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samedi 21 février 2015

Pourquoi Balzac ne fut pas de l'Académie?

Pourquoi Balzac ne fut pas de l'Académie?

Balzac, l'auteur de la Comédie humaine, le plus puissant romancier du dix-neuvième siècle, sur qui nous avons déjà conté à nos lecteurs de biens curieuses anecdotes, conçut un matin l'idée abracadabrante du Cheval Rouge. Qu'était-ce que ce Cheval Rouge? Une trouvaille de génie.
Le Cheval Rouge, association de poètes, littérateurs, artistes, ne visait rien moins qu'à l'accaparement, au trust, du succès et de la gloire, par la prise de possession de tous les journaux, de l'Académie, de la Légion d'honneur, des ministères, de toutes les sources de fortune et d'influence. Il y avait de grands chevaux rouges et de petits. Théophile Gautier était un grand, Balzac le plus grand.
Ce diable d'homme était du reste convaincu de la réalité de tout ce qui traversait son cerveau. Et Dieu sait que des choses y passaient! Le Cheval Rouge, dans sa pensée, devait lui procurer l'empire du monde. "Il se transfigurait, raconte Gautier, lorsqu'il expliquait son programme à ses croyants. Il leur semblait alors le voir appuyé contre le marbre blanc d'une cheminée d'hôtel impérial, un cordon rouge au col, une plaque en brillants sur le cœur, recevant d'un air affable les sommités de la politique, des arts et des lettres." Et il se persuadait que c'était arrivé.
Le Cheval Rouge devait constituer une sorte de société secrète. On n'y admettait que des initiés en petit nombre. Quiconque en faisait partie s'engageait sous serment à faire partout l'éloge de celui  des "chevaux" qui venait de publier un volume ou de faire jouer une pièce. Cet éloge devait se prodiguer en articles, en réclames, en conversations, en toute rencontre. Toute hostilité envers un Cheval rouge devait être accueillie par le hennissement formidable, la ruade et l'attitude de combat de toute l'écurie. L'ennemi était condamné à périr sous les coups de sabot. Le Cheval Rouge ne vécut qu'une semaine. Les réunions devaient avoir lieu tous les quatre jours dans un restaurant où l'on dînerait ensemble, mais le restaurateur, qui connaissait le fond de la bourse de Balzac et de ses amis réclamait d'avance les trente sous, prix du repas. Dès la première réunion, les trois quarts des chevaux n'ayant pas de quoi payer leur avoine se firent excuser. Ils étaient à sec avant d'avoir bu. La société fut forcément dissoute et chaque cheval tira de son côté.
- Voilà pourquoi, dit mélancoliquement Théophile Gautier, le grand Balzac ne fut pas de l'Académie.
Il est vrai que Théo n'y entra pas d'avantage!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 octobre 1903.

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