Un attentat à la banque Rothschild.
Les antisémites les plus acharnés eux-mêmes ont flétri l'attentat aussi odieux que bête qui a failli coûter la vie à un employé innocent de la fortune de son chef, et contre lequel aucune aubaine n'était connue.
Sont-ce les anarchistes qu'il faut accuser de cette nouvelle monstruosité? Peut-être, ils en sont capables; mais jusqu'ici, rien ne prouve qu'ils en soient coupables.
Il y a de par le monde d'autres criminels qu'eux, les haineux par instinct, ceux qui croient que ce qui appartient aux autres leur a nécessairement été volé à eux-mêmes.
Il y a aussi ceux qui ne sauraient se reconnaître aucun tort et veulent titrer vengeance d'un patron qui s'est privé de leurs services résolument insuffisant.
A quelle catégorie appartient l'auteur de l'attentat? Je le répète, on ne le sais pas, on ne la saura peut-être jamais.
Mais il est certain qu'il a commis son odieuse action; la victime a été un homme qui gagnait sa vie par son travail.
On visait plus haut, je le sais; mais si l'on récapitulait, on verrait ceci; outre ceux que leurs propres engins ont tués, les victimes des tentatives de ce genre ont été surtout des malheureux contre lesquels on ne les dirigeait pas.
De même, de sérieuses et récentes études ont prouvé que la guillotine de 1793 avait tranché plus de têtes dans le peuple que dans l'aristocratie qu'elle aspirait à détruire.
Singulière justice que celle de ces prétendus justiciers!
On connait les faits:
Une lettre d'assez grande dimension est arrivée rue Laffitte au nom du baron Alfred de Rothschild; outre l'adresse, l'enveloppe portait ces deux mentions: personnelle et faire suivre.
Le baron étant absent, la lettre fut ouverte par son homme de confiance, M. Bernard Jodkowitz, chef des domaines. Aussitôt une violente explosion retentit et M. Jodkowitz fut très grièvement atteint aux mains et aux yeux.
Le lorgnon qu'il portait empêcha heureusement qu'il perdit la vue et il est en bonne voie de guérison.
Le chef du laboratoire municipal, M. Girard a démontré que la lettre était chargée de fulminate de mercure, substance très dangereuse pour celui qui la manie.
Cette déclaration d'un savant très autorisé était de nature à rassurer; on pouvait espérer que les malfaiteurs hésiteraient à se servir d'une arme pouvant aisément devenir mortelle; mais immédiatement, M. Alfred Naquet, le politicien que l'on sait, s'est souvenu qu'il était chimiste, et il a écrit aux journaux qu'il suffisait de savoir s'y prendre pour éviter tout inconvénient personnel en manipulant le fulminate de mercure.
Je laisse mes lecteurs juger de l'opportunité de cette déclaration; mais si imprudent que cela soit, je leur conseille de confier plutôt leurs destinées politiques à M. Alfred Naquet et de s'en rapporter, en matière d'explosifs, à M. Girard qui, lui, ne fait que de la chimie.
Le Petit journal, 8 septembre 1895.
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