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samedi 28 janvier 2017

Aimez-vous les grosses farces?

Aimez-vous les grosses farces?


I

J'ai beaucoup connu Vivier, le roi des farceurs. J'avoue que je causais sans déplaisir avec lui, car il était un homme d'esprit. Mais qu'a-t-il fait toute sa vie, sinon ressasser de vieilles plaisanteries?
A-t-il eu seulement une idée comparable à celle du médecin anglais Hill, qui, pour se venger de la Société royale de Londres, annonça à grand fracas, le 31 mars, qu'il avait pu, avec du goudron et une forte ligature, réduire une fracture à la jambe d'un matelot, son client?
La noble compagnie pressa Hill de lui adresser un rapport sur cette cure merveilleuse, et qui survenait juste au moment où venait de paraître un livre vantant les propriétés thérapeutiques du goudron.
Hill prépara une note scientifique fort documentée, et conclut en ces termes:
"... J'ai revu mon malade hier, et me suis aperçu que la jambe guérie se comporte à merveille, il est vrai de dire qu'elle est en bois!"
Et ce journal anglais, l'Evening Star, qui le 31 mars 1846 annonçait pour le lendemain une grande exposition d'ânes au Jardin d'agriculture d'Islington? Les abonnés s'y portèrent en masse, et en fait d'ânes... il n'y avait qu'eux!...
Vous l'avez dit. Voulez-vous un poisson d'avril français, maintenant?
"Au XVIIIe siècle vivait un érudit, nommé Poinsinet, qui était singulièrement crédule. On le persuade, le premier avril, qu'il était nommé précepteur des fils du tzar!
"- Diable! dit Poinsinet, je n'entends pas le russe.
"- Qu'importe! Vous allez l'apprendre.
"- Sans doute, mais encore faut-il un bon professeur.
"- Soyez sans crainte. J'ai votre affaire."
Poinsinet se mit à l'étude avec le linguiste qu'on lui avait présenté. Au bout de six mois d'efforts continus, il parlait couramment... le bas-breton.
- On n'est pas naïf à ce point-là!
- Que si. Et que diriez-vous de ce savant, l'honneur de l'archéologie, à qui un étudiant envoya une inscription trouvée sur la margelle d'un puits quelque part en Champagne?
"L'inscription contenait neuf lettres, répartie sur quatre lignes, et écrites en majuscules:

RES
ER
VO
IR

"Le savant se creusa la tête, et crut avoir trouvé la solution.
"- Votre trouvaille remonte aux Romains, répondit-il. Il est clair que ces caractères ne sont que des abréviations de la phrase latine: RESpublica, ERigere, VOluit ad, IR rigandum, c'est à dire en français: la République a voulu construire ceci en vue de l'arrosage."
Courrier par courrier, l'étudiant répondit au savant ahuri:
"J'ai montré votre explication au garde-champêtre, ce dernier m'a dit que vous faisiez erreur. L'inscription a été gravée par son père, qui était tailleur de pierres, et signifie simplement: Réservoir!"

II

C'est surtout avant la Révolution que le poisson d'avril fut en honneur. Il s'était fondé, au Palais-Royal, un club spécial, le Club des Mystificateurs, dont faisait partie, entre autres, le marquis de Sade et Grimod de Regnière, un goinfre célèbre. Le 1er avril, ce club ne manquait jamais d'organiser un dîner extraordinaire auquel était convié quelque naïf. Au dessert, les mystificateurs lui avouaient, par exemple,  qu'il venait de manger de la chair humaine et lui demandaient sérieusement son opinion au point de vue gastronomique sur le mets servi. L'impression de terreur et de dégoût qui se peignait aussitôt sur les traits du bonhomme les amusait beaucoup.
Parmi les farces les plus célèbres du premier avril, on cite celle que fit Henri Monnier à son notaire, qui était bossu et dont il prétendait avoir à se plaindre. Il convoqua pour ce jour-là, chez ledit tabellion, sous le prétexte d'une succession à recueillir, trente-deux bossus dont il avait pu se procurer les adresses. Ils furent tous exacts au rendez-vous. Le notaire, ahuri, faillit en faire une maladie.
Toutes les mystifications qui se perpètrent le 1er avril ne sont pas aussi inoffensives. Ainsi, il nous souvient qu'il y a quelques années une jeune fille reçut le matin une bourriche par courrier postal. Fort intriguée, elle l'ouvrit, poussa un cri d'horreur et tomba à la renverse. Dans la bourriche, elle venait d'apercevoir une main et un cœur humains. Au viscère sanglant était épinglé un petit papier sur lequel on lisait ces mots:

                  Mademoiselle,

Permettez-moi de vous offrir mon cœur et ma main.

Cette sinistre plaisanterie de quelque carabin de voisinage eut presque des conséquences tragiques: la malheureuse enfant s'alita et, longtemps, on craignit pour sa vie.
On connaît les différentes facéties mises en circulation chaque année à l'occasion du 1er avril. Le magasin, le bureau, l'atelier, ont leurs mystificateur, plus ou moins spirituels.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 31 mai 1908.


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