aîné, elle dit: "Jean m'a été dérobé, et nul de vous n'est aussi bien taillé que lui pour venger la mort de son père".
Les jeunes années du bâtard d'Orléans s'écoulèrent au milieu des troubles qui agitaient la monarchie de France. La situation du royaume était alors bien pitoyable. A vrai dire, le règne de Charles VII ne commence qu'à la soumission de Paris à la royauté héréditaire. L'histoire flatteuse a pu s'indigner du gouvernement du duc de Bedford et du roi d'Angleterre, Henri VI, passer même sous silence les actes les plus essentiels de cette administration; mais le règne de Henri VI n'en est pas moins un fait important, un grand événement dans l'histoire, et qui a laissé de longues traces. A la mort du roi Charles VI, le dauphin, exclu de la couronne par le traité de Troyes, conservait à peine quelques provinces; roitelet de Bourges, comme l'appelait ses ennemis, il n'avait pour lui que quelques débris de la chevalerie, ses aventuriers, ses Écossais surtout; il n'inspirait aucune considération au peuple; on parlait avec mépris de sa cour dissolue, de ses favoris insolents, de ses folles dames d'amour. Aussi, à la mort de Charles VI, on ne s'occupa point à Paris du droit ou des prétentions de Charles dauphin. Cependant, celui-ci n'avait pas désespéré de sa cause; il était entouré de bons capitaines de gens d'armes, et parmi eux on distinguait Dunois, La Hire et Pothon de Xaintrailles. Dunois s'était trouvé à plusieurs affaires d'où il était toujours sorti avec avantage; mais rien ne servit à le faire distinguer comme ses exploits au siège de Montargis, en 1427. Les Anglais, au nombre de 3.000, commandés par les comtes de Warwick et de Suffolk, avaient investi cette ville, qui se défendit par l'avantage de sa situation et par le courage d'une poignée d'archers. La place manquait de vivre et de munitions. Dunois est choisi pour leur en porter. Son premier soin est d'instruire les assiégés du secours qu'il leur amenait; il marche à la tête de 1.600 hommes, arrive, combat, met les ennemis en déroute, et remporte une victoire signalée.
De nouveaux trophées l'attendaient sous les murs d'Orléans. Vers la fin du mois de septembre 1428, le comte de Salisbury alla mettre le siège devant cette ville. Le duc de Bedford n'était point d'avis qu'on tentât une entreprise aussi hasardeuse. La circonstance semblait pourtant favorable: le roi Charles était réduit à la dernière extrémité; beaucoup de grands seigneurs et de princes, voyant que de toutes parts ses affaires s'en allaient en ruines, et qu'elles étaient trop mal gouvernées, l'avaient abandonné ou le servaient entièrement à leur guise; les garnisons se rendaient sans plus se défendre; les sujets les plus dévoués étaient prêts à se livrer au désespoir; des calamités horribles, la misère, la famine, les maladies ravageaient les provinces des bords de la Loire. Il n'y avait plus d'argent, ni dans le trésor du roi, ni dans la bourse des sujets: "Tant de la pécune du roi que de la mienne, il n'y avait pas en tout chez moi quatre écus," racontait Renault de Bouligny, son trésorier. Les dépenses de sa maison étaient réduites au strict nécessaire; il vivait comme le plus simple de ses serviteurs; dans les jours même de festoiement sa table était frugale, ses plus nobles gentilshommes ne trouvaient que des mets très-mal apprêtés:
Un jour que La Hire et Pothon
Le vinrent voir par festoiement,
N'avait qu'une queue de mouton
Et deux poulets tant seulement.
