Destruction de la machine de Marly.
On vient de détruire la célèbre machine de Marly, qui passait pour une des merveilles du siècle de Louis XIV.
Cet événement aurait fait sensation en Europe il y a cinquante ans, avant la propagation générale de la vapeur, et il affligera certains vieillards habitués à considérer l'oeuvre de Rennequin Sualem comme le dernier mot de la science hydraulique. (1)
Toute la génération de nos pères allait en pèlerinage admirer les roues colossales, les monstrueux pilotis, les engrenages mugissants de l'ingénieur liégeois; et nous-mêmes, enfants du dix-neuvième siècle, quand nous visitons les sites charmants de Bougival et de Lucienne, nous croyions n'avoir rien vu tant qu'on ne nous avait pas montré la machine de Marly.
- Où est la machine? demandent et demanderont longtemps encore les promeneurs de ce paradis terrestre, dont elle était le monument pittoresque et dont elle restera le souvenir impérissable.
Et le cicerone répond et répondra désormais:
- La machine n'existe plus; elle s'était faite si vieille qu'elle n'était plus bonne à rien; elle ne battait que d'une roue depuis longtemps; elle jetais des cris de détresse pour monter un filet d'eau; elle ne servait qu'à encombrer la Seine, dont elle barrait le cours à la navigation. Bref, la vapeur, sa jeune rivale, l'a détrônée et remplacée. Voici la pompe à feu de soixante-quinze chevaux (2) qui pousse l'eau vers l'aqueduc de Louis XIV, et la turbine simple et ingénieuse substituée à l'appareil compliqué de Rennequin. Le fleuve a retrouvé un lit profond et sûr, grâce à cette belle écluse, imitée de celle de la Monnaie de Paris, chef-d'oeuvre de M. Poirée, l'ingénieur en chef, et gouvernée par l’œil intelligent et la main savante de M. Dufrayer, directeur des travaux hydrauliques de Saint-Germain et de Marly.
Historien de toutes les gloires et conservateur de tous les monuments, le Musée des Familles n'a pas voulu que la machine de Marly disparût complètement et irrévocablement de ce monde. Il a fait dessiner son portrait à sa dernière heure, avec la scrupuleuse exactitude de la photographie.
Le soleil de Louis XIV avait créé d'un regard ce moulin à eau gigantesque; le soleil du bon Dieu en a retracé d'un rayon les débris curieux et vénérables.
Rappelons à ce sujet que la machine de Marly, dont l'établissement et l'entretien avait absorbé douze millions, est l'objet d'une erreur populaire, accréditée aux mauvais jours de la première république. On a dit et on répète, et beaucoup croient encore que Louis XIV avait fait cette folie et que ses successeurs l'avaient continuée, pour alimenter les bassins et les jets d'eau des parcs de Versailles et de Marly-le-Roi. Ce reproche a été jeté violemment à la tête de Louis XVI par les régicides de 1793. Or, rien n'est plus faux ni plus injuste qu'une telle assertion. Le premier but et le principal objet de la machine de Marly ont été et n'ont pas cessé d'être de fournir l'eau de la Seine aux habitants de Marly et de Versailles, dont les fontaines, les lavoirs, les bains, les carafes, etc. sont toujours les véritables aboutissants de l'aqueduc du grand roi. Le palais de celui-ci ne lui a jamais rien ou presque rien emprunté, et les pièces d'eau de Marly, après s'être joué avec le trésor liquide, le distribuaient paternellement aux sujets de Sa Majesté.
Vous pouvez en croire un témoin qui arrose encore aujourd'hui son gosier... et son jardin avec l'eau de Louis XIV.
Pitre-Chevalier.
Toute la génération de nos pères allait en pèlerinage admirer les roues colossales, les monstrueux pilotis, les engrenages mugissants de l'ingénieur liégeois; et nous-mêmes, enfants du dix-neuvième siècle, quand nous visitons les sites charmants de Bougival et de Lucienne, nous croyions n'avoir rien vu tant qu'on ne nous avait pas montré la machine de Marly.
- Où est la machine? demandent et demanderont longtemps encore les promeneurs de ce paradis terrestre, dont elle était le monument pittoresque et dont elle restera le souvenir impérissable.
Et le cicerone répond et répondra désormais:
- La machine n'existe plus; elle s'était faite si vieille qu'elle n'était plus bonne à rien; elle ne battait que d'une roue depuis longtemps; elle jetais des cris de détresse pour monter un filet d'eau; elle ne servait qu'à encombrer la Seine, dont elle barrait le cours à la navigation. Bref, la vapeur, sa jeune rivale, l'a détrônée et remplacée. Voici la pompe à feu de soixante-quinze chevaux (2) qui pousse l'eau vers l'aqueduc de Louis XIV, et la turbine simple et ingénieuse substituée à l'appareil compliqué de Rennequin. Le fleuve a retrouvé un lit profond et sûr, grâce à cette belle écluse, imitée de celle de la Monnaie de Paris, chef-d'oeuvre de M. Poirée, l'ingénieur en chef, et gouvernée par l’œil intelligent et la main savante de M. Dufrayer, directeur des travaux hydrauliques de Saint-Germain et de Marly.
