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mardi 22 décembre 2015

Le carnet de Mme Elise.

Une délicieuse épreuve.

Est-il vraiment si pénible d'être malade?
Sans doutes les souffrances sont dures.
Mais n'y a-t-il pour le malade aucune compensation à ces épreuves?
Consultons à ce sujet Madame de Deffaut: ce n'était point une femme optimiste; après avoir charmé Paris sous la Régence par sa beauté et son esprit plein d'originalité et de finesse, elle fut frappée de cécité; elle avait tant besoin de mouvement, de gaieté, de distraction que septuagénaire et aveugle elle recevait, rendait des visites, dînait en ville, allait au théâtre et ne se couchait jamais avant 2 heures du matin.
Dans une semblable existence, une maladie devait être une cruelle épreuve: voyons comment l'infirme en parlait à une de ses amies intimes:
"Je vois que vous m'avez cru beaucoup plus malade que je ne l'ai été. Mais sachez, ce qui est bien plus extraordinaire, que je ne pourrais pas payer de toute ma fortune le bonheur que m'a procuré cette petite maladie. J'ai éprouvé de mes amis les soins les plus tendres, les plus sensibles, les plus aimables: je ne voudrais pas, pour rien au monde, n'avoir pas fait cette délicieuse épreuve."
Eh bien, pour être heureux dans votre infortune, vous tous qui êtes malades, vous devez vous placer dans le même point de vue.
Oubliez vos affaires puisque la préoccupation qu'elles vous causent ne saurait être d'aucune utilité pour leur règlement et risquer de retarder votre guérison. Abandonnez-vous, sans arrière pensée à l'atmosphère tendre de la famille qui vous soigne, des amis qui vous gâtent et laissez vous choyer.
Au lieu de vous hérisser contre les tisanes édulcorées et les mots câlins, acceptez tout en bloc, comme un repos favorable à votre travail ultérieur.
Je sais bien que cette halte est toujours inopportune, qu'elle nous saisit au moment où nous avions besoin d'être libre et de donner un plus vigoureux élan à notre activité... Mais quel bénéfice retirerons-nous de notre révolte? Fatigue, mauvaise humeur, aggravation de la maladie, prolongation du repos... et c'est tout.
Tandis qu'en nous abandonnant sans résistance à cet état, nous la réduirons à son minimum.
N'est-ce pas d'ailleurs très légitime?
Nous donnons trop de temps aux affaires extérieures, nous sacrifions trop à la parade, aux satisfactions de l'ambition, à l'amour du lucre; la partie sentimentale et affective de notre vie est souvent reléguée à l'arrière plan.
Quand la maladie nous rend dolents et affaiblit nos ressorts, nous apprécions mieux la solitude enveloppante, les paroles douces et les menus soins; et finalement, nous trouvons dans cette épreuve un réconfort moral tout à fait inattendu.
Et à notre tour quand nous sommes bien portants, sachons prodiguer aux malades toutes les attentions auxquelles leur dépression même les rend plus sensibles: visites, cadeaux, bouquets, lettres, toutes les inventions de l'amitié. Penchons-nous sur celui qui souffre, car il est en dehors du courant qui nous absorbe et par suite il comprend moins que nous en soyons si absorbés. Le commerce de l'amitié réclame autant de soins que les autres et donne plus souvent d'heureux résultats.

                                                                                                                    Mme Elise.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 2 février 1908.

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