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samedi 21 février 2015

Le carnet de Madame Elise.

La paix du ménage.

Si je pouvais communiquer à mes lecteurs et à mes lectrices qui songent à se marier, toutes les lettres de plaintes écrites par ceux et celles qui sont en ménage, je suis assurée qu'ils en tireraient le plus grand profit.
La discrétion professionnelle ne m'autorise pas à faire de semblables révélations, mais je puis extraire de ces multiples confidences tout ce qui est général et, sans trahir personne, vous confier le thème ordinaire de ces doléances.
De quoi se plaignent le plus souvent les conjoints? Qui est-ce qui empoisonne ordinairement l'union conclue sous les plus favorables auspices? c'est la diversité des caractères, remarquez bien que je ne vais pas jusqu'à prononcer le mot énorme d'incompatibilité; on en joue constamment à notre époque et c'est l'argument couramment invoqué pour expliquer les séparations.
Mes lecteurs, lorsqu'ils sont arrivés à ces extrêmes, s'adressent à des avocats et ne me consultent pas; mais ceux qui sont pleins de bonne volonté, qui se refusent à admettre qu'avec des concessions réciproques deux caractères ne peuvent se supporter, n'en souffrent pas moins de ces divergences de vue, d'opinions, de sentiments qui créent, entre époux, un conflit à chaque incident.
Dans ces sortes de mariages, il y a deux victimes sans qu'il y ait un bourreau; chacun des conjoints est comprimé, entravé dans ses jugements, ses aspirations, ses désirs sans que l'autre ait jamais la satisfaction de voir les siens librement épanouis; ils sont enfermés dans une cage trop étroite; chacun fait souffrir son compagnon de captivité et souffre de sa présence.
Aussi, je veux recommander instamment à mes jeunes lecteurs de se préoccuper avant tout de l'harmonie des caractères dans le choix d'une épouse; la vie est toujours assez compliquée, assez cruelle, les événements douloureux sont toujours assez fréquents, pour que, de gaieté de cœur, nous n'attachions pas à notre existence une source inépuisable de contrariétés, d'impatience, de chagrin.
Vivre à côté d'une personne qui ne parle pas la même langue que vous, n'est-ce pas vivre dans la solitude? Eh bien! l'existence avec une personnes dont les principes, les goûts, les préjugés, les convictions sont différents des vôtres, est également solitaire; chacun de ses actes vous étonne, vous scandalise, vous irrite. Quel parti prendre: la discussion ou la résignation? L'un et l'autre sont pénibles et éloignent le bonheur.
Les jeunes gens sont bien étourdis quand ils contractent un mariage en acceptant cet élément de discorde et de peine; en réalité, aucun ne l'admet sciemment; mais le vertige de l'amour, la belle confiance de la jeunesse, tous les mirages rieurs et séduisants qui font aux fiançailles un cortège fascinateur enlèvent à ces cœurs naïfs la faculté de juger.
Plus tard, après quelques mois, lorsque les heurts inévitables de la vie quotidienne leur révéleront les divergences de leurs caractères, les deux époux seront désolés; ils s'accuseront de duplicité, parce que, jusque-là, ils n'avaient rien deviné.
Mais ces révélations vont vite; malgré leur désir, chaque jour apportera une nouvelle cause de mésintelligence et bientôt ils seront l'un et l'autre malheureux sans être coupables.
Cherchez, jeunes fiancés, avant tout l'harmonie des caractères, des sentiments, de l'éducation, des principes, des enthousiasmes, et le reste vous sera donné par surcroît.

                                                                                                                                 Madame Elise.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 octobre 1903.

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