Château de Vaux-le-Praslin.
(Seine-et-Marne)
(Seine-et-Marne)
Le château de Vaux-le-Praslin est situé à dix lieues de Paris, sur les bords de la Seine, près de Melun.Trop souvent l'aspect d'un grand monument rappelle de grandes infortunes, et des voûtes qu'on croyait muettes ont quelquefois raconté au voyageur la chute d'un homme puissant. Tel est le sentiment que l'on éprouve à la vue de Vaux-le-Praslin. En voyant ce superbe édifice, on se souvient involontairement du nom de son premier possesseur, de Fouquet, ce fier surintendant dont la disgrâce fut un des premiers actes du règne de Louis XIV, alors que le monarque prit en mains les rênes de l'Etat.
Fouquet, l'élève de Mazarin, en avait initié les magnificences dans ses palais; il s'était fait le protecteur des arts, de la poésie, de tout ce qui vivait alors de l'esprit et de l'intelligence; son impulsion généreuse, sa protection d'or furent plus fécondes que celles de Colbert; c'est lui qui créa ce système dont son successeur reçut tout l'éclat. Dans la vieille monarchie, c'était une ancienne coutume de sacrifier le surintendant des finances aux clameurs du peuple; par là, on semblait venger les pauvres payeurs d'impôt, soulager les villes et les campagnes chargées de tailles et de gabelles. La disgrâce de Fouquet est une résolution arrêtée dans l'esprit de Louis XIV dès qu'il prend la conduite des affaires; il croît cette disgrâce une chose nécessaire à la force de son pouvoir, et il n'attend plus que l'instant propice pour l'exécuter.
Commencé en 1653, le château de Vaux et ses vastes jardins coûtèrent à Fouquet dix-huit millions, somme équivalente à près de trente-six millions de notre époque; ce superbe domaine fut d'abord appelé Vaux-le-Vicomte. L'architecte Leveau, que Boileau prétend être le véritable auteur de la colonnade du Louvre, construisit le palais; les jardins commencèrent la réputation de Le Nôtre; les peintures furent exécutées par Lebrun et les premiers artistes du temps. Entreprendre ici la description détaillée du château de Vaux serait s'engager dans une nomenclature nécessairement froide et surabondante; mais nous ne saurions nous dispenser d'en souligner les principales beautés.
L'avant-cour est décorée de portiques et fermée du côté de l'avenue, par une grille que soutiennent des cariatides; deux bassins enrichis de groupes ornent la cour du château, qui lui-même est entouré de larges fossés remplis d'eau vive et bordés d'une balustrade de pierre. Un immense vestibule communique à un grand salon ovale dont l'architecture se compose d'arcades et de pilastres; quatre statues de marbre, d'après l'antique, remplissent quatre de ces arcades. Les appartements sont ornés de figures en stuc et de peintures magnifiques. On remarque un riche plafond du peintre Lebrun représentant l'apothéose d'Hercule et quelques-uns de ses travaux; un autre plafond, du même auteur, se compose de cinq figures: la Fidélité, le Secret, la Force et la Prudence groupées et soutenues par la Renommée. Dans le fond, Apollon renverse à coups de flèches l'Envie et d'autres monstres qui se perdent dans l'épaisseur des nuées. Le plafond du cabinet reproduit une femme qui dort, la tête appuyée sur son bras; elle laisse tomber des pavots. La frise est ornée d'arabesques, parmi lesquelles on remarque un écureuil à qui une couleuvre donne la chasse; on sait que l'écureuil appartenant aux armes de Fouquet, et la couleuvre à celles de Colbert. Si ces peintures ont été faites après la chute du surintendant, elles n'ont rien qui doivent étonner; mais si, comme on l'assure, elles l'ont été auparavant, l'allégorie est frappante et l'événement a réalisé la prédiction.
Du côté des jardins, la façade du château offre deux pavillons ornés de pilastres d'ordre ionique; deux petits avant-corps qui les accompagnent sont surmontés d'une balustrade régnant pareillement sur le dôme qui est terminé par une campanile. Le milieu de la façade est décoré de quatre colonnes; au-dessus sont autant de pilastres avec un fronton, et sur l'entablement s'élèvent quatre figures de pierre; des chiffres et des armes supportés par des lions et des génies tenant des couronnes, surmontent le bandeau des croisées du rez-de-chaussée; on aperçoit dans le fronton les armes des anciens maîtres du château. De magnifique bassins, une belle pièce d'eau d'un arpent carré, au centre de laquelle est une figure en marbre représentant Neptune sur une conque marine tirée par trois chevaux; une chute d'eau; un canal de 500 toises de longueur occupant toute la largeur d'un parc de 600 arpents; de nombreux piédestaux, jetant chacun de l'eau dans une coquille, tels sont les principaux ornements de cette immense propriété. C'est dans le parc que l'on vit pour la première fois l'eau s'élancer en jets et tomber en cascades; on l'y avait amenée à grand frais de près d'une lieue. Les jardins, autrefois décorés de très belles statues de marbre, dont plusieurs antiques, en ont été dépouillés en grande partie par le temps et les suites de la révolution. Ce que les jardins offrent maintenant de plus remarquable est une grotte en forme d'amphithéâtre, où s'élève une grosse gerbe au milieu d'un bassin; on y monte par deux rampes ornées de balustrades et de quatre piédestaux supportant quatre lions.
