Auguste Brieux.
M. Brieux est un homme heureux. Alors que tant d'autres hommes cherchent ici-bas leur voie et, désireux d'employer utilement leurs facultés, doutent du résultat de leurs efforts, M. Brieux est convaincu qu'il a reçu la mission de moraliser le genre humain, et il se consacre à cette tâche avec l'ardeur, la foi et l'opiniâtreté d'un prophète, mais quelquefois aussi avec la maladresse d'un pontife. C'est ainsi que sa dernière pièce: les Avariés, fut interdite, parce qu'elle contenait des consultations médicales un peu trop réaliste.
Certains auteurs ont pour eux la faculté d'observation, d'autres l'imagination, la fantaisie: M. Brieux, lui, a ses convictions. Le monde qu'il voit à travers ses yeux bleus ne lui paraît pas mystérieux et insondable. Il connaît nos devoirs et ne demande qu'à nous les enseigner. Aller voir son théâtre et vous apprendrez pourquoi les mères doivent nourrir leurs enfants. Mon Dieu, ce ne sont pas là des maximes très frappantes par leur nouveauté, mais M. Brieux s'en contente: c'est déjà un peu supérieur à la morale des mélodrames qui ne s'occupent que "du crime" et de "la vertu".
Dans la crainte de nous donner des tableaux inexacts, qui n'auraient peut être pas atteint leur but, M. Brieux, avant d'écrire sa pièce: Résultat complet des courses, a voulu étudier les ouvriers de près, et il est entré comme dessinateur dans un atelier de ciseleurs du quartier Poissonnière: mais il est tellement sincère qu'il n'a pu jouer longtemps son rôle et le jour même il dévoilait son incognito. Les ouvriers l'acclamèrent, ce que voyant, M. Brieux leur dit de conserver leurs applaudissements pour plus tard, et il les invita à la répétition générale. M. Brieux est sincère, mais il est Normand.
En 1870, il avait douze ans, il se déclara anarchiste, cette opinion lui dura un mois. Il s'est rangé bien vite à des idées plus sages, mais il n'a jamais cessé d'être un fervent démocrate; sa sympathie pour l'ouvrier est très vive et il déplore de le voir souvent mal jugé; il convient de rappeler à ce propos que M. Brieux est le fils d'un menuisier et qu'il a lui-même appris l'état de son père
Son instruction, faite par les frères de l'Ecole chrétienne, fut très sommaire et prit fin quand il sut lire, écrire et compter. Il la compléta seul, en suivant le soir des cours primaires, en lisant, car il adorait la lecture; ses économies passaient à acheter la Vie de Bohème, Atala et René, Faust. Quant à son style, personne ne s'en occupait, pas même M. Brieux, qui possède le don d'écrire facilement, ce qui est assez pénible pour le lecteur.
Jean-louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 20 septembre 1903.
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