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mardi 24 janvier 2017

Le noble jeu de billard.

Le noble jeu de billard.

On dira que le billard est un jeu trop peu suivi pour intéresser beaucoup de monde, et que la paume, le lawn-tennis, les échecs même ont autrement de partisans. Nous ne sommes pas de cet avis; le billard moderne, sans blouses, avec la partie de carambolage est tellement entré dans nos mœurs qu'il n'y a plus de cercles sans deux ou trois billards.
On trouve des billards partout au monde, sauf dans le centre de l'Afrique. On en trouve dans des petits villages des Balkans, où l'on ne peut arriver qu'à cheval, et l'on se demande comme ces lourdes machines ont pu être apportées. On en trouve au Tonkin, là où n'avons encore ni colonie agricole, ni industrie, sauf celle des cafés qui est la grande industrie des français à l'étranger.
Nous ne sommes pas si loin du temps où de Chamillard faisait sa fortune politique au billard avec Louis XIV et où Samuel Bernard faisait à son tour sa fortune en faisant la partie de M. de Chamillard. N'avons-nous pas vu un célèbre jouer de billard, devenir mieux que Chamillard, chef de l'Etat, président de la République française.
Nous avons nommé M. Grévy, que son gendre à fini par blouser.
On jouait du temps de Chamillard avec la masse, petite queue terminée en spatule. La queue dont on se sert aujourd'hui date précisément de 1789. On va pouvoir en célébrer le grand centenaire avec celui de la Révolution. Cependant le procédé en cuir qui termine cette queue et la rend apte à tous les effets imaginables, ne date que de la Restauration.
Avec cet instrument bien manié de la main, très peu de l'avant-bras, et jamais de l'épaule, on pratique ce qu'on appelle rétrograde, direct et angulaire, le coulé, le massé, le piqué, l'effet direct ou contraire, le coup dur, le saut et le coup fouetté. Tous les points de la bille deviennent attaquables, au-dessus, au-dessous, par côté ou perpendiculairement.
- C'est une science, disait un célèbre professeur gascon, pour laquelle ce n'était pas assez que la vie d'un homme.
La vérité est que le billard est avec les échecs et la paume, le jeu le plus difficile, et qu'il faut des années pour devenir un bon joueur.
Le plus célèbre joueur avant M. Vignaux fut le célèbre Berger, à Lyon. Il jouait avec une grande simplicité, sans pose et par les moyens les plus simples, si bien qu'un jour un joueur étranger voulant se faire valoir, à ses dépens, en lui montrant ses prouesses sur le massé. La galerie était stupéfaite. Berger restait sans mot dire, et paraissait ahuri. Quand le provincial eut fini:
- Pardon, lui dit Berger, vous ne connaissez pas le massé.
Et Berger, prenant les billes, exécuta séance tenante une série interminable de massés avec des billes rapprochées ou à distance. Le provincial s'était esquivé avant la fin.
Nos plus célèbres professeurs de billard sont: MM. Vignaux, Mangin, Piot, Bataille, Lheuller, Gay, etc. Bruxelles a le célèbre Garnier, qui a gagné une fois Vignaux.
Ce qui fait la supériorité de Vignaux sur tous les champions français et étrangers, c'est, après son savoir, son calme et sa force physique. Jamais Vignaux ne s'émeut, qu'il perde ou qu'il gagne, et son bras, ou plutôt son poignet, a une vigueur et une souplesse qu'il déploie tour à tour, avec une égale facilité selon qu'il veut ramener ou conserver les billes.
Les parties, les matchs de Vignaux avec les champions américains sont si connus, qu'on ne peut revenir sur ce sujet. Les séries de mille points finissaient par devenir un jeu, tellement ce qu'on appelle "la série américaine" était devenue pour ces joueurs un procédé mathématique.
Les billes se suivaient le long de la bande par petits carambolages, indéfiniment. C'est alors qu'on a inventé la "partie encadrée".
Pour cela, on trace à la craie sur le billard, quatre raies distantes de quinze à vingt centimètres des bandes, et il est interdit au joueur de faire plus d'un carambolage en conservant la même distance.

Le petit Moniteur illustré, 1er septembre 1889.

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