Mossieu Dufayel.
M. Dufayel est, après M. Fallières, ou peut être avant, l'homme le plus connu dans les communes et dans tous les les hameaux de France. Dire que des bénédictions sans nombre sont répandues sur sa tête serait certainement exagérer la reconnaissance de ses clients. Aussi a-t-il pour devise:"Bien faire et laisser dire."
L'homme est d'un naturel ingrat. M. Dufayel le sait et il a pris son parti de ne rien obtenir de lui en échange des bons offices qu'il lui rend, si ce n'est de l'argent.
Encore ne le lui donna-t-on pas toujours de bon gré, et ce pauvre monsieur Dufayel est obligé, bien à regret, de mettre des tiers dans la confidence de ses bonnes œuvres et de s'adresser aux tribunaux pour en obtenir le paiement.
Auprès de chacune des justices de paix des vingt arrondissements de Paris. M. Dufayel a placé un représentant chargé de soutenir ses intérêts au cours des dix ou vingt procès qu'il intente journellement à ses mauvais clients
Les frais de contentieux sont assez élevés, mais il a la satisfaction de gagner presque tous ses procès, car il ne réclame que son dû.
La fortune de M. Dufayel lui est venue de M. Crespin, dont il fut l'employé, puis l'associé.
On sait l'histoire de M. Crespin: disposant de très modestes capitaux, il eut la bonté de les mettre, par sommes infimes, à la disposition des petites gens, des ouvriers gênés. Ceux-ci se seraient fait un scrupule de ne pas rendre à M. Crespin plus qu'ils avaient reçu de lui et grâce à ces excellents sentiments que de solides garanties venaient au besoin lui rappeler, le prêteur à la petite semaine devint millionnaire.
M. Dufayel voulut faire mieux: à ceux qui répugnaient à emprunter de l'argent, il offrit des outils, des meubles, des objets d'art. Tel qui ne voudrait pas devoir dix francs à un ami, achète pour deux cents francs de marchandises à M. Dufayel: celui-ci n'est plus un prêteur; c'est un commerçant qui fait crédit, voila tout.
La couturière lui achète sa machine qu'elle paiera avec son travail; l'avocat, le médecin qui s'installent, lui prennent leurs meubles. Le mélomane peut aller écouter jouer la symphonie Dufayel, et l'amateur de cinématographe va voir le cinématographe Dufayel. Le collectionneur d'affiches se réjouit lorsqu'il apprend par un écriteau complaisant qu'un nouveau pan de muraille vient d'être loué pour la publicité de M. Dufayel. Le baigneur se hâte d'acquérir un terrain sur la plage Dufayel et l'étudiant en architecture qui veut se pénétrer de quelques styles hideux pour ne point les imiter va voir le même jour à Montmartre l'église du Sacré-Cœur et les magasins Dufayel. Il n'est point de Parisien, si misérable soit-il, qui ne profite encore des bienfaits de ce philanthrope, si le phare de M. Dufayel vient éclairer le soir sa mansarde.
On croit généralement que la fortune de ce puissant commerçant est considérable; le magnifique hôtel de l'avenue des Champs-Elysées, qu'il a acheté à Mme d'Uzès, ne peut appartenir qu'à un opulent personnage. Et cependant, M. Dufayel est parfois aussi gêné, avec ses millions, que le plus pauvre de ses employés.
Il n'y pas un an, il cherchait, étrange retour des choses d'ici-bas, à emprunter de l'argent, et, ce qui est plus étrange encore, il n'en trouvait pas. Un riche industriel à qui il s'adressa et qui a cependant l'habitude d'éclairer, puisqu'il est marchand de pétrole, refusa tout net de lui rendre ce service. Il est vrai que la somme demandée était un peu forte: M. Dufayel avait besoin de cinq millions. N'importe, il est dur de trouver si peu de crédit pour soi-même quand on en fait à tout le monde.
Jean-Louis.
M. Georges Dufayel est officier de la légion d'honneur. Il est membre de l'Automobile-Club et de l'Aéro-Club. Mais son sport préféré consiste à faire évoluer son yacht.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 12 janvier 1908.
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