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vendredi 13 janvier 2017

L'erreur judiciaire de Lesurques.

L'erreur judiciaire de Lesurques.


On a lu récemment dans les comptes rendus des tribunaux le récit d'un singulier procès. Un hasard seul a empêché une erreur judiciaire d'être commise par le tribunal. Un de nos confrères en profite pour raconter quelques erreurs judiciaires célèbres; celle de Lesurques, entre autres:
Lesurques était marié; sa situation était prospère; il avait donné sa démission de chef de bureau à l'Administration centrale du district de Douai pour aller se fixer à Paris et y faire élever ses enfants.
Il venait d'arriver dans cette ville et s'occupait de son installation, quand eut lieu, le 27 avril 1796, près de Lieusaint, l'arrestation de la malle de Lyon et l'assassinat du courrier.
On soupçonna tout d'abord un nommé Guénot, commissaire de roulage à Douai et ami de Lesurques, d'être un des coupables, mais le juge de paix de la section du Pont-Neuf, chargé d'instruire l'affaire, le reconnut innocent. Le hasard voulut que Lesurques eût accompagné son ami. Un grand nombre de témoins étaient dans la salle attenante au cabinet du juge. Or, parmi ces témoins, il se trouva deux femmes, servantes à Montgeron, près de Lieusaint, qui ne purent retenir un cri d'effroi en voyant entrer les deux amis. Introduites à leur tour dans le cabinet du juge de paix, elles lui dirent aussitôt qu'elles venaient de reconnaître l'un des individus que l'on supposait complice du crime.
Il se trouvait en effet, que le signalement d'un des auteurs présumés de l'assassinat du courrier de Lyon était pour ainsi dire, identique avec celui de Lesurques.
Ce dernier fut arrêté, ainsi que son ami Guénot.
Tous deux furent renvoyés devant le tribunal criminel de Melun. Ils étaient accusés d'avoir, le 27 avril 1796, vers huit heures du soir, arrêté le postillon de la malle poste de Lyon, qui venait de quitter Lieusaint, et de l'avoir massacré, tandis qu'un voyageur qui se trouvait dans la voiture et qui était leur complice, le nommé Laborde, assassinait le courrier. Le montant du vol s'élevait à 16.000 fr. en numéraire et 7.792.000 fr. en assignats, valeurs dépréciées représentant environ 6.000 fr. d'argent.
A côté de Lesurques et de Guénot, sur le banc des accusés, se trouvait d'abord Laborde, puis un certain Courriol, qu'on avait vu épiant l'arrivée du courrier de Lyon, et enfin d'autres complices, les nommés Bernard, Bruer et Richard.
Six témoins déposèrent contre Lesurques de la manière la plus énergique. Tous dirent:" Nous l'avons vu, bien vu!" Et c'est en vain que Lesurques fit appeler des témoins à décharge, déclarant qu'il n'avait pas quitté Paris: on le croyait coupable.
Pendant que le jury délibérait, la fille  Bréban, maîtresse de Courriol, vint déclarer au président que deux innocents, Lesurques et Guénot, allaient périr, tandis que les vrais coupables se nommaient Dubosc et Vidal: le président répondit qu'il "était trop tard" et que cette déclaration aurait dû être faite avant la clôture des débats.
Guénot, Bruet et Bernard furent acquittés. Lesurques et Courriol furent condamnés à la peine de mort; Richard fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Au moment de monter à l'échafaud, Courriol s'écria: "Je suis coupable, mais Lesurques est innocent"
Lesurques fut exécuté à son tour.
Quelques mois après, on arrêtait Dubosc. Alors éclata la vérité: on reconnut qu'on avait fait une épouvantable méprise, que Lesurques avait été victime de sa ressemblance réellement extraordinaire avec le vrai coupable. Dubosc avait été arrêté en 1798: il parvint à s'évader, mais repris en 1801, il fut jugé à son tour.
Ce nouveau procès ne fut guère que la répétition du premier: les mêmes témoins, furent entendus et plusieurs reconnurent leur erreur, entre autres la femme Alfroy, qui devint folle du chagrin que lui avait causé sa méprise.
Dubosc fut condamné et exécuté, et Lesurques justifié dans l'opinion publique.
Malheureusement, il était trop tard, l'infortuné avait payé de sa vie une erreur judiciaire: sa femme était morte de désespoir; de ses deux filles, l'une avait été frappée de démence et l'autre était allé se jeter dans la Seine; enfin son fils, qui avait quitté la France et avait pris du service en Russie s'était fait tuer dans un combat.
Il n'y a pas longtemps encore, deux hommes faillirent être victimes d'une erreur judiciaire basée sur une ressemblance.
Un passant avait été attaqué le soir par des malfaiteurs. Il crut reconnaître dans un honnête ouvrier, nommé Brisset, l'un de ses agresseurs. Brisset fut arrêté, et, comme le soir de l'agression, il se trouvait avec son frère, celui-ci fut également poursuivi. Tous deux comparurent devant la Cour d'assise de la Seine, qui les condamne, malgré tout ce qu'ils ont pu dire, aux travaux forcés. Peu de temps après, un individu détenu à la prison de Mazas pour divers méfaits s'accusa du crime pour lequel les frères Brisset avaient été condamnés. Il comparut à son tour devant les juges. C'était bien, en effet, le vrai coupable.
Naturellement, les frères Brisset furent remis en liberté.
Mais, s'il arrive qu'un individu veut bénéficier de sa ressemblance avec un autre homme et qu'à la fin il soit victime de sa supercherie, c'est tant pis pour lui!
On a souvent raconté le cas du nommé Arnaud du Thil.
Il est curieux à rappeler:
Un gentilhomme du nom de Martin Guerre avait épousé à Astigat, en Gascogne, une jeune fille nommée Bertrande des Rois. Environ dix ans après, il disparu du pays. on commençait à l'oublier, quand un homme nommé Arnaud du Thil, qui lui ressemblait trait pour trait, se présenta à sa femme et fut accueilli par elle comme s'il eût été Martin Guerre lui-même. Il avait d'ailleurs, parfaitement étudié son rôle et était instruit de mille circonstances particulières de la vie de Martin Guerre. Bertrande de Rois ne soupçonna pas l'erreur dont elle était victime et eut de l'imposteur deux enfants.
Mais on apprit un jour, que Martin guerre était vivant, qu'il était en Flandre.
Arnaud de Thil fut livré à la justice. Il affirma qu'on se trompait, que Martin Guerre, c'était lui. Et beaucoup de gens soutenaient qu'il disait vrai.
Mais voici que soudain, arrive le vrai Martin Guerre: du coup, l'affaire était éclaircie.
Du Thil fut condamné à être pendu et brûlé. Et on exécuta la sentence. Il payait cher sa supercherie.

Le petit Moniteur illustré, 21 octobre 1888.

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