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jeudi 19 janvier 2017

La civilité puérile et honnête.

La civilité puérile et honnête.

C'est au quinzième siècle que l'on a écrit sous ce titre: la "Contenance de la table", le premier de ces manuels de civilité qui sont plus tard devenus si nombreux.
On ignore qui en fut l'auteur. Chaque règle de ce mode formait un quatrain, que les enfants étaient tenus de savoir par cœur et de réciter, comme les quatrains de Pibrac, que l'on apprenait encore du temps de mon enfance, en province. Ce traité ne s'adresse qu'aux enfants et ne nous apprend rien de très particulier sur la table de nos pères. Car les recommandations que fait l'anonyme aux enfants de ce temps-là sont précisément celles que nous leur adressons encore, en nous servant de termes moins grossiers.
La "Civilité" de Jean Sulpice, qui date de 1483 et qui a été récrite en français en 1545, c'est à dire vers le milieu du seizième siècle, nous confirme ce que nous savions déjà par le dictionnaire d'Henry Havard (au mot "fourchette"), c'est que nos aïeux ont, jusqu'au dix-septième siècle, mangé avec les doigts. La fourchette, qui nous paraît un instrument indispensable, est d'invention assez récente, et l'usage a eu beaucoup de peine à s'en répandre.
"Prends la viande avec trois doigts, dit le traducteur de 1545, et ne remplis pas ta bouche de trop gros morceaux. Ne répute pareillement honnête mettre de la viande en ta bouche de chaque main et manger des deux côtés.
"Tu ne dois point tenir longtemps les mains sur le tranchoir ou dans le plat.
"Il est peu honnête de lécher les doigts."
M. Francisque Sarcey a eu le plaisir de retrouver dans cette Civilité une phrase que Molière a immortalisé. On se rappelle le mot que l'avare voulait faire écrire en lettres d'or sur le mur de sa salle à manger:
"Il faut manger pour vivre et non vibre pour manger."
- Quel est le grand homme qui a dit cela? demande Harpagon à Cléante.
- Je ne sais pas où je l'ai lu, répond Cléante.
Eh bien la boutade n'est pas de Molière lui-même, mais de Jean Sulpice qui dans sa Civilité, écrit:
"Il ne faut pas vivre pour manger, mais manger pour sustenter la vie."
Grâce à cette trouvaille, M. Francisque Sarcey peut se dire qu'il n'a pas complètement perdu sa journée.

Le petit Moniteur illustré, 16 juin 1889.

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