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jeudi 5 janvier 2017

La mort de la marquise de Brinvilliers.

La mort de la marquise de Brinvilliers.


Cette criminelle fameuse, ayant été gravement compromise après les aveux de ses complices Sainte-Croix et Lachaussée, s'enfuit en Angleterre d'où, par suite de l'extradition accordée par le gouvernement anglais, elle ne tarda pas à venir se réfugier en France. Mais elle fut arrêtée à Liège, le 25 mars 1676, dans un couvent. Le jour même de son arrivée à Paris, le 26 avril, elle fut écrouée à la Conciergerie.
C'est à l'Arsenal, devant la plus haute juridiction du royaume, la Grand'Chambre et Tournelle réunies, qu'elle comparut: le tribunal était composé par le premier président de Lamoignon: pendant vingt-deux audiences, du 29 avril au 16 juillet, elle tint tête à toutes les accusations; rien ne put la fléchir, pas même la déposition foudroyante de Briancourt, et son orgueil demeura indomptable. Et pourtant, elle devait être torturée, brûlée, et ses cendres devaient être jetées au vent, après l'amende honorable à genoux devant le portail de Notre-Dame, en chemise, la torche en main.
Sa mort devait être effroyable: nul principe de religion ou de morale ne pouvait la soutenir pendant ces heures d'angoisses. Cependant, un homme s'est trouvé, dont la piété ardente a su triompher d'une âme endurcie par tous les vices: l'abbé Pirot fut chargé par le président de Lamoignon d'assister Mme de Brinvilliers, et l'on ne peut qu'admette la finesse psychologique de ce magistrat qui sut découvrir le seul homme peut-être capable de réussir dans un oeuvre, où auraient échoué les confesseurs, même les plus autorisés et les plus éloquents. Car il n'aurait pas suffi, comme un Bourdaloue, de censurer le voluptueux ou le sensuel, qui "tyrannisé par sa passion, la porte au tombeau, et meurt idolâtre d'un objet dont il ne peut se résoudre à se détacher, jusqu'à ce qu'enfin, sans avoir égard aux feux éternels, il achève de se consumer dans les ardeurs d'un feu impudique."
Il n'aurait pas suffi de faire sur le vif la dissection d'un vice, dont les victimes abandonnées à cette époque et qui, seul, avait poussé la marquise à commettre tant de crimes. Il fallait autre chose pour vaincre la nature orgueilleuse de cette femme; il fallait un cœur débordant d'amour pour ses semblables, une âme d'une extrême sensibilité souffrant des misères présentes et futures de sa pénitente. Mais on devait aussi opérer le miracle de lui imposer une foi tellement vive qu'elle fût assurée d'obtenir un jour la rémission de toutes ses fautes grâce à son repentir et à ses remords.
L'abbé Pirot a raconté le dernier jour de Mme de Brinvilliers (1).
"Cette relation est l'un des plus extraordinaires monuments que possède la littérature. Le récit est écrit sans souci d'art: les conversations sont rapportées tout au long avec les redites et d'interminables monotonies, mais le style est clair, précis, limpide, et l'expression des plus vives passions est sobre et juste..."
Avant de partir pour le supplice, elle fut admise à prier quelques instants dans la chapelle de la Conciergerie devant le Saint-Sacrement exposé à son intention. Elle eut alors avec son confesseur une conversation, où celui-ci, par une foi ardente et communicative, dut pour toujours ramener le calme dans cette âme un peu troublée encore. Elle parlait de l'arrêt, et ce qui l'effrayait, ce n'était pas le supplice, mais l'amende honorable, humiliation suprême pour cette révoltée, et les cendres jetées au vent. L'abbé Pirot lui répondit: "Madame, il est indifférent pour votre salut que votre corps soit mis en terre ou qu'il soit jeté au feu. Il sortira glorieux des cendres, si votre âme est en grâce... Oui, madame, cette chair, que les hommes brûleront bientôt, ressuscitera un jour toute la même qu'elle est, mais glorieuse, pourvu que votre âme jouisse de Dieu, elle renaîtra claire comme le soleil, impassible, subtile et agile comme un esprit."




Au sortit de la Conciergerie, elle fut hissée sur le tombereau, ayant à ses côtés son confesseur. Au milieu d'une foule immense, partagée entre la colère et la compassion, le lugubre attelage s'avança lentement. On s'arrêta devant Notre-Dame, où elle fit amende honorable, agenouillée sur la marche de la grande porte, puis elle remonta dans le tombereau pour se rendre à la place de Grève. Sur l'échafaud, elle subit, sans se plaindre, les derniers préparatifs de la funèbre toilette.
" Je voudrais être brûlée toute vive, dit-elle, pour rendre mon sacrifice plus méritoire, si je pouvais assez présumer de mon courage pour supporter ce genre de mort sans tomber dans le désespoir."
Paroles remarquables, qui portent la marque d'un profond repentir! Alors l'abbé Pirot entonna le Salve, et le peuple s'unit de cœur, en le continuant. L'abbé, l'ayant alors avertie qu'il allait lui donner l'absolution: "Monsieur, lui dit-elle, vous m'avez tantôt promis de me donner une pénitence sur l'échafaud, sur la plainte que je vous ai faite que vous m'en donniez une trop légère, et vous n'en parlez pas présentement." Je lui donnai à dire en ave et une Sancta est maria mater gratiæ. Ensuite de quoi, lui disant: "madame, renouvelez cette contrition, je lui donnai l'absolution, ne disant que les paroles sacramentelles, parce que le temps pressait."
L'espérance assurée de son salut transfigura la condamnée, et son pieux confesseur s'écrie: "Jamais je n'ai rien vu de plus touché que ses yeux me parurent, et, si j'avais à peindre un visage contrit et plein de componction de cœur et d'espérance du pardon, je ne voudrais d'autres traits que ceux que je me remets encore et que je me remettrai toute ma vie.




Sa tête fut tranchée et le corps porté sur le bûcher; puis les cendres furent dispersées pendant que le peuple se disputait quelques ossements calcinés. Cette mort fut comme le prologue du drame horrible qui porte dans l'histoire le nom de Drame des poisons.

                                                                                                   Gérard Devèze.

(1) La marquise de Brinvilliers, récits de ses derniers moments, manuscrit du P. Pirot, publ. par G. Roullier (Paris 1883, 2 vol.) M. F. Brentano a prouvé que M. Roullier avait, à tort, fait de l'abbé Pirot un jésuite.

Le Magasin pittoresque, 1er septembre 1913.

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