Anatole France.
Cet homme est le penseur le plus profond et le plus clairvoyant de notre époque, c'est aussi notre plus délicat écrivain. Son style ravit. Son intelligence déconcerte. On le sent à la fois très loin de nous par la certitude de son jugement et très près par la forme simple qu'il lui donne. Et le plus curieux, c'est le ton détaché avec lequel il présente des remarques très fines, comme si leur évidence était acquise et qu'il n'eût fait que les cueillir sans effort au bout de sa plume.
La même idée que tout autre auteur, et par exemple M. Philippe Bourget, aurait exprimée à grand renfort d'épithètes et d'incidentes, après l'avoir annoncée solennellement. M. Anatole France l'énonce en se jouant et sans avoir l'air d'y tenir.
Je ne connais qu'un écrivain ayant poussé aussi loin que lui cette discrétion du talent qui consiste à glisser entre deux virgules, une observation profonde: c'est La Fontaine.
Tous deux représentent parfaitement le caractère du Français peu enclin à se fixer solidement dans une opinion...
Ils le représentent encore par leur don de saisir tout aussi bien le côté artistique et le côté ridicule des choses, ou, si l'on veut, par leur bon goût. Rien n'est plus amusant que l'ironie perpétuelle avec laquelle M. Bergeret, le personnage préféré d'Anatole France, dans lequel il s'est souvent peint lui-même, juge les actions de ceux qui l'entourent, même s'ils le font souffrir, dans un langage élégant et calme. Que dis-je, souffrir! Voilà un sentiment bien vif pour M. Anatole France.
Ce sceptique a été élevé par des croyants: il a fait ses études au collège Stanislas; il y a pris un goût aussi vif pour les mystiques légendes du christianisme que pour la grâce des contes païens. Même l'immoralité ne le choque point, pourvu qu'elle ait cet air de distinction qui n'est jamais absent de ses œuvres, soit qu'il fasse du roman, de la critique, de la poésie ou du théâtre.
Le théâtre seul ne lui a pas brillamment réussi; rares sont les auteurs qui remportent le même succès sur la scène et en librairie. Le Lys rouge n'a pas rapporté à M. Porel autant que Madame Sans-Gène, mais il faudrait de bien autres catastrophes, pour troubler la sérénité de M. Anatole France.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 27 septembre 1903.
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