Au milieu de cette misère, le roi Charles ne perdait pourtant point courage; il avait toujours bonne espérance et mettait son recours en Dieu. C'était à la défense d'Orléans que semblait s'attacher le dernier espoir de la cause royale; si Orléans était perdu, les Anglais se répandaient au delà de la Loire: il ne restait plus au roi qu'à aller se réfugier dans les montagnes de l'Auvergne ou dans le Dauphiné. Chacun parut se résoudre à tenter les derniers efforts pour se préserver d'un tel malheur. Déjà, depuis quelques temps, on s'attendait que ce siège fut entrepris; le bâtard d'Orléans et une foule de braves capitaines s'y étaient enfermés. Ce glorieux bâtard d'Orléans partagea les lauriers cueillis par Jeanne d'Arc; il se trouvait toujours dans la mêlée, et partout où le péril était le plus imminent. On sait que c'est au siège d'Orléans que commencèrent les merveilleuses aventures de la Pucelle; nous ne raconterons pas une histoire aussi connue. L'esprit chevaleresque du siècle attribua à Agnés Sorel et à Jeanne la Pucelle les faits de batailles et les victoires des gens d'armes de Charles VII; ce fut une de ces traditions de castels et de tournois, une de ces légendes de femmes et d'amour, contées au coin du feu par les belles châtelaines à leurs servants. "Dunois, dit M. de Barante dans son beau travail sur les ducs de Bourgogne, voyant arriver Jeanne d'Arc avec son convoi, traversa dans un petit bateau pour venir se consulter avec les chefs.
"Etes-vous le bâtard d'Orléans? dit-elle.
"Oui, reprit-il, et bien joyeux de votre venue.
"C'est vous, ajouta-t-elle, qui avez conseillé de passer par la Sologne et non par la Beauce, tout au travers de la puissance des Anglais?
"C'était, répliqua-t-il, le conseil des plus sages capitaines.
" Le conseil de messire est meilleur que le vôtre et que celui des hommes, reprit Jeanne; c'est le plus sûr et le plus sage. Je vous amène le meilleur secours que reçut jamais chevalier ou cité, le secours du Roi des cieux."
La tradition de la Pucelle est un mélange de foi dévote et de galanterie chevaleresque; l'intervention de Dieu et des dames était une condition nécessaire dans les chroniques et dans les légendes des manoirs; on ne croyait pas aux grandes choses qui se faisaient tout simplement par les grandes âmes, il fallait encore la main de Dieu et le secours des femmes, vieille superstition des forêts de la germanie. Trop de témoignages nous restent sur cette merveilleuse fille pour qu'il soit possible de nier sa puissante influence sur l'imagination dévote et belliqueuse des aventuriers qui entouraient Charles VII; elle donna une première et grande impulsion à la chevalerie; mais la cause des succès décisifs de Charles VII tint plus particulièrement à ses alliances avec les Écossais, à ses traités avec les ducs de Bretagne et de Bourgogne, et à la bonne épée de La Hire et de Dunois.
Trois ans après la délivrance d'Orléans, Dunois réduisit à l'obéissance royale la ville de Chartres, dont Charles VII lui donna le commandement. Quelques mois plus tard, il fit lever le siège de Lagny. Dunois ne fut pas aussi heureux en voulant dégager Saint-Denis; les Anglais le forcèrent à se retirer; ce léger échec devait être compensé par la prise de Paris, où le bâtard d'Orléans fit son entrée le 13 avril 1436, avec le connétable de Richemont; ils menaient avec eux les grandes batailles, où on voyait bien 800 fust de lances. Tant de guerres et de désastres faisaient vivement soupirer après la paix; Dunois fut nommé au nombre des plénipotentiaires chargés de la négocier. Il se rendit, à cet effet, dans la petite ville d'Oie, entre Calais et Gravelines, qui était le lieu où se tenait le congrès. Il y rencontra son frère, Charles d'Orléans, auquel il avait rendu d'importants services. Pour lui témoigner sa reconnaissance, ce dernier créa Jean comte de Dunois. Mais avec toutes ces dignités, il conserva toujours dans ses titres celui de bâtard d'Orléans. De retour à Paris, le roi le désigna pour accompagner Madame Catherine de France, qui se rendait à Saint Omer, pour épouser le comte de Charolais, fils du duc de Bourgogne Philippe le bon. La convocation de l'assemblée des états le rappela à Orléans; on ne pouvait obtenir la paix sans démembrer le royaume. Dunois opina pour la guerre, fondant son opinion sur ce que les lois du royaume ne permettaient au souverain d'aliéner le domaine de la couronne. Son avis prévalut, et l'on reprit bientôt les hostilités.