Fouquet, possesseur d'un séjour si somptueux, y réunissait tout ce que la ville et la cour pouvaient offrir d'aimable et grand; fier de sa prospérité, il voulait que chacun y prit part; il eut en quelque sorte à sa solde les poëtes, les artistes et tous les hommes de mérite de son temps. Qui n'a lu les détails de cette fête célèbre que Fouquet donna au jeune Louis XIV, cette fête de Vaux dont tous les arts réunis firent les frais, et dont le seul nom est synonyme de magnificence? Le 17 août 1661, le château de Vaux fait place au palais d'Armide; les cascades et les jets d'eau jaillissent de toutes parts; des tables pompeusement servies descendent des plafonds au milieu du nuages transparents; Torelli et Lebrun ont réuni l'art du machiniste à celui du peintre, et Molière, le sublime Molière, a fait pour cette journée solennelle la comédie des Fâcheux; la gracieuse mademoiselle Béjart se métamorphose en nymphe pour en prononcer le prologue, composée par Pélisson; et les termes, les statues qui ornent le théâtre, s'animent pour organiser une entrée de ballet. Fouquet dépensa près de deux millions dans ces somptuosités; il désirait séduire le roi qui adorait tant les festins, se plaisait tant dans les féeries; il ne fit que décider sa chute immédiate. Louis XIV put juger par les magnificences royales du surintendant, quels projets ses immenses richesses pouvaient préparer; combien ne serait-il pas populaire de punir un tel faste? et en quittant les fêtes de Vaux, l'arrestation de Fouquet fut décidée. Conduit à Angers sous bonne garde, puis à Vincennes, et transféré de là à la Bastille, Fouquet fut condamné à une détention perpétuelle qu'il subit dans la forteresse de Pignerol. D'autres motifs furent donnés à ce coup de force monarchique; on prétendit que Fouquet avait élevé ses prétentions jusqu'à mademoiselle de la Vallière; il est d'habitude dans les cours frivoles d'indiquer de petites causes aux grandes disgrâces de la fortune; Fouquet subit la destinée de tout ministre qui cherche à se faire une grande position à côté de l'autorité royale jeune et forte; il eut l'orgueil de sa puissance, et fut brisé.
Ainsi l'homme qui se faisait des créatures au moyen de quatre millions distribués annuellement; l'opulent financier, le seigneur aimable qui pensionnait le mérite, qui choisissait l'éloquent Pélisson pour son commis et La Fontaine pour son poëte; celui qui faisait faire ses divertissements à Molière et à Lully, ses parcs à Le Nôtre, ses peintures à Lebrun, l'ami du plaisir, des beaux-arts et de madame de Sévigné qui le désigne dans ses lettres sous le nom de pauvre ami; celui à qui Boileau écrivait: Jamais surintendant ne trouva de cruelles, termina misérablement ses jours dans un cachot. Fouquet demeura captif dans la citadelle de Pignerol. On fit sur lui mille contes vulgaires; on voulut voir le Masque de fer, sorte de tradition qui s'est perpétuée d'âge en âge. Le Masque de fer fut peut-être une de ces créations fantastiques que le XVIIIe siècle jeta à la face de la royauté, alors qu'on voulut supposer que des peines horribles, des tourments indicibles étaient imposés aux captifs. Les détentions perpétuelles s'étaient alors substituées, pour les puissants et les hauts gentilshommes, à la peine de mort; quelquefois, pour dérober le visage du prisonnier, on lui imposait le port du masque de velours. Le masque était à la mode à la fin du règne de Louis XIII, il entrait dans le costume des hommes, des femmes surtout; on dansait, on se battait le visage couvert. Plus d'un prisonnier d'Etat porta le masque en velours dans les longues captivités de la Bastille, de Pignerol ou de l'île Saint-Marguerite. L'histoire se borne là quand elle ne veut pas entrer dans le domaine du roman philosophique.
