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mercredi 4 février 2015

Hygiène des repas.

Hygiène des repas.


Dans un article publié l'année dernière, nous avons essayé de donner quelques préceptes pratiques sur l'hygiène du sommeil. Le sujet que nous allons traiter aujourd'hui est beaucoup plus compliqué; il s'agit du nombre et de la distribution des repas dans le cours de la journée. pour le sommeil, la nature semble avoir tout réglé; pour l'alimentation, l'homme n'a d'autre guide que la faim, mauvaise conseillère en hygiène comme en morale. En effet, l'homme civilisé doit pour ainsi dire prévenir son invasion, afin d'éviter le sentiment d'angoisse, la débilitation et l'incapacité de travail dont elle est accompagnée, ou les excès de table dont elle presque inévitablement suivie. Pour obtenir ce résultat, on a épuisé toutes les combinaisons. Le nombre et l'abondance des repas, la nature des aliments, celle des boissons, varient de peuple en peuple et changent tous les vingt-cinq ans. Sans cesse on cherche à concilier les heures des repas avec les exigences des occupations journalières, sans pouvoir réussir à trouver un arrangement qui satisfasse à la fois aux besoins impérieux de l'estomac, et aux devoirs multipliés par les besoins de chaque profession.
Dans cet article, nous nous bornerons à donner des indications générales. Chacun en fera son profit et les adaptera à son genre de vie. Il est évident, en effet, que l'hygiène des repas ne saurait être la même pour l'homme qui vit en plein air occupé de travaux corporels, et pour l'employé sédentaire qui passe sa journée assis devant une table. Entre ces deux extrêmes se placent tous les intermédiaires imaginables; de là des modifications nombreuses auxquelles viennent s'ajouter toutes celles que nécessitent l'activité et les besoins de l'estomac, car l'appétit n'est jamais le même chez deux individus, quelque semblables qu'on veut les supposer.
Le premier conseil que nous donnons, c'est de ne pas rester à jeun longtemps le matin. Soit qu'on se lève pour se livrer aux travaux de l'esprit, soit que des occupations forcent à sortir de bonne heure, la règle est la même. L'appétit n'étant pas encore éveillé, il serait déraisonnable de faire un repas copieux; mais un liquide chaud, tel que du lait, du thé, du chocolat, du bouillon avec un peu de pain ou bien un potage, font cesser ce sentiment de la vacuité de l'estomac qu'on éprouve en sortant du lit, et préviennent la débilitation et le mal de tête qui en sont souvent la conséquence. La sensation dont nous parlons est tellement impérieuse qu'elle a engendré chez les classes laborieuses une habitude funeste et meurtrière contre laquelle nous ne saurions trop nous élever: c'est l'usage de prendre le matin à jeun de l'eau-de-vie ou d'autres liqueurs fortes. Il n'est presque personne qui ne se rappelle avoir vu les ouvriers, forcés de se rendre à leurs travaux avant le jour, entrer dans les boutiques des épiciers et vider d'un seul trait un verre de cette détestable boisson. Immédiatement après, ils éprouvent un agréable sentiment de chaleur, un accroissement momentané dans les forces, résultat qui les aveugle sur les dangers de cette habitude. En effet, ce n'est pas impunément que l'on surexcite ainsi journellement les organes de la digestion. Cette eau-de-vie, le plus souvent de mauvaise qualité est encore aiguisée avec du poivre. Versée dans l'estomac alors complètement vide, elle s'y trouve directement en contact avec la membrane interne de l'organe, y provoque un afflux du sang et excite la sécrétion des liquides digestifs. L'estomac, n'ayant rien à digérer, ces liquides réagissent à leur tour sur la membrane et tendent à la désorganiser. Cette funeste habitude conduit chaque année, dans les hôpitaux, des milliers d'ouvriers affectés d'inflammations chroniques des intestins. Ils n'y trouvent même pas la guérison qu'ils y sont venus chercher; car ce ne sont point des drogues qui conviennent à de pareilles maladies, c'est un régime composé d'aliments légers, c'est le séjour à la campagne, le repos prolongé pendant plusieurs mois. Espérons qu'un jour viendra où le pauvre aura ses maisons de convalescence à la campagne; alors il pourra guérir de ces maladies qui ne réclament ni saignées, ni sangsues, ni remèdes, mais le bon air, le repos et un régime convenable. Que l'ouvrier renonce donc à une habitude meurtrière. Une bonne soupe serait préférable pour lui à tout autre aliment, et si la plupart des ouvriers en adoptaient cet usage, on verrait bientôt s'élever de tout côté de petites cuisines, où cette soupe leur serait servie à l'heure où ils commencent leurs travaux.