Le bâtard d'Orléans eut un moment de faiblesse, en entrant dans la conspiration tramée par La Trémouille, et en faisant révolter le dauphin contre son père. Son erreur fut de courte durée; plein de confiance dans le monarque qu'il avait si bien servi, il vint se jeter à ses pieds, et fit l'aveu de sa faute; jaloux de faire oublier sa conduite, il se distingua aux sièges d'Harfleur et de Dieppe. Charles VII, pour gage de sa satisfaction, l'envoya à Londres en 1444, pour traiter de la paix; il parvint à faire signer une trêve de deux ans, et à faire revenir son frère Charles en France; plus tard, il fit rentrer le Maine sous l'autorité du roi, qui, voulant récompenser le zèle et la bravoure de Dunois, le décora du titre de son lieutenant-général représentant sa personne. A peine était-il revêtu de cette charge importante, qu'il partit pour aller combattre les Anglais dans la haute et basse Normandie; tout plia sous sa grande épée, et en moins de deux ans les ennemis furent entièrement expulsés de cette belle province. Le roi, en considération des services que lui avait rendus son lieutenant, ratifia la donation qu'il lui avait faite du comté de Longueville. Il l'envoya en 1450 pour réduire la Guienne; bientôt les Anglais furent chassés de Blaye, de Dax, de Fronsac, regardée comme la clef de la province. Dunois entra en vainqueur à Bordeaux, dont il s'était attaché tous les habitants par la douceur de ses manières. Charles VII récompensa le vaillant Dunois en lui accordant les honneurs de prince; puis il le chargea d'arrêter le duc d'Alençon, qui entretenait une correspondance criminelle avec les Anglais. Dans l'assemblée convoquée à Vendôme pour juger le duc, le roi avait à ses pieds le comte de Dunois comme grand-chambellan; il employa tout son crédit auprès du monarque, surtout dans les derniers moments de ce prince, pour le réconcilier avec le dauphin son fils. La fin de la vie de Charles VII fut absorbée par les conspirations sourdes des princes de sa famille contre son conseil; les choses en vinrent à ce point, que le roi n'osait plus manger par crainte du poison, et il s'amaigrit tellement, s'amenuisa de telle sorte, que finalement il mourut d'inanition.
A l'avènement de Louis XI, tous les princes se révoltèrent contre lui, et Dunois fit partie de cette confédération, qui prit plus spécialement le titre de Ligue du bien public. On s'est beaucoup demandé ce qui dans le XVIe siècle avait produit la ligue; on a pris cet événement de l'histoire comme un fait nouveau, inouï; on n'a pas fait attention que depuis le XIIe siècle, il ne se passe pas cinquante ans sans qu'il y ait quelque ligue et confédération, soit pour les intérêts de la féodalité, soit contre l'Eglise, soit enfin contre l'autorité royale. Ce fut le comte de Dunois qui porta la parole au nom de la Ligue, devant les députés de Louis XI; il déclara que le roi avait manqué à ses engagements, privé les princes de leurs droits et le royaume de son éclat. Dunois fut encore chargé de négocier la paix qui fut signée à Conflans; dans ce traité, la féodalité se fit une large part; chaque prince s'attribua une plus grande étendue de territoire, des apanages et de nouvelles prérogatives. On doit considérer cette Ligue du bien public sous Louis XI, comme un des plus grands et des plus heureux efforts tentés par la haute propriété territoriale contre la couronne qui l'avait provoquée. La propriété territoriale, qui se lie au sol, est difficile à s'ébranler; il est impossible, quand elle est un fait dans la société, qu'elle ne devienne pas un droit dans le pouvoir et dans la législation. Après la signature du traité de Conflans, Dunois rentré en faveur revint à la cour; il y maria son fils, et fut nommé par le roi président du conseil de réformation des abus du royaume; il s'occupait de ce travail lorsqu'il mourut en 1468.
A. Mazuy.
Magasin pittoresque, janvier 1837.
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