Cérémonies religieuses des musulmans.
Le troisième quartier de l'ancienne Constantinople s'étendait du sommet de la deuxième colline jusqu'à la Propontide. Sur une surface plane, qui interrompait l'inclinaison de ce quartier, on avait construit le fameux cirque appelé Hippodrome. Le sultan Achmet 1er voulut, dit-on, élever en cet endroit une mosquée qui effaçât la magnificence de Sainte-Sophie, pour prouver que l'islamisme pouvait, aussi bien que la foi de Jésus, inspirer les artistes. Rien n'y fut négligé, et même on éleva six minarets, quoique l'usage défendit d'en mettre plus de quatre aux grandes mosquées, parce que celle de la Mecque, dans l'intérieur de laquelle est construite la caaba, n'en n'a pas davantage. C'est réellement un des édifices les plus originaux de Stamboul et l'art turc s'y reconnaît parfaitement. Là, les minarets sont des tours droites et unies, coiffés d'un cône pointu comme le bonnet des derviches, tandis que les minarets du Kaire se terminent par des courbes où l'on remarque la richesse et la variété des dessins arabes. Les mosquées arabes n'ont pas non plus ce nombre prodigieux de coupoles que les Turcs aiment à accumuler dans leurs édifices; on compte quatre-vingt-cinq dômes de toutes dimensions dans la mosquée d'Achmet; et des cyprès et des platanes plantés irrégulièrement achèvent de montrer qu'elle est l'oeuvre des disciples d'Omar: les fatmites, les sectateurs d'Ali, sont plus gracieux et moins sévères.
Dans les temps modernes, cette mosquée a acquis une célébrité historique en devenant le centre des opérations de Mahmoud contre les janissaires qu'il est enfin parvenu à détruire; mais chaque année, pour les musulmans, elle est un rendez-vous religieux, car c'est à cette mosquée que, le jour du courban-bairam (grand bairam), le sultan va faire sa prière de midi, au moment où les pèlerins de la Mecque se dirigent vers le mont Araphat, but de leur pieux voyage. Dès que les muezzins ont fait entendre la prière de l'ézan, le Grand-Seigneur entre à la mosquée et la prière commence. Tous les musulmans ont eu soin de faire leurs ablutions; il est expressément défendu de se prosterner sans avoir accompli cette cérémonie préparatoire. Dans le désert, où l'eau est plus précieuse que le pain, ils se servent de sable pour se frotter les pieds et les jambes, les mains et les avant-bras. Cependant ceux qui ont fait avant la prière une grande toilette peuvent s'en dispenser; aussi l'empereur prie sans s'arrêter devant le réservoir de la mosquée. On se tourne du côté de la Mecque, et à la Mecque, on se tourne vers les quatre points cardinaux; car, dans leur ignorance astronomique, les Arabes pensent que la caaba occupe le seul point central du monde. L'iman commence à réciter la prière, composée de versets du Coran que l'on nomme Ricat. Tous doivent marmotter: une prière mentale est de nulle valeur. La première partie de l'oraison se dit debout, c'est la formule qui précède tous les chapitres du Coran: Au nom de Dieu clément et miséricordieux. Toutes les fois que les fidèles prononcent: Allah acbar (Dieu est le plus grand), ils se prosternent, ayant soin d'appuyer le front contre terre, et cette phrase revient plusieurs fois durant la prière. Mais la cérémonie n'est pas tellement régulière qu'on soit obligé de commencer et de finir avec l'iman. Les pratiques de dévotion sont au même degré méritoires, qu'elles soient individuelles ou générales; il suffit de prier dans l'intervalle qui sépare les heures où les muezzins appellent à la mosquée; et même faite chez soi, au désert ou dans la rue, la prière est également agréable à Dieu. Ce dogme marque bien la différence du christianisme qui tend à associer les fidèles en prescrivant les prières générales, et de l'islamisme qui ne tient presque aucun compte des masses, et ne s'occupe que des individus.
Quand la prière est finie, les plus fervents se rassemblent pour exécuter, après s'être rangés en cercle, la danse des derviches. Cette danse consiste à se balancer tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre, en faisant suivre se mouvement à la tête et à tout le corps. D'abord ils se meuvent lentement, et peu à peu, ils précipitent ce balancement jusqu'à ce qu'il devienne si rapide, que plusieurs tombent étourdis par le sang qui s'est porté au cerveau. Ils répètent pendant ce violent exercice: La Allah illa Allah! Mohammed rasoul Allah! Ceux qui tombent évanouis sont, assurent-ils, des saints en rapport immédiat avec la divinité; on les entoure avec respect, on leur baise les pieds et les mains.
D'autres se rapprochent de l'iman pour écouter la lecture du Coran et de ses commentaires, ou bien accroupis dans un coin, ils disent leur chapelet en prononçant à chaque grain un des quatre-vingt-dix-neufs attributs de Dieu; mais les jours qui ne sont pas marqués par le souvenir d'une grande commémoration, tous se bornent ordinairement à la prière. On voit que rien n'est plus simple que la liturgie musulmane; c'est que le Prophète, qui avait brisé les fétiches qui encombraient la caaba, a proscrit tout culte extérieur dans la crainte que les Arabes ne retournassent trop facilement à leur première idolâtrie. Et, malgré cette précaution, les wahabis, protestants de l'islamisme, ont prétendus que les musulmans n'avaient pas suivis les volontés du Prophète et qu'ils étaient retombés dans le culte grossier des idoles.
Après ce que nous venons de dire, il ne sera sans doute pas sans intérêt de faire connaître les principaux dogmes musulmans.
