Le château de Sainte-Suzanne.
(Mayenne)
(Mayenne)
Sur le parcours du chemin de fer de Paris à Rennes, à la demi-distance entre le Mans et Laval, si le voyageur, ayant quitté le train à la station d'Evron, s'achemine dans la direction du sud-est, il voit, après une heure de marche, se dresser devant lui un mamelon isolé, entourés de vallées profondes. L'Erve coule au pied de ce mamelon, anneau détaché de la chaîne dite des Coévrons (les monts boisés), qui forment un trait d'union entre la Normandie et l'Anjou. Le château de Saint-Suzanne couronne l'étroit plateau où s'arrête la montée presque à pic, qui n'est praticable que du côté du nord-ouest.
Défendu par sa position pour ainsi dire inaccessible , il eut souvent à repousser les Bretons et les Anglo-Normands au temps de leurs entreprises contre la France. Ce ne fut qu'en 1593, quand la Ligue eut été presque partout vaincue, que le château de Sainte-Suzanne cessa d'être un poste militaire. Plus d'une fois démantelé et battu en brèche dans les sièges qu'il eut à soutenir de 1080 à 1589, ce vieux nid d'aigle, tant éprouvé autrefois par la guerre, et depuis rongé, ruiné par le temps, ne se composait plus que des débris encore debout aujourd'hui, lorsque, en 1820, le prince de Beauveau, son propriétaire, le vendit pour la somme de dix mille francs.
Un savant explorateur des Alpes Mancelles a écrit, à propose des restes du château de Sainte-Suzanne: "Perle perdue au milieu des genêts du bas Maine, précieux fleuron de la couronne du moyen âge, peu d'anciennes villes, même en Bretagne, offrent une physionomie plus originale, plus pittoresque, un plus heureux mélange des beautés de la nature toujours jeune et souriante, et de celle des ruines poétisées par la destruction même."
Bien qu'il demeure impossible de préciser l'époque à laquelle il faut remonter l'édification d'un château fort au sommet du monticule de Sainte-Suzanne, les fragments de murailles bâtie de pierres vitrifiables en fusion attestent que les ruines du vieux manoir ont pour base celles d'une place forte contemporaine des castles-glass ou vitrified forts (châteaux de verre ou forts vitrifiés) de la vieille Calédonie.
Henri II, vicomte de Beaumont, s'était rendu maître du château de Sainte-Suzanne par droit de conquête; Guillaume le Roux, duc de Normandie, fils de Guillaume le Conquérant, ayant essayé de le lui reprendre, sa tentative échoua complètement, grâce à l'escarpement des rochers et à l'épaisseur des vignes. Le moine chroniqueur de Saint-Evroud, Orderic Vital, dit en parlant de ce siège qui eut lieu en 1080: "Les Normands n'y gagnèrent que les flèches qui restèrent fichées dans leurs plaies."
Moins heureux que le vicomte de Beaumont, Ambroise de Loré, qui tenait garnison au château de Sainte-Suzanne, dut céder aux ravages causés par les dix canons de fer récemment apportés du siège d'Algésiras par le comte de Salisbury son adversaire; forcé de livrer la place aux Anglais, ce ne fut qu'au prix de 2.000 écus d'or qu'il obtint la vie sauve pour les six cents hommes qui avaient héroïquement défendu le château.
Quelques années plus tard, Ambroise de Loré, grâce à la connivence d'un soldat anglais nommé Jean Ferrement, marié à une Française, rentrait sans coup férir dans Sainte-Suzanne dont il faisait la garnison prisonnière. La fortune des arme y réintégra bientôt les Anglais. Ceux-ci, au mépris du traité conclu le 15 mars 1447, qui fixait la date où le château devait faire retour à la couronne de France, refusèrent de le rendre quand la date de reddition fut échue; une victoire décisive remportée par Ambroise de Loré à Croisilles non-seulement délivra Saint-Suzanne, mais toute la province du Maine, et contraignit les Anglais à se retirer en Normandie.
Cette place, qui appartint ensuite à la reine de Navarre, Marguerite de Valois, fit partie plus tard du domaine privé de Henri IV. Les ligueurs l'assiégèrent en 1589; chargé de la défendre contre eux, M. de Bouillé la conserva à son maître. Il lui restait à subir les ravages d'un autre siège: l'année même où Henri IV abjura le calvinisme (1593), le grand bastion du château de Sainte-Suzanne tomba sous le canon de la guerre civile.
Telle est l'importance attribuée autrefois à cette place, qu'elle mérita l'honneur d'être nommée le boulevard de la liberté en Europe.
Le Magasin pittoresque, janvier 1875.
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