Dans beaucoup de pays, le repas le plus copieux se prend vers le milieu du jour, entre midi et deux heures. Ce moment est fort convenable pour les états non sédentaires. En effet, il est incontestable qu'un homme en mouvement depuis le matin éprouve fortement le besoin de réparer ses forces vers le milieu du jour. Toutefois, il est aussi très-positif que cet usage a ses inconvénients. Ce dîner de midi coupe la journée par le milieu et interrompt le travail au moment où il est dans toute son activité. Le temps de prendre le repas, joint au repos qu'exige le commencement de la digestion, ne peut pas s'élever à moins d'une heure et demie. En outre, ce repas en nécessite un troisième, le souper, sur lequel nous nous expliquerons tout à l'heure. L'usage de Paris, qui consiste à déjeuner  entre dix heures et midi, me paraît préférable. Toutefois, il faut s'entendre sur l'importance de ce déjeuner; il doit être léger. Le savant, l'homme de lettres, se contenteront de quelques légumes, de poissons, d’œufs, de farineux tels que le riz, le macaroni, ou bien de fruits cuits ou crus. Ces aliments seront pris en quantité suffisante pour faire taire complètement le sentiment de la faim, sans amener celui de la plénitude. Les personnes dont la vie est moins sédentaire et qui dépensent beaucoup de force en marchant, parlant ou travaillant des bras, ajouteront six à huit bouchées de viande rôtie au menu que nous venons de donner.
L'heure et l'importance du dernier repas de la journée ont singulièrement varié. A l'époque où l'on dînait au milieu du jour, on soupait tard. Maintenant on ne soupe plus et l'on dîne entre cinq et sept heures du soir. Ces heures sont heureusement choisies. Une foule de travaux cessent nécessairement à la chute du jour, et pendant la moitié de l'année le moment du dîner est aussi celui où la nuit commence. Ainsi, pour un grand nombre de personnes le dîner marque la fin du travail et le commencement du repos. Ce repos favorise la digestion qui est entièrement accomplie au moment où l'on se met au lit. Il y avait un grave inconvénient au souper d'autrefois. La digestion est favorisée par un exercice modéré, une conversation animée, la promenade en plein air. Le repos et la chaleur du lit, le ralentissement de la circulation qui accompagne le sommeil, le troublent ou arrêtent les fonctions de l'estomac; de là ces indigestions nocturnes si fréquentes dans le siècle dernier. Le dîner actuel est donc réglé suivant les lois d'une saine hygiène, et c'est avec peine que nous le voyons sans cesse reculer dans la soirée, et tendre à remplacer le souper de nos pères.
Ce que nous venons de dire s'applique spécialement aux habitudes de la classe moyenne. Le travail des champs ou des ateliers a des exigences qui souvent ne peuvent pas se plier aux règles que nous avons données. Mais les ouvriers doivent chercher à les concilier avec les nécessités auxquelles ils sont soumis. Les plus nombreux d'entre eux, les cultivateurs, peuvent très-bien répartir leurs repas dans le cours de la journée, comme nous l'avons conseillé, en avançant ou en reculant les heures suivant le lever et le coucher du soleil, et en ajoutant un repas dans les grands jours de l'été. Ainsi, le laboureur, qui se lève à trois heures du matin, devrait manger, avant d'aller aux champs, une bonne soupe et boire un verre de vin, prendre un repas vers huit ou neuf heures, un autre entre deux et trois heures, au moment de la plus grande chaleur, et enfin le repas principal entre six et huit heures.
On ne peut se défendre d'un profond sentiment de tristesse, en songeant qu'il est impossible à l'immense majorité des habitants de la France de suivre les préceptes que nous venons de donner. La tristesse augmente quand on réfléchit que la santé, la force, l'intelligence, le bien être moral et physique dépendent d'une alimentation substantielle. Jadis les philanthropes se consolaient par l'idée qu'une cuisine recherchée devient funeste à ceux pour lesquels ces mets variés sont préparés. On ne saurait plus se bercer de ces illusions: l'inexorable statistique en a fait justice. Sans doute l'homme qui abuse de la bonne chère finit par détruire sa santé; mais celui qui s'asseoit habituellement à une bonne table et mange modérément, entretient ses forces et retarde l'invasion de la vieillesse. Des mets recherchés et variés dans leur nature se digèrent bien plus facilement que des mets simples, mais grossiers. Pour qu'il ne reste aucun doute sur notre pensée, qui est celle de tous les médecins judicieux, je vais entrer dans quelques détails.