Historien de toutes les gloires et conservateur de tous les monuments, le Musée des Familles n'a pas voulu que la machine de Marly disparût complètement et irrévocablement de ce monde. Il a fait dessiner son portrait à sa dernière heure, avec la scrupuleuse exactitude de la photographie.
Le soleil de Louis XIV avait créé d'un regard ce moulin à eau gigantesque; le soleil du bon Dieu en a retracé d'un rayon les débris curieux et vénérables.
Rappelons à ce sujet que la machine de Marly, dont l'établissement et l'entretien avait absorbé douze millions, est l'objet d'une erreur populaire, accréditée aux mauvais jours de la première république. On a dit et on répète, et beaucoup croient encore que Louis XIV avait fait cette folie et que ses successeurs l'avaient continuée, pour alimenter les bassins et les jets d'eau des parcs de Versailles et de Marly-le-Roi. Ce reproche a été jeté violemment à la tête de Louis XVI par les régicides de 1793. Or, rien n'est plus faux ni plus injuste qu'une telle assertion. Le premier but et le principal objet de la machine de Marly ont été et n'ont pas cessé d'être de fournir l'eau de la Seine aux habitants de Marly et de Versailles, dont les fontaines, les lavoirs, les bains, les carafes, etc. sont toujours les véritables aboutissants de l'aqueduc du grand roi. Le palais de celui-ci ne lui a jamais rien ou presque rien emprunté, et les pièces d'eau de Marly, après s'être joué avec le trésor liquide, le distribuaient paternellement aux sujets de Sa Majesté.
Vous pouvez en croire un témoin qui arrose encore aujourd'hui son gosier... et son jardin avec l'eau de Louis XIV.
Pitre-Chevalier.
(1) Nous disons Rennequin Sualem et non pas le baron de Ville, comme on disait sous Louis XIV et sous ses successeurs. Voici la véritable histoire de ce Raton et de ce Bertrand de la mécanique. Rennequin fut l'inventeur positif et M. de Ville fut l'inventeur officiel. Le premier traçait le plan du grand ouvrage dans une pauvre maison de Bougival, et le second le montrait comme sien au roi-soleil dans les salons dorés de Versailles et de Marly.
Le subalterne se taisait de peur de perdre la place qui le faisait vivre, et le chef montait chaque jour en faveur, grâce aux merveilles exécutées par son commis. Lorsqu'on inaugura la machine, Louis XIV et sa cour se placèrent au sommet de la plus haute tour des aqueducs, à cinq ou six cents pieds au-dessus du niveau de la Seine. A un signal donné par Sa Majesté et communiqué à Bougival, les quatorze roues géantes se mirent en mouvement, et l'eau arriva jaillissante et limpide, à travers les longs tuyaux de fer, jusque dans le bassin de granit, aux pieds du roi, qui ne savait pas attendre. Le baron de la Ville était là, faisant la roue avec son plumage d'emprunt. Les courtisans le portèrent en triomphe. Louis XIV le combla de titres, d'honneur et d'argent, et son carrosse faillit écraser un pauvre diable perdu dans la foule au bas de la tour. Ce pauvre diable était Rennequin Sualem, qui devint fou, selon quelques-uns, et finit dans la misère, selon la plupart. La France et l'histoire l'ont vengé depuis de leur mieux, en donnant son nom au quai de la machine de Marly.
(2) Commencée en 1812 et achevée en 1826 par MM. Cécile et Martin.
Musée des Familles, novembre 1856.
Le subalterne se taisait de peur de perdre la place qui le faisait vivre, et le chef montait chaque jour en faveur, grâce aux merveilles exécutées par son commis. Lorsqu'on inaugura la machine, Louis XIV et sa cour se placèrent au sommet de la plus haute tour des aqueducs, à cinq ou six cents pieds au-dessus du niveau de la Seine. A un signal donné par Sa Majesté et communiqué à Bougival, les quatorze roues géantes se mirent en mouvement, et l'eau arriva jaillissante et limpide, à travers les longs tuyaux de fer, jusque dans le bassin de granit, aux pieds du roi, qui ne savait pas attendre. Le baron de la Ville était là, faisant la roue avec son plumage d'emprunt. Les courtisans le portèrent en triomphe. Louis XIV le combla de titres, d'honneur et d'argent, et son carrosse faillit écraser un pauvre diable perdu dans la foule au bas de la tour. Ce pauvre diable était Rennequin Sualem, qui devint fou, selon quelques-uns, et finit dans la misère, selon la plupart. La France et l'histoire l'ont vengé depuis de leur mieux, en donnant son nom au quai de la machine de Marly.
(2) Commencée en 1812 et achevée en 1826 par MM. Cécile et Martin.
Musée des Familles, novembre 1856.
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