Le volapuk.
Né d'hier et déjà célèbre, le "volapuk" ou plutôt, pour être plus correct, le "volapukiste" est un philologue d'un genre nouveau. Il n'aime et n'admet plus qu'une langue, le "volapuk".
On sait que le volapuk est une macédoine de langues, une olla-podrida de plusieurs dialectes, une salade russe de patois différents, permettant à tout le monde de se faire comprendre partout. C'est la revanche de la Tour de Babel; ce sont des signes maçonniques articulés.
Cette idée a fait des prosélytes et surtout des fanatiques. L'homme frappé de volapuk ressemble à un illuminé, errant comme une âme en peine et passant ses journées à apprendre et à parler volapuk.
Il vous rencontre et vous prend sous le bras: "N'est-ce pas que c'est admirable!" dit-il, et pendant une heure il vous prononce tous les mots en volapuk. En vous quittant, il vous fait cadeau d'une grammaire de volapuk, et s'il a à vous écrire, il vous écrit en volapuk.
Le malheur du volapuk est de rencontrer vaguement un interlocuteur, qui parle la même langue. Lui-même n'est pas très sûr de ce qu'il dit, et il y a déjà des schismes entre volapuks. Selon les pays et les points cardinaux, les volapuks ont des accents opposés et mêmes contradictoires. Le volapuk marseillais ne comprend pas le volapuk alsacien; mais ils sont tellement convaincus de leur sainte mission volapokienne qu'ils font semblant de s'être compris.
Le volapuk est destiné au martyre parce qu'il ne rencontre que des incrédules et des blagueurs. A force de s'imbiber de volapuk, il oublie sa langue maternelle et perd la faculté de se faire comprendre. Un jour viendra où le volapuk n'aura de ressource que par le geste. C'est la pantomime de l'avenir.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.
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