Une foule de personnes croient de très-bonne foi qu'un régime exclusivement composé de bœuf et de mouton bouilli ou rôti, de pommes de terre, de choux et de fromage, doit être sain et hygiénique. Il n'en est malheureusement point ainsi. L'estomac se fatigue de ces mets substantiels, mais d'une digestion difficile; et une alimentation où le poisson, la volaille, le gibier et les farineux alterneront avec les viandes de boucherie, sera aussi infiniment plus salutaire. La tâche hygiénique d'une maîtresse de maison consiste précisément à varier habilement ces aliments divers suivant la saison, afin d'éviter la fatigue qui résulte pour l'appareil digestif d'un régime trop uniforme. Les légumes, les fruits crus ou cuits, le laitage, les œufs, lui fournissent encore des ressources précieuses auxquelles elle aura recours à la fin de l'hiver, lorsque l'estomac est las de l'usage exclusif et prolongé de la viande de boucherie. L'utilité de la volaille, du gibier et du poisson, comme succédanés de la viande, empêchera toujours une administration philanthropique de frapper ces denrées de forts octrois à l'entrée des villes: en effet, en élevant leur prix, on les rend inabordables aux petits ménages, aux pauvres malades; et loin de contribuer à l'amélioration de la subsistance des classes inférieures, on les réduit à l'alimentation uniforme que nous avons condamnée.
Contraindre le riche à diminuer la recherche de sa table est un résultat puéril qui ne profite à personne; il faut s'efforcer d'améliorer la nourriture du pauvre en mettant à sa portée un plus grand nombre d'aliments à la fois légers et nutritifs. Ainsi tout impôt sur la volaille, le gibier, le beurre, les œufs, le lait, le vin ordinaire et le sel, est un impôt sur le bien-être et la santé du peuple, c'est à dire du plus grand nombre. Il prive le malade convalescent des seuls aliments qui pourraient opérer son établissement, et n'empêche pas le riche de satisfaire tous les caprices de son palais blasé.
Le choix des boissons n'en est pas moins importants que celui des aliments. Les eaux pures mêlées d'air et contenant des sels de chaux en petite quantité sont seules salutaires. Les eaux stagnantes, altérées par des matières animales et végétales en putréfaction, celles des puits qui ne dissolvent pas le savon, sont malsaines et deviennent la source d'une foule de maladies. Mais l'eau la plus salubre ne suffit pas à l'homme. Jusqu'à trente ans, l'estomac conserve en général assez d'énergie pour pouvoir se passer de tout excitant. Chez quelques personnes, cette faculté persiste toute la vie; ce n'est pas une règle, c'est une exception; car chez tous les peuples sauvages ou civilisés, nous trouvons l'usage des boissons fermentées. Impérieux chez les peuples du Nord, ce besoin s'affaiblit chez les habitants du Midi. Forcé de réagir sans cesse contre le froid et l'humidité, l'homme du Nord allume dans son propre corps le foyer que doit entretenir sa chaleur vitale, tandis que l'homme du Midi cherche à se défendre contre la chaleur qui l'énerve et l'abat; c'est aux boissons glacées et rafraîchissantes qu'il demande l'énergie suffisante pour accomplir ses faciles travaux. Dans nos latitudes tempérées, le travailleur actif ou sédentaire a besoin de vin, de bière ou de cidre pour faciliter la digestion d'aliments lourds, tels que le bouilli, le lard, ou pour suppléer à une nourriture insuffisante. Pendant le repas ou immédiatement après, un bon verre de vin est une boisson salutaire; prises à jeun et sans manger, les boissons frelatées auxquelles l'ouvrier des villes est condamné, sont un poison moins violent, mais aussi dangereux que l'eau-de-vie poivrée dont nous avons parlé.
Améliorer la nourriture des classes laborieuses en exerçant une surveillance sévère sur les débitants, et en faisant des efforts constants pour abaisser le prix des aliments de première nécessité, est le devoir le plus sacré de la municipalité d'une grande ville. Une pareille tâche exige du reste autant de lumières, de savoir, d'études  persévérantes que de bonne volonté; une philanthropie peu éclairée n'atteint pas le but qu'elle se propose, et les mesures qu'elle suggère ne tournent plus au profit de ceux en faveur desquelles elles avaient été prises. L'économie publique est une science: le cœur ne suffit pas toujours pour la deviner.

Magasin pittoresque, mars 1849.

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