Ah! que nos députés nous coûtent cher!
La Chambre n'a pas de budget des recettes?
En dehors des 15.000 francs, qui sont d'ailleurs une dépense, même assez lourde, je ne lui connais point de recettes, pas même celle de faire le bonheur du pays.
En revanche ses dépenses sont assez considérables. Elle s'octroie d'importants frais généraux, des frais généreux, devrai-je dire, pour être plus exact.
C'est ainsi que nous pouvons relever, en première ligne, une somme annuelle de 35.175 francs affectée à la buvette. Cette somme me parait excessive. Elle me parait même injustifiée dans sa totalité. Loin de moi la pensée de retirer le pain de la bouche, la coupe des lèvres de nos députés! Que feraient-ils, grand Dieu! pendant que M. Laferre et M. Coutant (d'Ivry) sont à la tribune? La buvette est nécessaire au bon fonctionnement des travaux législatifs. Et seul peut être en pourrait médire M. Clémenceau, qui est, d'ailleurs, sénateur aujourd'hui, et qui fut en droit d'imputer jadis à la buvette son échec à la présidence de la Chambre. Une mauvaise farce qu'il joua à l'un de ses collègues, qui avait l'habitude de bourrer ses poches de petits pains, le priva, en effet, de la voix qui lui eût permis d'escalader le fauteuil présidentiel.
Je ne demande donc pas la suppression de la buvette. Mais j'ai ouï dire que nos législateurs abandonnaient tous les mois une infime partie de leur indemnité pour subvenir à leurs besoins gastronomiques, qu'ils entretenaient la buvette de leurs propres deniers. Alors qu'elle peut bien être au juste l'affectation des 35.175 francs? Faut-il admettre que les cure-dents n'étaient pas prévus dans les débours? Evidemment, 35.175 francs de cure-dent expliqueraient tout. Mais ce serait tout de même un peu cher.
Dix-huit mille boîtes d'allumettes.
Et pourtant, pourquoi nos honorables ne dépenseraient-ils pas une telle somme pour leurs cure-dents, alors qu'ils consomment chaque année pour 1.800 francs d'allumettes, soit 18.000 boîtes à dix centimes, en supposant que la questure fasse acheter les allumettes au détail? Or, comme chacun sait, la Chambre est entièrement éclairée à la lumière électrique, et je ne présume point que les 18.000 boîtes d'allumettes soient indispensables pour l'entretien des calorifères. Il faut supposer que le contenu de ces 18.000 boîtes sert à allumer des cigarettes, les cigares, voire les pipes de messieurs les députés Et, comme il défendu, jusqu'à présent, de fumer dans la salle des séances, j'en conclus que les contribuables versent 1.800 francs par an pour que leurs représentants aillent fumer dans les couloirs. J'entends bien que, quand M. Lafferre ou M. Coutant (d'Ivry) occupent la tribune, il n'y a que demi-mal. Mais il y a d'autres orateurs que ceux-là, et qui méritent d'être écoutés. Au demeurant peut-être nos députés font-ils des boîtes d'allumettes ce qu'ils font des petits pains. Ils les mettent dans leurs poches, comme ils le font aussi d'ailleurs pour le papier à lettres.
Car la Chambre dépense, bon an, mal an, mal an plutôt, 74.680 francs de papier à lettres. Par exemple, cette somme, énorme pourtant, ne surprendra personne. Tout le monde sait, en effet, que le papier à lettre de la Chambre sert non seulement aux députés pour leur correspondance, mais aussi à leur épouse, à leurs enfants, à leurs domestiques. C'est sur ce papier-là que Marie donne rendez-vous au garde républicain à qui elle est fiancée, que Madame fait ses comptes de ménages, que Mademoiselle écrit ses brouillons pour le lycée de jeunes filles, que le petits Léon fait des pâtés pour s'amuser, que monsieur, enfin, couche des missives que, bien souvent, il voudrait rattraper. Je me souviens qu'une fois, une cuisinière se présenta chez moi, munie d'un excellent certificat écrit sur une feuille de papier à lettres de la Chambre. Cela m'a tout de suite donné de la méfiance.