Dogmes principaux de la religion musulmane
Le Coran.- Un ange apporta à Mohammed le Coran écrit par Dieu, afin qu'il l'enseignât et le fit pratiquer par les hommes.
De Mohammed et des vrais croyants.- Dieu fut toujours avec Mohammed; il a combattu pour lui en toutes circonstances. Il prête de même son appui à ceux qui suivent la loi de son dernier Prophète. Les musulmans sont les premiers de la terre: eux seuls auront part aux délices du paradis; et les autres peuples sont au-dessous d'eux, comme les chiens sont au-dessous des hommes.
Voyage du Prophète au septième ciel.- Mohammed reçut de Dieu un bourag. Le bourag est une monture céleste qui tient le milieu entre l'âne et le mulet. D'un seul pas il franchit l'intervalle à parcourir et n'est jamais arrêté par les montagnes; ses jambes de derrière s'allongent pour les gravir, et ses jambes de devant s'allongent à leur tour pour les descendre. Le prophète monta donc un bourag pour aller de la Mecque à Jérusalem. Dieu avait ordonné à un ange d'y attendre Mohammed et de lui présenter un méarag (cheval céleste), avec lequel il escalada le premier ciel. Au premier ciel l'attendait un autre ange et un autre méarag, et il monta ainsi au second ciel. Toujours un ange et un méarag l'attendaient pour le transporter au ciel supérieur. Cependant tout le trajet de la Mecque au septième ciel se fit plus rapidement qu'un homme change de pensée.
Des anges.- Un musulman porte un ange invisible sur chacune de ses épaules. Celui de la droite écrit les bonnes actions en les décuplant; celui de gauche écrit les mauvaises, en attendant toutefois l'ordre du premier qui est son supérieur et qui fait attention si le musulman s'est repenti, car quelque temps est accordé pour effacer les fautes par le repentir. En commençant sa prière, un vrai croyant doit incliner la tête à droite et à gauche pour saluer ses deux anges.
Du destin.- La destinée des hommes est écrite de toute éternité; mais, à force de prière, on peut obtenir grâce et faire changer ce qui est écrit. C'est la nuit du 15 du mois de chaban que la destinée de chaque individu est écrite par un ange; si l'on passe cette nuit en priant, l'ange n'écrit que les événements heureux. Dieu permet quelquefois aux bons musulmans de lire dans le livre des destins.
La tache du cœur.- Tous les hommes ont en naissant une petite tache noire sur le cœur; cette tache grandit ou diminue à mesure que l'on devient mauvais ou bon musulman. Les méchants finissent par avoir un cœur noir et dur comme de la pierre; les bons ont le cœur blanc et sans tache. Lorsque le Prophète fut élu, Dieu lui fit ouvrir la poitrine et enlever la tache dont son cœur était souillé, comme celui des autres hommes.
Devoir des bons musulmans.- Un musulman a cinq devoirs à accomplir, après quoi il n'est plus nécessaire qui'il s'inquiète des actions de sa vie: tout ce qu'il fait est racheté par la prière.
1° Il ne faut reconnaître qu'un seul Dieu.
2° Il faut faire la prière cinq fois par jour. Au fégre, le matin, descend un ange qui reste jusqu'au dour, à midi. Il inscrit les noms de ceux qui ont prié; à midi sa liste est close; malheur à ceux qui n'ont pas fait la prière. Cependant, ils peuvent, en priant et jeûnant plus qu'il ne l'est ordonné, effacer cette faute. Un autre ange demeure de midi à l'asr (trois heures et demie), un autre de l'asr au magreb (coucher du soleil), et enfin le dernier du magreb à l'éche (deux heures après le coucher du soleil).
3° Un musulman doit, chaque année, donner la dixième partie de ses biens aux pauvres, qui, comme lui appartiennent à Dieu.
4° Au mois de ramadan, il faut jeûner tous les jours. Il n'est pas permis même de boire ou de fumer tant que le soleil est sur l'horizon. Ceux qui jeûneront pendant d'autres mois en seront récompensés
5° Il faut aller en pèlerinage à la Mecque au moins une fois durant sa vie.
Paradis.- Celui qui fait toutes les choses prescrites est placé, au jour du jugement, dans des palais tapissés d'or, d'argent et de pierres précieuses, meublés avec des divans de soie couverts de perles et de franges d'argent. Des femmes, plus blanches que le lait, le bercent sur des lits de satin, parfumés d'ambre gris, et lui procurent un sommeil plus suave que le miel et l'eau de rose. Les mets dont il se rassasie tous les jours sont plus succulents que tout ce que l'on peut imaginer sur la terre. Les élus ne vieillissent jamais; en un mot, l'on peut désirer sans rien craindre, les moindres souhaits sont accomplis.
Enfer.- Les méchants, qui ne rachètent pas leurs méfaits par l'aumône et la prière, souffrent dix fois ce qu'ils ont fait souffrir aux autres. Par exemple, quand un homme tue son semblable, il fait souffrir et pleurer le père, la mère, les sœurs, les frères, tous les parents et tous les amis de celui qu'il a tué: or, dans l'autre vie, il éprouvera lui seul les peines qu'il a faites à tant de monde, et chacune de ces peines sera décuplée avant qu'il ait expié son crime.
Dieu est clément et miséricordieux.- Mais Dieu est clément et miséricordieux. S'il punit le mal, il récompense le bien avec usure: il est dans le ciel un ruisseau, qui s'appelle Régueb, d'où s'élèvent, "semblables à de majestueuses montagnes, des flammes douces comme le sucre le plus beau et blanches comme le lait des chamelles"; si un vrai croyant jeûne quelquefois durant le mois de régueb, il aura le bonheur de se purifier et de boire à cette source.
Le Magasin pittoresque, mars 1838.
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