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mercredi 4 janvier 2017

Leurs anniversaires.

Leurs anniversaires.


"Nous l'avons eu votre Rhin allemand".

Alfred de Musset


A propos du vingt-cinquième anniversaire de la guerre sanglante, les Allemands étalent en ce moment leur rodomontade.
L'empereur guillaume II parle à tout propos de son amour pour la paix, ce qui rappelle singulièrement une pièce célèbre, l'Auberge des Adrets.
Quand Robert Macaire est saisi par les gendarmes, après tous ses forfaits, lui aussi parle de paix et de réconciliation.
- Embrassons-nous, gendarme !
Le successeur de celui qui nous a pris cinq milliards et deux provinces a beau jeu de nous parler de concorde; il tient à garder ce qu'il a.
Néanmoins, il revient à son naturel malgré lui, et tout dernièrement en Angleterre il commettait, étant reçu dans un pays étranger, l'inconvenance de prononcer des paroles qui le firent rappeler à l'ordre même par les journaux les plus dévoués à sa grand mère la reine Victoria.
Les Allemands suivent son auguste exemple et voilà que, à grand renfort de saucisses, de choucroute et de bière, ils célèbrent 1870; toutes les bravades, ils les croient permises, et, sans doute nous les avons encouragés en envoyant notre flotte à Kiel.




Mais leurs cris d'ivrognes réveillent chez nous les échos endormis et voici que chantent dans nos souvenirs ces admirables vers du grand Musset, du poète à l'âme vibrante plus que tout autre au monde.
C'était en 1841. Un allemand, Nicolas Becker, dont ils viennent, il y a quelques jours, de célébrer l'anniversaire, avait composé un chant que tout le monde braillait dans son pays; en voici la traduction:

Le Rhin allemand.

Ils ne l'auront pas, le libre Rhin allemand, quoiqu'ils le demandent dans leurs cris comme des corbeaux avides.
Aussi longtemps qu'il roulera paisible, portant sa robe verte; aussi longtemps qu'une rame frappera ses flots.
Ils ne l'auront pas, le libre Rhin allemand aussi longtemps que les cœurs s'abreuveront de son vin de feu.
Aussi longtemps que les rocs s'élèveront au milieu de son courant; aussi longtemps que les hautes cathédrales se refléteront dans son miroir.
Ils ne l'auront pas, le libre Rhin allemand aussi longtemps que de hardis jeunes gens feront la cour à des jeunes filles élancées.
Ils ne l'auront pas, le libre Rhin allemand, jusqu'à ce que les ossements du dernier homme soient ensevelis dans ses vagues.

A ces provocations Lamartine répondit par une assez fade Marseillaise de la paix, mais Alfred de Musset, dans un sublime élan de colère patriotique, cracha au visage de Becker et de ses admirateurs la superbe réponse que voici:


Le Rhin allemand.

Nous l'avons eu, votre Rhin allemand,
Il a tenu dans notre verre,
Un couplet qu'on va chantant
Efface-t-il la trace altière
Du pied de nos chevaux marqué dans votre sang.

Nous l'avons eu, votre Rhin allemand,
Son sein porte une plaie ouverte, 
Du jour où Condé triomphant
A déchiré sa robe verte
Où le père a passé, passera bien l'enfant.

Nous l'avons eu, votre Rhin allemand,
Que faisaient vos vertus germaines,
Quand notre césar tout-puissant
De son ombre couvrait vos plaines?
Où donc est-il tombé ce dernier ossement?

Nous l'avons eu, votre Rhin allemand,
Si vous oubliez votre histoire, 
Vos jeunes filles, sûrement, 
Ont mieux gardé notre mémoire;
Elles nous ont versé votre petit vin blanc.

S'il est à vous, votre Rhin allemand,
Lavez-y donc votre livrée,
Mais parlez-en moins fièrement.
Combien, au jour de la curée,
Étiez-vous de corbeaux contre l'aigle expirant?

Qu'il coule en paix, votre Rhin allemand,
Que vos cathédrales gothiques
S'y reflètent modestement;
Mais craignez que vos airs bachiques
Ne réveillent les morts de leur repos sanglant!

Ne trouvez-vous pas que ces vers auraient pu être écrits hier, et qu'il est bon de les rappeler?





Le Petit journal, dimanche 1er septembre 1895.

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