Poursuivons l'examen du budget des dépenses de la Chambre. Nous y relevons une somme de 38.000 francs, imputables aux épées et aux uniformes d'huissiers. Peste, messieurs, comme vous voilà mis! Trente huit mille francs d'épées et d'uniformes! Vous dépensez pour vos seuls vêtements, autant, sinon plus, qu'un homme élégant pour sa garde-robe. Quelle est donc l'adresse de votre tailleur? Où donc que j'y courre? Trente huit mille francs, ce ne sont pas des prix de confection. C'est du "sur-mesure", avec coupeurs anglais! Mais, me direz-vous, il y a les épées et une épée ça coûte cher. D'accord: mais je ne pense pas qu'on vous octroie chaque année une épée neuve? Une fois que M. Brisson vous a faits chevaliers, c'est pour la vie, ou tout au moins jusqu'à l'âge de la retraite. Et rien ne s'oppose à ce que l'épée d'un retraité serve à son successeur. On n'a point encore vu, que je sache, d'huissier à la Chambre brisant son épée, comme fit jadis le commandant Labordère, plutôt que de servir un gouvernement abhorré. A la Chambre, les présidents passent, les huissiers restent.
Par exemple, si l'accoutrement des huissiers me parait coûter les yeux de la tête, je trouve, en revanche, que la dépense en ficelle est réellement minime. Il n'est inscrit qu'une somme de 1.000 francs pour ce chapitre. Mille francs de ficelle ou de ficelles, ce n'est rien. Assurément, nos députés cachent leur jeu. Pour une seule interpellation, on consomme bien plus de mille francs de ficelles. M. Berteaux en sait quelque chose. Il est vrai que cela n'a rien à voir avec le budget de la Chambre. Mais, même en s'en tenant à la ficelle qui sert à lier les dossiers et les rapports, on trouve que mille francs, c'est peu. Et je ne parle pas, bien entendu, de celle qui tient lieu de bretelles à certains honorables qui ne peuvent, pour différentes raisons, cultiver que leur élégance extérieure.
On dit même que M. Pelletan emploie ce genre de bretelles, non point par mesure d'économie, mais par goût naturel. Mais il se rattrape, sans doute, sur les brosses et les miroirs, qui reviennent annuellement à la somme de 10.000 francs. Le reporter Domino, en inscrivant cette somme dans un écho, remarquait spirituellement que M. Pelletan coûte cher à la France. Mais Domino croit-il qu'il n'y a, parmi nos députés, que M. Pelletan qui se regarde dans la glace ou qui brosse ses vêtements, voire ses cheveux? Dieu merci, il y en a d'autres ou du moins, il faut le supposer. Il faut même croire que nos honorables passent leur temps à se brosser. Certains, me dit-on, le font machinalement, en prévision des élections prochaines. Ils ne veulent pas être pris de court. Quant aux miroirs, on ne les use pas en se regardant dedans. Il faut donc qu'on en casse un certain nombre. On peut supposer, aussi, que la plupart d'entre eux, dégoûtés de refléter certaines physionomies, se sont fendus d'eux-mêmes, comme le vase de Sully Prudhomme. Mais c'est égal, pour arriver à 10.000 francs!...
La destruction des souris coûte à la Chambre une somme de deux cents francs par an. Il est probable que cette somme représente la nourriture destinée aux chats, auxquels incombe la mission d'exterminer les rongeurs. Ce qui prouve qu'un chat coûte moins cher à nourrir qu'un député, quoiqu'il soit beaucoup plus utile. Jamais en effet, un député ne serait capable de détruire une souris, fut-elle même blanche. Il ne pourrait que la contraindre à donner sa démission, ce qu'il fit plusieurs fois déjà, et ce qui n'empêche pas la souris blanche de se porter comme un charme. Je gage que dans le budget du Sénat, on ne saurait relever aucun crédit affecté à la destruction des souris. On pourrait y voir une allusion personnelle et blessante à M. de Freycinet, dit La Souris blanche.
Enfin, je note une somme de 9.420 francs nécessitée par le chapitre W. C. Je n'insisterai pas. Je n'éplucherai pas davantage. Je me bornerai à espérer qu'en ce qui concerne ce chapitre-là, la Chambre en a au moins pour son argent.
Adrien Vely.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 février 1908.
Car la Chambre dépense, bon an, mal an, mal an plutôt, 74.680 francs de papier à lettres. Par exemple, cette somme, énorme pourtant, ne surprendra personne. Tout le monde sait, en effet, que le papier à lettre de la Chambre sert non seulement aux députés pour leur correspondance, mais aussi à leur épouse, à leurs enfants, à leurs domestiques. C'est sur ce papier-là que Marie donne rendez-vous au garde républicain à qui elle est fiancée, que Madame fait ses comptes de ménages, que Mademoiselle écrit ses brouillons pour le lycée de jeunes filles, que le petits Léon fait des pâtés pour s'amuser, que monsieur, enfin, couche des missives que, bien souvent, il voudrait rattraper. Je me souviens qu'une fois, une cuisinière se présenta chez moi, munie d'un excellent certificat écrit sur une feuille de papier à lettres de la Chambre. Cela m'a tout de suite donné de la méfiance.
