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dimanche 20 décembre 2015

Ceux dont on parle.

M. Méline
père de l'agriculture.



M. Méline est un de nos plus vieux parlementaires: il aura bientôt soixante-dix ans. Né à Remiremont en 1838, il étudia le droit à Paris et collabora sous l'Empire aux journaux de l'opposition. Il avait trente-deux ans quand éclata la guerre de 1870. Pendant le siège de Paris, il fut adjoint du 1er arrondissement. Il faillit être communard, mais refusa les suffrages qu'on avait rassemblé en sa faveur.
Envoyé en 1872 à l'Assemblée Nationale par le département des Vosges contre un candidat monarchiste, il n'a pas cessé depuis lors de représenter cette région au Parlement, d'abord comme député, et depuis 1902, comme sénateur. Son attitude a toujours été celle d'un républicain prudent.
Il soutint la politique de Thiers, combattit le gouvernement de l'Ordre moral et blâma le coup d'Etat du 16 mai 1877.
Ses débuts au ministère eurent lieu en 1879. M. de Marcère avait été appelé par le président Grévy à faire partie, comme Ministre de l'Intérieur du premier cabinet formé par lui: il désigna M. Méline pour être sous-secrétaire d'Etat à l'Intérieur. Ce ministère dura un mois.



En 1883, M. Méline fut Ministre de l'Agriculture dans le cabinet Jules Ferry. On a coutume de dire que son administration fut un bienfait pour nos agriculteurs. En réalité, ce qui la signala surtout, ce fut la création d'une nouvelle décoration: l'ordre du Mérite agricole. Je ne sais pas si l'invention du poireau, comme on dit vulgairement a fait faire beaucoup de progrès à l'agriculture, mais elle dénotait en M. Méline un homme d'Etat très avisé.
On ne saurait créer trop de décorations. Grâce aux rubans, un Ministre ménager des intérêts de son pays peut récompenser la plupart des services qu'on lui rend, il peut s'attirer à lui mille sympathies sans qu'il en coûte un sou au budget. Les palmes académiques distribuées dans cette intention allaient parfois à de parfaits illettrés et les railleries pleuvaient sur le Gouvernement. Le Mérite agricole vint à point. De même que les palmes et la rosette violette constituent des décorations préparatoires à la croix de la Légion d'honneur, le ruban vert devient tout de suite en quelque sorte la sous-palme. Ceux qu'on ne peut nommer officiers d'Académie sans scandale, on les décore du Mérite agricole, fussent-ils incapables de distinguer un chou d'un navet ailleurs que dans leur assiette.
Je voudrais que l'exemple de M. Méline fut suivi et qu'on créât des ordres du Mérite industriel, commercial, sportif, apache, que sais-je, afin d'occuper les solliciteurs et de pouvoir réserver ne serait-ce qu'une fois sur dix, un emploi officiel à celui qui le mérite.
En 1888, la Chambre nomma, pour remplacer Floquet, deux présidents ex æquo: M. Méline et... notre président du conseil actuel M. Clémenceau: le premier opportuniste, le second radical. M. Méline eut la sonnette au bénéfice de l'âge. Il dut s'en servir contre les boulangistes; elle traversa cette pauvre sonnette, une période bien mouvementée.
Sous la présidence de Félix Faure, M. Méline reprit le portefeuille de l'Agriculture avec la présidence du Conseil (1896). Son ministère dura deux ans: ce fut l'un des plus longs de la République.
M. Méline fut un adversaire décidé de l'impôt sur le revenu. Il prit une part active à la transformation de nos tarifs douaniers. On sait quelle est la pensée dominante de celui qu'on a surnommé Méline pain-cher: favoriser l'agriculture, le commerce, l'industrie nationales par le moyen le plus simple de tous: en frappant de droits élevés les produits des autres nations. Ce système qui resserre étroitement la concurrence, est sans doute excellent pour le producteur, mais il grève la bourse du consommateur, et, comme tous les producteurs sont aussi des consommateurs, le système de protection défendu par M. Méline ne sert qu'à fausser l'équilibre des transactions au profit de quelques privilégiés: il sert aussi à nourrir deux armées ennemies constamment sur le pied de guerre: celle des douaniers et celle des contrebandiers.

                                                                                                                 Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 26 janvier 1908.


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