Après la chute de Fouquet, Vaux-le-Vicomte passa à son fils qui le garda quelque temps; ce domaine, acquis par le maréchal de Villars, prit le nom de son nouveau propriétaire. Le duc de Villars, fils du précédent, abandonna l'entretien des eaux, et renversa les ouvrages de Le Notre. Le duc de Praslin, qui à cette époque était ministre de la marine et des affaires étrangères, l'acheta au duc de Villars, et cette terre, depuis érigée en duché-pairie, est restée dans sa famille. Vaux-le Vicomte, Vaux-le-Villars, s'appelle aujourd'hui Vaux-le-Praslin. Ce superbe séjour n'est plus ce qu'il était autrefois; plusieurs millions suffiraient à peine pour lui rendre son ancienne splendeur. Ces jardins, témoins de tant de fêtes, sont maintenant déserts et presque méconnaissables; le palais tombe en ruine; on n'y voit plus s'entasser cet essaim de courtisans qui venaient adorer la fortune de l'opulent financier. Mais le temps n'a pu ôter à ces murs la magie dont ils étaient revêtus: l'écureuil de Fouquet, la couleuvre de Colbert, les trois lézards de Louvois s'aperçoivent encore dans les frises. Le grand siècle est tout entier dans ce palais, jadis si splendide, aujourd'hui si délaissé. En visitant cet immense édifice, on croit entendre résonner encore la voix de Pélisson; en parcourant le parc, les jardins, on se représente La Fontaine, assis, la tête baissée, le regard triste, adressant aux belles nymphes de Vaux cette prière si pathétique dans laquelle il les supplie d'intercéder pour son bienfaiteur:
Du côté des jardins, la façade du château offre deux pavillons ornés de pilastres d'ordre ionique; deux petits avant-corps qui les accompagnent sont surmontés d'une balustrade régnant pareillement sur le dôme qui est terminé par une campanile. Le milieu de la façade est décoré de quatre colonnes; au-dessus sont autant de pilastres avec un fronton, et sur l'entablement s'élèvent quatre figures de pierre; des chiffres et des armes supportés par des lions et des génies tenant des couronnes, surmontent le bandeau des croisées du rez-de-chaussée; on aperçoit dans le fronton les armes des anciens maîtres du château. De magnifique bassins, une belle pièce d'eau d'un arpent carré, au centre de laquelle est une figure en marbre représentant Neptune sur une conque marine tirée par trois chevaux; une chute d'eau; un canal de 500 toises de longueur occupant toute la largeur d'un parc de 600 arpents; de nombreux piédestaux, jetant chacun de l'eau dans une coquille, tels sont les principaux ornements de cette immense propriété. C'est dans le parc que l'on vit pour la première fois l'eau s'élancer en jets et tomber en cascades; on l'y avait amenée à grand frais de près d'une lieue. Les jardins, autrefois décorés de très belles statues de marbre, dont plusieurs antiques, en ont été dépouillés en grande partie par le temps et les suites de la révolution. Ce que les jardins offrent maintenant de plus remarquable est une grotte en forme d'amphithéâtre, où s'élève une grosse gerbe au milieu d'un bassin; on y monte par deux rampes ornées de balustrades et de quatre piédestaux supportant quatre lions.
Fouquet, possesseur d'un séjour si somptueux, y réunissait tout ce que la ville et la cour pouvaient offrir d'aimable et grand; fier de sa prospérité, il voulait que chacun y prit part; il eut en quelque sorte à sa solde les poëtes, les artistes et tous les hommes de mérite de son temps. Qui n'a lu les détails de cette fête célèbre que Fouquet donna au jeune Louis XIV, cette fête de Vaux dont tous les arts réunis firent les frais, et dont le seul nom est synonyme de magnificence? Le 17 août 1661, le château de Vaux fait place au palais d'Armide; les cascades et les jets d'eau jaillissent de toutes parts; des tables pompeusement servies descendent des plafonds au milieu du nuages transparents; Torelli et Lebrun ont réuni l'art du machiniste à celui du peintre, et Molière, le sublime Molière, a fait pour cette journée solennelle la comédie des Fâcheux; la gracieuse mademoiselle Béjart se métamorphose en nymphe pour en prononcer le prologue, composée par Pélisson; et les termes, les statues qui ornent le théâtre, s'animent pour organiser une entrée de ballet. Fouquet dépensa près de deux millions dans ces somptuosités; il désirait séduire le roi qui adorait tant les festins, se plaisait tant dans les féeries; il ne fit que décider sa chute immédiate. Louis XIV put juger par les magnificences royales du surintendant, quels projets ses immenses richesses pouvaient préparer; combien ne serait-il pas populaire de punir un tel faste? et en quittant les fêtes de Vaux, l'arrestation de Fouquet fut décidée. Conduit à Angers sous bonne garde, puis à Vincennes, et transféré de là à la Bastille, Fouquet fut condamné à une détention perpétuelle qu'il subit dans la forteresse de Pignerol. D'autres motifs furent donnés à ce coup de force monarchique; on prétendit que Fouquet avait élevé ses prétentions jusqu'à mademoiselle de la Vallière; il est d'habitude dans les cours frivoles d'indiquer de petites causes aux grandes disgrâces de la fortune; Fouquet subit la destinée de tout ministre qui cherche à se faire une grande position à côté de l'autorité royale jeune et forte; il eut l'orgueil de sa puissance, et fut brisé.
