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mardi 30 septembre 2014

Ménagerie anglaise.

Ménagerie anglaise.


Une industrie fort lucrative dans la Grande-Bretagne est celle qui consiste à promener des animaux rares, dans les foires et les lieux de réunion publiques. Plusieurs propriétaires de ménageries ont déjà fait dans ce pays, une brillante fortune, mais aucun d'eux n'a possédé une aussi belle collection que celle qu'exploite actuellement M. Wombwell. Chaque année, cette ménagerie s'enrichit de quelques nouveaux individus, et la suite des chariots destinés au transport de toutes ces bêtes, ressemble assez aux bagages d'un nombreux corps d'armée.
Comme M. Wombwell se trouve toujours en voyage, un énorme fourgon est disposé de manière à contenir une cuisine, un salon, des lits, et tout ce qui est nécessaire à son ménage et à sa nombreuse suite.
La ménagerie de M. Wombwell compte en ce moment dix lions et cinq éléphans; c'est plus qu'on en trouverait dans toute la France. Elle contient en outre une telle quantité d'autres animaux curieux qu'il lui serait facile d'approvisionner les foires de toute l'Europe. Et cependant toutes les fois que les animaux rares arrivent de l'Inde, M. Wombwell en fait l'acquisition avec un si grand laisser-aller que souvent il s'est vu hors d'état de payer les péages de la route (1) . Il est souvent arrivé à M. Wombwell, de payer jusqu'à 400 francs de péage dans un jour.
Sa musique qui est fort belle lui coûte près de 25.000 fr. par an, et les dépenses journalières de l'établissement s'élèvent à plus de 900 francs; par conséquent plus de 300.000 francs par an. M. Wombwell nous dit que s'il ne devait pas se déplacer si fréquemment, il trouverait de grandes économies à faire lui-même l'état de boucher; il n'aurait qu'à se défaire des morceaux les plus estimés du bœuf et du mouton. Une tête de mouton est un très bon repas pour l'hyène qui est si vorace. M. Wombwell, ne trouverait pas moins d'avantages à pétrir son pain et à brasser sa bière et son ale, qu'à tuer pour son compte.
La ménagerie de M. Wombwell, lors de la station qu'il fit dernièrement dans les environs de Londres, a été visitée dans l'espace de quatre jours par plus de soixante milles personnes.
Dans les dernières années, M. Wombwell a obtenu plusieurs portée d'animaux sauvages; deux fois les tigres dévorèrent leurs petits; mais depuis qu'on a éloigné les mâles, et qu'on a placé une espèce de berceau dans les cages, les tigresses sont devenues d'excellentes nourrices, et les petits sont bien venus. La lionne reste avec ses petits douze semaines; la tigresse seize, ainsi que la femelle du léopard et de la panthère. La valeur des animaux sauvages varie comme autre chose, suivant l'abondance et les demandes: les tigres sont vendus jusqu'à 300 livres (7.500 f.) mais quelquefois ils ne coûtent que 100 livres; une belle panthère se vend ordinairement 100 livres sterling; la hyène, 30 à 40 livres sterling. Les espèces rares de singes se vendent extrêmement cher, ainsi que les lamas et le gnus. Il est impossible de fixer le prix des lions et des éléphans.
La portée ordinaire de la lionne est de deux petits; mais une vieille lionne de M. Wombwell, a donné deux fois quatre petits; cependant à chaque fois la lionne se contenta d'allaiter deux d'entr'eux, et négligeait les autres; ceux-ci ont été donnés à une superbe chienne d'arrêt qui les a allaités, et on a pu les élever.
La mortalité, les maladies et les accidens font subir des pertes notables aux propriétaires de ménageries. Dernièrement une superbe autruche, de la valeur de 200 livres sterling, engagea malheureusement son bec dans les barreaux de la cage, et dans les efforts qu'elle fit pour se dégager, elle se rompit le cou, et mourut. Les singes sont en Angleterre d'une santé extrêmement délicate; ils s'enrhument on ne peut plus facilement, et quand ils ont commencé à tousser, ils présentent tous les symptômes qu'on remarque chez les personnes qui souffrent de la poitrine, et ne tardent pas à mourir. La nourriture ordinaire des singes se compose de pain et de lait, ou de feuilles de laitue et de petits oignons dont ils sont très friands. M. Wombwell estime qu'il a perdu près de 300.000 francs par les maladies qui ont affligés ses animaux sauvages et ses oiseaux.
Les zèbres, suivant M. Wombwell, peuvent devenir dociles comme le cheval; cependant l'individu de cette espèce qu'il possède est très méchant; car nul de ses gardiens, qui ont tous coutume d'entrer, et de se promener sans crainte dans les cages des lions, des tigres et des panthères, n'oserait pénétrer dans la sienne. Une fois par an, le zèbre est attaché à de fortes cordes, et tiré hors de sa cage, afin de couper la corne de ses sabots. Il ne faut pas moins de vingt hommes pour le tenir immobile. M. Wombwell possède les plus grands boas qu'on ait amené en Europe; il les nourrit de lapins; plus d'une fois il les a fait jeûner pendant plusieurs semaines. Une chose essentielle dans les soins qu'on leur donne, c'est de régler la température de l'endroit où on les tient enfermés. On les enveloppe dans des couvertures de laine, et on les met dans une boite en bois bien fermée, qu'on place dans un vase de cuivre plein d'eau chaude. L'eau doit être renouvelée matin et soir; si le temps est humide, et surtout si le froid est intense, on doit avoir soin de la changer plus souvent.
Le plus bel éléphant de cette ménagerie, Chuney, qui a maintenant 10 pieds de hauteur, exécute mille tours à l'aide de sa trompe à la fois si délicate et si puissante qu'elle peut ramasser une épingle et déchirer le tronc noueux d'un chêne. Ce monstrueux  mammifère ne consomme pas moins d'un quintal et demi de foin par jour, sans parler d'une énorme quantité d'herbes, de feuilles et de racines; il boit un seau d'eau à chaque coup, et il lui faut journellement soixante-dix pintes d'ale forte, toutes les vingt-quatre heures; mais en été sa boisson est étendue d'eau. L'ale ainsi mélangée est très salutaire pour les éléphants; mais Cluney s'embarrasse peu des règles de la tempérance, et si son maître le lui permettait, il serait capable de vider chaque nuit un baril de bière. On prétend que les éléphants grandissent jusqu'à l'âge de cinquante ans, et M. Wombwell est de cette opinion. Cluney fut prit lors de la guerre des Birmans, et coûta à son propriétaire actuel, plus de 25.000 francs.

(1) En Angleterre on a établi sur les routes, à certaines distances, des barrières appelées Gates ou Toll bars, où les voitures paient un péage. Cet impôt fixé par le Parlement, suivant les localités, est la véritable cause du luxe des routes en Angleterre. Le revenu des péages est si considérable, que dans plusieurs provinces on en prélève une partie pour l'affecter à d'autres dépenses. Une distance de trois ou quatre lieues sépare ordinairement ces barrières.



Le Magasin Universel, 1834-1835.

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