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dimanche 13 décembre 2015

L'afficheur Collat.

L'afficheur Collat.


Ce personnage n'a jamais existé que dans l'imagination du comte de Caylus, plus recommandable comme antiquaire qu'à son titre de littérateur; mais il est probable que le grand seigneur archéologue et publiciste a prétendu symboliser, dans cette fiction, les misères d'une classe de la société dont on s'est peu occupé avant lui.
Voici un abrégé de son récit:
"Simon Collat dit Placard, maître afficheur, donneur d'avis et juré crieur de choses perdues" avait un sœur qui exerçait la même profession que lui et était très-ingénieuse.
"Elle avait entre autres choses inventé et exécuté deux sortes d'échelles, toutes deux solides et légères, et de si peu de volume qu'elle les portait sous le bras dans un sac à ouvrage. L'une de ces échelles était une espèce de zigzag assez semblable à ceux dont les écoliers se servent pour des malices de carnaval. Les deux extrémités de ce zigzag étaient plates, et, en mettant au bout de chacune une affiche enduite de colle au revers, elles se plaquaient toutes seules, comme deux tableaux en pendants, à l'endroit où elles étaient dirigées. L'autre était une échelle de sangle à ressort, qui s'élevait ou s'abaissait en un instant comme nos meilleurs stores, et avec cette échelle, elle posait et affichait en un clin d’œil tout ce qu'on voulait jusqu'à la hauteur d'un second étage; elle en donnait quelquefois le plaisir aux curieux, et ce qui l'augmentait beaucoup, c'est que sur le dernier échelon elle chantait et dansait aussi librement qu'elle l'aurait fait dans sa chambre."
Collat dit le Placard profitait de ces inventions, mais surtout de celle du zigzag, et il avouait assez effrontément qu'un des avantages de ce petit mécanisme très-simple était de lui donner le moyen de gagner double salaire en apposant parfois des affiches suspectes, hors de la portée du guet.




L'office très-plébéien d'afficheur n'était pas sans danger au dix-huitième siècle. A une époque où la liberté de la presse faisait défaut pour tous les genres de publications, il y avait des matins où l'on voyait certaines affiches politiques ou satiriques apparaître tout à coup et à la fois dans les rues les plus fréquentées ou les carrefours, et elles causèrent souvent plus d'émotion que les journaux. Malheur alors à l'afficheur s'il était pris sur le fait! Une ordonnance du lieutenant de police pouvait le claquemurer dans une prison pour plusieurs mois et même pour la vie.
"Un jour, entre chien et loup, dit Collat, je fus enlevé à quatre pas du logis des alguizils, qui me jetèrent dans un fiacre et me menèrent à la Bastille, où en arrivant on me mit dans une basse fosse au pain et à l'eau. Je n'aspirais qu'au moment d'être interrogé, et je ne le fus qu'au bout de trois jours. Mais mon interrogatoire fut précédé d'une espèce de sermon sur la nature du crime dont j'étais accusé. Le premier point m'annonçait que je pourrais bien aller droit à la Grève (c'est à dire être pendu) en cas d'obstination, de réticence et de mauvaise foi (1); le second m'offrait en perspective une punition légère si j'avais le bon esprit de me rendre la justice favorable par un aveu sincère. On pense bien que ce fut le parti que je pris."
Quelques jours après, on annonça au pauvre diable qu'un nouveau magistrat viendrait l'interroger.
"Il vint en effet, accompagné de quatre commissaires qu'il s'était fait donner comme adjoints par un arrêt d'attribution qu'il avait demandé pour me juger en dernier ressort. On m'amena en leur présence; on me mit sur la sellette, et je ne prévins le nouvel interrogatoire qu'on voulait me faire subir qu'en présentant ma déclaration par écrit. Le greffier la lut à haute voix; ces messieurs parurent satisfaits. On me fit passer à la geôle du greffe pendant qu'ils devaient se consulter. Peu d'instants après on me ramena pour entendre prononcer la sentence qui me condamnait à une prison perpétuelle. C'est à ce beau titre-là que je suis depuis dix ans à la Salpêtrière."
Comme il était arrivé souvent au dix-septième siècle et au commencement du dix-huitième que des afficheurs invoquaient leur ignorance absolue de la lecture comme moyen de défense, un arrêt du conseil, publié le 13 septembre 1722, exigea qu'aucun d'entre eux ne fut complètement illettré. On ordonna en outre que tout afficheur installât à sa porte un tableau indiquant son nom. Il devait porter, de plus, une plaque de cuivre indiquant sa profession.
D'après l'art. 283 du Code pénal, on peut condamner à un emprisonnement de six jours à six mois tout afficheur qui pose des affiches sans nom d'auteur ni d'imprimeur.

(1) On avait pendu des libraires coupables d'avoir publié des ouvrages satiriques contre quelques personnes de la cour. Guy Patin, dans ses lettre, en cite un exemple.

Le Magasin pittoresque, février 1875.

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