Poursuivons l'examen du budget des dépenses de la Chambre. Nous y relevons une somme de 38.000 francs, imputables aux épées et aux uniformes d'huissiers. Peste, messieurs, comme vous voilà mis! Trente huit mille francs d'épées et d'uniformes! Vous dépensez pour vos seuls vêtements, autant, sinon plus, qu'un homme élégant pour sa garde-robe. Quelle est donc l'adresse de votre tailleur? Où donc que j'y courre? Trente huit mille francs, ce ne sont pas des prix de confection. C'est du "sur-mesure", avec coupeurs anglais! Mais, me direz-vous, il y a les épées et une épée ça coûte cher. D'accord: mais je ne pense pas qu'on vous octroie chaque année une épée neuve? Une fois que M. Brisson vous a faits chevaliers, c'est pour la vie, ou tout au moins jusqu'à l'âge de la retraite. Et rien ne s'oppose à ce que l'épée d'un retraité serve à son successeur. On n'a point encore vu, que je sache, d'huissier à la Chambre brisant son épée, comme fit jadis le commandant Labordère, plutôt que de servir un gouvernement abhorré. A la Chambre, les présidents passent, les huissiers restent.
Par exemple, si l'accoutrement des huissiers me parait coûter les yeux de la tête, je trouve, en revanche, que la dépense en ficelle est réellement minime. Il n'est inscrit qu'une somme de 1.000 francs pour ce chapitre. Mille francs de ficelle ou de ficelles, ce n'est rien. Assurément, nos députés cachent leur jeu. Pour une seule interpellation, on consomme bien plus de mille francs de ficelles. M. Berteaux en sait quelque chose. Il est vrai que cela n'a rien à voir avec le budget de la Chambre. Mais, même en s'en tenant à la ficelle qui sert à lier les dossiers et les rapports, on trouve que mille francs, c'est peu. Et je ne parle pas, bien entendu, de celle qui tient lieu de bretelles à certains honorables qui ne peuvent, pour différentes raisons, cultiver que leur élégance extérieure.
On dit même que M. Pelletan emploie ce genre de bretelles, non point par mesure d'économie, mais par goût naturel. Mais il se rattrape, sans doute, sur les brosses et les miroirs, qui reviennent annuellement à la somme de 10.000 francs. Le reporter Domino, en inscrivant cette somme dans un écho, remarquait spirituellement que M. Pelletan coûte cher à la France. Mais Domino croit-il qu'il n'y a, parmi nos députés, que M. Pelletan qui se regarde dans la glace ou qui brosse ses vêtements, voire ses cheveux? Dieu merci, il y en a d'autres ou du moins, il faut le supposer. Il faut même croire que nos honorables passent leur temps à se brosser. Certains, me dit-on, le font machinalement, en prévision des élections prochaines. Ils ne veulent pas être pris de court. Quant aux miroirs, on ne les use pas en se regardant dedans. Il faut donc qu'on en casse un certain nombre. On peut supposer, aussi, que la plupart d'entre eux, dégoûtés de refléter certaines physionomies, se sont fendus d'eux-mêmes, comme le vase de Sully Prudhomme. Mais c'est égal, pour arriver à 10.000 francs!...
La destruction des souris coûte à la Chambre une somme de deux cents francs par an. Il est probable que cette somme représente la nourriture destinée aux chats, auxquels incombe la mission d'exterminer les rongeurs. Ce qui prouve qu'un chat coûte moins cher à nourrir qu'un député, quoiqu'il soit beaucoup plus utile. Jamais en effet, un député ne serait capable de détruire une souris, fut-elle même blanche. Il ne pourrait que la contraindre à donner sa démission, ce qu'il fit plusieurs fois déjà, et ce qui n'empêche pas la souris blanche de se porter comme un charme. Je gage que dans le budget du Sénat, on ne saurait relever aucun crédit affecté à la destruction des souris. On pourrait y voir une allusion personnelle et blessante à M. de Freycinet, dit La Souris blanche.
Enfin, je note une somme de 9.420 francs nécessitée par le chapitre W. C. Je n'insisterai pas. Je n'éplucherai pas davantage. Je me bornerai à espérer qu'en ce qui concerne ce chapitre-là, la Chambre en a au moins pour son argent.
Adrien Vely.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 23 février 1908.
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