Messire Jacques de Lalaing.
Les grandes actions du chevalier Jacques de Lalaing paraissent appartenir plutôt à la légende qu'à l'histoire. Cependant on ne doit pas douter de leur authenticité.
Le jour même où ce gentilhomme fut armé chevalier (1446), il fut victorieux dans un tournoi. A partir de ce moment, il résolut de ne plus combattre que le visage découvert. C'était là une prodigieuse témérité, car, à cette époque, les guerriers portaient des casques qui protégeaient la tête entière. Jacques se mettait donc dans un état évident d'infériorité, et il semblait se condamner à mort
Après quelques succès obtenus en France, il passa en Angleterre, et défia par un cartel collectif, tous les nobles de la contrée. Aucun d'eux n'osa se mesurer avec lui, et déjà il s'était rembarqué pour revenir, lorsque sur le vaisseau qui le ramenait se présenta subitement un jeune écuyer du comté de Galles. Il s'appelait Thomas.
"Seigneur, dit-il à Jacques, je vous donne rendez-vous à la cour du duc de Bourgogne. Je m'y trouverai dans six semaines. Nous lutterons."
Les champions se rencontrèrent, en effet, à l'expiration du délai fixé. Ils s'attaquèrent avec la hache de guerre, arme terrible par son poids, par son large fer, par les dagues adaptées aux deux extrémités du manche.
D'abord, Thomas eut l'avantage et il transperça le bras gauche de son adversaire. A cette vue, les assistants poussèrent des exclamations de douleurs, et ils crièrent au Français de se rendre. Mais celui-ci, bien qu'il ne pût se servir que d'une main ne recula pas d'une semelle, et para longtemps les coups que son antagoniste lui assénait. Sa blessure saignait; autour de lui la lice était toute rouge. A la fin, il bondit, et de son bras valide, il étreignit l'Anglais par la ceinture, et le jeta sur le sable, la face en avant. Thomas, gêné par son armure, essaya en vain de se relever. Jacques le maintint à terre de son talon, et, debout sur son ennemi, il répétait, ensanglanté, triomphant: "Victoire! Victoire!"
Dès que sa plaie fut fermée, cet incomparable chevalier voulut conquérir de nouveaux lauriers. Il gagna chalons-sur-Saône. Là, il fit enclore de palissades un vaste pré au sol régulier, et il publia dans toute l'Europe que, une année entière, il attendrait les amateurs de tournois, et jouterait à pied ou à cheval, avec l'épée, la hache ou la lance, contre quiconque se présenterait. Il y eut affluence, et, fidèle à sa promesse, l'intrépide de Lalaing descendit, tête nue, dans l'arène aussi souvent qu'on le provoqua. Oui, durant douze mois, et d'ordinaire neuf ou dix fois dans chaque mois, il soutint l'assaut des plus rudes champions de la France et de l'Etranger, et jamais il ne reçut une blessure, jamais il n'éprouva un échec.
Mais l'heure avait sonné où il devait déployer sa valeur non plus en des combats singuliers, mais contre les ennemis de son suzerain, le duc de Bourgogne. Les bourgeois de Gand s'étaient révoltés, et il s'agissait de les punir. Jacques entra dans un corps de troupe qui fut entouré par les Gantois et ne se sauva qu'en traversant à la nage une large rivière. Cependant beaucoup de retardataires eurent bien du mal à passer. Sans de Lalaing ils allaient périr. Mais ce brave, qui avait eu déjà, dans cette journée, cinq chevaux tués sous lui, revint en arrière, plongea dans l'eau et sauva les siens.
Juste au moment où il abordait, ruisselant et n'ayant au poing qu'un tronçon d'épée, on lui cria que son frère était resté au milieu des adversaires, et qu'il était près de succomber. Jacques repousse son cheval dans le fleuve; il se rue sur ceux qui enveloppent son frère. Il le délivre, l'entraîne, et, laissant derrière lui un monceau de morts, il rejoint sain et sauf, à travers les flots, ses compagnons.