Ainsi l'homme qui se faisait des créatures au moyen de quatre millions distribués annuellement; l'opulent financier, le seigneur aimable qui pensionnait le mérite, qui choisissait l'éloquent Pélisson pour son commis et La Fontaine pour son poëte; celui qui faisait faire ses divertissements à Molière et à Lully, ses parcs à Le Nôtre, ses peintures à Lebrun, l'ami du plaisir, des beaux-arts et de madame de Sévigné qui le désigne dans ses lettres sous le nom de pauvre ami; celui à qui Boileau écrivait: Jamais surintendant ne trouva de cruelles, termina misérablement ses jours dans un cachot. Fouquet demeura captif dans la citadelle de Pignerol. On fit sur lui mille contes vulgaires; on voulut voir le Masque de fer, sorte de tradition qui s'est perpétuée d'âge en âge. Le Masque de fer fut peut-être une de ces créations fantastiques que le XVIIIe siècle jeta à la face de la royauté, alors qu'on voulut supposer que des peines horribles, des tourments indicibles étaient imposés aux captifs. Les détentions perpétuelles s'étaient alors substituées, pour les puissants et les hauts gentilshommes, à la peine de mort; quelquefois, pour dérober le visage du prisonnier, on lui imposait le port du masque de velours. Le masque était à la mode à la fin du règne de Louis XIII, il entrait dans le costume des hommes, des femmes surtout; on dansait, on se battait le visage couvert. Plus d'un prisonnier d'Etat porta le masque en velours dans les longues captivités de la Bastille, de Pignerol ou de l'île Saint-Marguerite. L'histoire se borne là quand elle ne veut pas entrer dans le domaine du roman philosophique.
Après la chute de Fouquet, Vaux-le-Vicomte passa à son fils qui le garda quelque temps; ce domaine, acquis par le maréchal de Villars, prit le nom de son nouveau propriétaire. Le duc de Villars, fils du précédent, abandonna l'entretien des eaux, et renversa les ouvrages de Le Notre. Le duc de Praslin, qui à cette époque était ministre de la marine et des affaires étrangères, l'acheta au duc de Villars, et cette terre, depuis érigée en duché-pairie, est restée dans sa famille. Vaux-le Vicomte, Vaux-le-Villars, s'appelle aujourd'hui Vaux-le-Praslin. Ce superbe séjour n'est plus ce qu'il était autrefois; plusieurs millions suffiraient à peine pour lui rendre son ancienne splendeur. Ces jardins, témoins de tant de fêtes, sont maintenant déserts et presque méconnaissables; le palais tombe en ruine; on n'y voit plus s'entasser cet essaim de courtisans qui venaient adorer la fortune de l'opulent financier. Mais le temps n'a pu ôter à ces murs la magie dont ils étaient revêtus: l'écureuil de Fouquet, la couleuvre de Colbert, les trois lézards de Louvois s'aperçoivent encore dans les frises. Le grand siècle est tout entier dans ce palais, jadis si splendide, aujourd'hui si délaissé. En visitant cet immense édifice, on croit entendre résonner encore la voix de Pélisson; en parcourant le parc, les jardins, on se représente La Fontaine, assis, la tête baissée, le regard triste, adressant aux belles nymphes de Vaux cette prière si pathétique dans laquelle il les supplie d'intercéder pour son bienfaiteur:
Si le long de vos bords Louis porte ses pas,
Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage;
Il aime ses sujets, il est juste, il est sage,
Du titre de clément rendez-le ambitieux:
C'est par là que les rois sont semblables aux dieux.
Oronte (Fouquet) est à présent un objet de clémence;
S'il a cru les conseils d'une aveugle puissance,
Il est assez puni par son sort rigoureux,
Et c'est être innocent que d'être malheureux.
A. Mazuy.
Le Magasin universel, mars 1837.
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