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jeudi 31 décembre 2015

Le Mans: Rue Saint-Pavin-la cité.

Le Mans:
rue Saint-Pavin-la Cité.



Voilà une pauvre petite rue, où certes bien des gens ont dû passer sans lui faire la faveur d'un regard bienveillant. Les uns l'auront trouvé trop étroite, les autres trop sombre, les autres trop tortueuse, les autres trop mal pavée, dans les endroits où il y a encore quelques pavés. Les personnes correctes auront été choquées par les plantes et les fleurs sauvages qui poussent çà et là entre les pierres des murs et font des taches de verdure sans symétrie et sans utilité. J'en connais même qui feraient un détour plutôt que de s'exposer à être blessées par la vue de ce chemin sans trottoirs, sans ruisseaux bien alignés, sans élégantes lanternes, qui semble appartenir à quelque village abandonné, et non à une grande et riche ville.
Mais vienne un artiste, un ami de la ligne indépendante et de la couleur, il s'arrêtera, il regardera, il cherchera, il trouvera. Dans ce petit coin si dédaigné par les autres, il verra un tableau, il en verra dix, selon l'heure de la journée, selon les teintes du ciel, selon les nuances des nuages, selon les jeux de la lumière et de l'ombre.
Le matin, toute la rue est dans l'ombre bleuâtre; l'extrémité se perd dans des brumes violettes; l'humble réverbère lutte avec les lueurs naissantes du jour, et sa petite lumière pâlissante ne paraît plus qu'à peine sur le ciel qui commence à s'éclaircir. Une porte s'ouvre, puis une autre; il en sort quelque ouvrier, qui descend vers les champs ou monte vers la ville, et son pas lourd résonne nettement dans la rue encore silencieuse et déserte. Peu à peu le jour grandit; les toits s'éclairent de la belle lumière que répand le soleil à son lever. Les tuiles fendues, les cheminées aux briques fumeuses, les ardoises couvertes de mousse, tout cela brille, se colore, se dore, s'empourpre. cette misère devient richesse et splendeur. Les ravenelles, les feuilles transparentes de la vigne, les brins d'herbe flexibles, se mettent à se balancer doucement au premier souffle de la brise du matin, se baignent dans la lumière, la renvoient, la multiplient et se transforment en pierreries étincelantes. Pauvre petite rue! que de belles choses tu montreras à ceux qui sauront les voir!




Mais le jour s'avance; les volets s'ouvrent; les femmes sortent des maisons; les unes vont à l'ouvrage, les autres aux provisions; les petits enfants jouent dans la rue. Ils sont en guenilles, ils sont nu-pieds; que leur importe? La rue est pauvre comme eux; elle leur est familière, ils n'y sont pas gênés; ils s'amusent naïvement, librement. Ils ne le pourraient pas dans une large rue, aux belles maisons, aux riches boutiques. Heureuse petite rue! comment te trouver triste, toi qui retentis des frais éclats de rire et des cris joyeux des petits enfants!
Quand à ceux qui disent que tu es noire et froide, qui se demande comment on n'a pas encore démoli cette masure qui te recouvre comme un pont, qu'ils viennent donc à l'heure de midi , quand quelque malheureux, fatigué de la route poudreuse et du soleil brûlant, gagne cette rue qu'il connait bien, cette rue d'où personne ne le chassera. Pauvre petite rue hospitalière! comment te trouver sombre, toi, où le pauvre peut venir s'asseoir à l'ombre et sécher sa sueur?
Et quand le jour diminuera, quand le soleil s'abaissera  vers l'horizon les splendeurs du matin reparaîtront, mais pour s'affaiblir peu à peu avec un charme pénétrant. Ce ne sera plus la lumière, la vie qui montera ce ne sera plus l'appel au travail, à l'activité: ce sera le repos, l'apaisement, qui descendra comme une consolation céleste. Et l'ouvrier qui rentrera dans son humble demeure ne trouvera pas sa pauvre petite rue trop étroite et trop sombre; car les ténèbres de la pauvre petite rue ne feront que mieux ressortir là-haut la beauté du ciel et le doux scintillement des étoiles de Dieu!

Le Magasin pittoresque, mai 1875.

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