Par une bizarre ironie du sort, ce héros, qui méprisait les armes à feu, fut tué par un boulet. Le duc de Bourgogne assiégeait l'une des forteresses des Gantois. Notre preux chevalier regardait, par l'embrasure d'une tranchée, la situation de la place. Une énorme pierre, lancée par un canon, l'atteignit en plein visage (1453). Il expira sur le coup. Il était dans toute la vigueur de la jeunesse, dans tout l'état de la gloire...
Ses amis le pleurèrent longtemps, et les ennemis mêmes contre lesquels il combattait gémirent d'avoir tranché une vie si noble.
H. G.
Mon Journal, Recueil hebdomadaire illustré pour les enfants, 16 juillet 1898.
Les champions se rencontrèrent, en effet, à l'expiration du délai fixé. Ils s'attaquèrent avec la hache de guerre, arme terrible par son poids, par son large fer, par les dagues adaptées aux deux extrémités du manche.
D'abord, Thomas eut l'avantage et il transperça le bras gauche de son adversaire. A cette vue, les assistants poussèrent des exclamations de douleurs, et ils crièrent au Français de se rendre. Mais celui-ci, bien qu'il ne pût se servir que d'une main ne recula pas d'une semelle, et para longtemps les coups que son antagoniste lui assénait. Sa blessure saignait; autour de lui la lice était toute rouge. A la fin, il bondit, et de son bras valide, il étreignit l'Anglais par la ceinture, et le jeta sur le sable, la face en avant. Thomas, gêné par son armure, essaya en vain de se relever. Jacques le maintint à terre de son talon, et, debout sur son ennemi, il répétait, ensanglanté, triomphant: "Victoire! Victoire!"
Dès que sa plaie fut fermée, cet incomparable chevalier voulut conquérir de nouveaux lauriers. Il gagna chalons-sur-Saône. Là, il fit enclore de palissades un vaste pré au sol régulier, et il publia dans toute l'Europe que, une année entière, il attendrait les amateurs de tournois, et jouterait à pied ou à cheval, avec l'épée, la hache ou la lance, contre quiconque se présenterait. Il y eut affluence, et, fidèle à sa promesse, l'intrépide de Lalaing descendit, tête nue, dans l'arène aussi souvent qu'on le provoqua. Oui, durant douze mois, et d'ordinaire neuf ou dix fois dans chaque mois, il soutint l'assaut des plus rudes champions de la France et de l'Etranger, et jamais il ne reçut une blessure, jamais il n'éprouva un échec.
Mais l'heure avait sonné où il devait déployer sa valeur non plus en des combats singuliers, mais contre les ennemis de son suzerain, le duc de Bourgogne. Les bourgeois de Gand s'étaient révoltés, et il s'agissait de les punir. Jacques entra dans un corps de troupe qui fut entouré par les Gantois et ne se sauva qu'en traversant à la nage une large rivière. Cependant beaucoup de retardataires eurent bien du mal à passer. Sans de Lalaing ils allaient périr. Mais ce brave, qui avait eu déjà, dans cette journée, cinq chevaux tués sous lui, revint en arrière, plongea dans l'eau et sauva les siens.
Juste au moment où il abordait, ruisselant et n'ayant au poing qu'un tronçon d'épée, on lui cria que son frère était resté au milieu des adversaires, et qu'il était près de succomber. Jacques repousse son cheval dans le fleuve; il se rue sur ceux qui enveloppent son frère. Il le délivre, l'entraîne, et, laissant derrière lui un monceau de morts, il rejoint sain et sauf, à travers les flots, ses compagnons.
Par une bizarre ironie du sort, ce héros, qui méprisait les armes à feu, fut tué par un boulet. Le duc de Bourgogne assiégeait l'une des forteresses des Gantois. Notre preux chevalier regardait, par l'embrasure d'une tranchée, la situation de la place. Une énorme pierre, lancée par un canon, l'atteignit en plein visage (1453). Il expira sur le coup. Il était dans toute la vigueur de la jeunesse, dans tout l'état de la gloire...
Ses amis le pleurèrent longtemps, et les ennemis mêmes contre lesquels il combattait gémirent d'avoir tranché une vie si noble.
H. G.
Mon Journal, Recueil hebdomadaire illustré pour les enfants, 16 juillet 1898.
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