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lundi 16 janvier 2017

Les crimes de Londres.

Les crimes de Londres.

Les crimes multiples qui viennent de se commettre à Londres, dans le quartier de White-Chapel, rappellent à un de nos confrères une visite faite il y a une dizaine d'années:
Muni d'une autorisation spéciale du chef de la police, nous avons parcouru, accompagné d'un inspecteur et d'un policeman, les bouges les plus infects de White-Chapel, les rues les plus mal famées de Lambeth, où se réunissaient les voleurs et les assassins.
Notre première visite fut pour un "public-house" situé dans Flover and Dean street.
Dans une pièce basse, enfumée, remplie d'une atmosphère nauséabonde, étaient réunis une vingtaine d'individus; les uns accroupis autour d'une cheminée crasseuse, les autres accoudés sur des tables gluantes, buvaient et jouaient. Le balai n'était jamais passé sur le sol, recouvert d'une épaisse couche de boue glaiseuse; à chaque pas, il fallait faire un effort pour s'en détacher.
Il est difficile de s'imaginer les physionomies sauvages, bestiales et hideuses que l'on rencontre dans ces bouges. Le vice, joint à une malpropreté repoussante, donne à ces créatures un aspect étrange. Nous nous rappelons un colosse mulâtre dont le regard fauve scintillait sur sa peau noire et ridée. Un autre, un cul-de-jatte plein de gin, se vautrait dans un coin. Près de lui était assis un vieillard dont la longue barbe se trouvait comme solidifiée par un amas de graisse et de saletés de toute sorte. Ce vieillard n'avait pour tout vêtement qu'une flanelle effiloquée  et remplie de vermine. Rien de plus écœurant que la vue de ce vieil homme, hideux, aux membres amaigris, presque idiot, fumant devant un grand gobelet plein de whisky.
Le spectacle qui nous fit le plus d'impression, ce fut de voir des femmes débraillées, à moitié ivres, à peine couvertes d'une jupe trouée, étendues à terre dans des poses hors de nature et fumant la pipe. Elles nous regardaient d'un air hébété.
Dans une autre traverse du Thrawl Street, des jeunes filles de dix-huit ans à peine, complètement ivres, nous demandent à boire et voulaient se jeter à notre cou; le policeman les repoussa violemment, comme on repousse des animaux dangereux.
Dans la journée, toutes ces créatures, hommes et femmes, mendient ou volent, et le soir, ils se réunissent dans ces tavernes où personne n'ose s'aventurer.
L'inspecteur de police nous apprit que, chaque soir, lui ou un de ses hommes visitait à tour de rôle ces établissements, afin d'être au courant des faits et gestes de cette population interlope. Depuis vingt ans qu'il exerçait, jamais, nous dit-il, il n'avait été en butte à la moindre insulte. Ces gens là n'ont le respect de la police que dans l'intérêt de leur propre sécurité. Ils savent que si l'un d'eux faisait le moindre mal à un agent, ils seraient immédiatement tous arrêtés.
Il y a à Londres une moyenne de trente mille voleurs ou individus suspects.
Il est établi qu'en Angleterre le nombre des crimes augmente en raison directe de la multiplication des ivrognes des deux sexes.
Les sociétés de tempérance ne peuvent rien contre les débitants d'alcool. Ainsi le révérend W. Motham, membre d'une de ces sociétés, connue à Londres sous la bizarre dénomination de: Association des Enfants du Phénix, propose-t-il d'infliger aux tavernes, d'où selon lui sortent les assassins, cet avis au public en guise d'enseigne:
"Maisons patentés pour le repassage des couteaux des meurtriers."
Elle est d'une rédaction assez moderne, cette rédaction du vénérable Motham.
Une correspondance qui mentionne ces effrayants progrès de l'ivrognerie, se termine ainsi:
"Un autre révérend, M. Dawson Burns, affirme que l'alcool n'est pas plus nécessaire aux malades qu'aux gens en bonne santé, et ils le prouve en chiffres. A l'hôpital de Tempérance, où 5.000 malades ont été admis dans l'espace de quinze années, la moyenne de la mortalité a été au-dessus des autres hôpitaux de Londres. Je ne discuterai pas l'utilité de ces institutions, mais elles réaliseraient peut-être un progrès plus sérieux dans la moralité publique si elles n'exagéraient pas la sévérité de leurs règlements. Dans tous les cas, il est incontestable que d'années en années les ivrognes sont plus nombreux, ce qui me fait singulièrement douter de l'efficacité des sociétés de tempérance et de leur pouvoir sur les masses.

Le petit Moniteur illustré, 14 octobre 1888.

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